07:50
Jeu d’ombre et de lumière, ce lundi 21 décembre, au premier étage de la mairie centrale de Marseille. Le socialiste Benoît Payan traverse les hautes fenêtres éclairées du bureau du premier adjoint. Un bureau qu’il va laisser à l’écolo Michelle Rubirola (EELV), qui a démissionné du poste de maire, six jours plus tôt, le 15 décembre. Si le jeu de passe-passe n’a pas fait trop de remous dans la majorité du Printemps Marseillais (union de la gauche, écologistes, citoyens) élue en juillet dernier, il fait grincer les dents de nombreux électeurs et sympathisants, pas franchement heureux de se retrouver avec un apparatchik socialiste après avoir voté pour une femme écolo et médecin (lire notre article).
08:02
De la foule venue le 4 juillet soutenir Michèle Rubirola contre toute tentative de putsch de la droite, ne reste qu’une trentaine de mécontents. Dont des militants du Collectif des écoles de Marseille qui réclament haut et fort du personnel dans les écoles, en réponse à la négociation de la ville avec FO, l’UNSA et la CFE-CGC sur une limitation du droit de grève. Ancienne maire des « 4/5 », la LR Marine Pustorino, qui était de l’aventure du dissident Bruno Gilles, boit du petit lait : « Tous ces citoyens engagés se rendent compte qu’en politique il faut avaler des couleuvres. »
08:11
Ancien adjoint (LR) à la gestion et la prévention des risques de Jean-Claude Gaudin, mis en examen à ce titre dans l’enquête sur la mort de huit personnes dans l’effondrement de deux immeubles rue d’Aubagne il y a deux ans, Julien Ruas fait son entrée sous les quolibets et les sifflets.
08:36
Costard bleu sombre sur chemise bleu ciel, notaire de formation, assis dans le siège de maire, Benoît Payan rappelle les conseillers municipaux à l’ordre. Consciencieusement, il recoiffe sa mèche. Un de ses tics.
08:45
Pantalon en cuir, chemisier coloré et masque rouge, Samia Ghali, ex sénatrice et ex socialiste, partenaire de la majorité, sort se servir un café dans la salle des pas perdus. Contrairement au mois de juillet, les négociations avec le Printemps marseillais ont été menées en amont du conseil. Aujourd’hui, elle ne fera pas monter des enchères, déjà hautes. Elle aurait négocié la tête de liste de la gauche aux prochaines élections départementales. Dans l’hémicycle, le député (LR) Guy Tessier, doyen de l’assemblée, remplace Benoît Payan le temps du vote. Ce dernier reprend sa place entre Olivia Fortin (société civile, collectif Mad Mars), une proche, et Michèle Rubirola.
08:50
Guy Tessier tacle la majorité sur cette nouvelle élection, qui s’impatiente bruyamment. Coup de sang de l’ancien para : « Je vais vous supporter pendant cinq ans, vous pouvez bien m’écouter pendant cinq minutes ! »
08:53
Pour le Printemps Marseillais, Michèle Rubirola propose Benoît Payan au poste de maire. La droite et le RN annoncent qu’ils refusent de participer au vote, mais seuls les LR quittent l’hémicycle. Le sénateur Stéphane Ravier, chef de l’extrême droite locale, drapé dans son col roulé noir, en profite pour vociférer contre « une gauche arrogante et anti-démocratique ».
09:00
Début du vote.
09:13
Benoît Payan puis Michèle Rubirola déposent leurs bulletins dans l’urne sous les flashs des photographes.
09:18
Décompte des votants. Les « Benoît Payan » succèdent aux « Benoît Payan ». Ça rigole dans la tribune de presse : « C’est de l’auto-persuasion ? De l’hypnose ? »
09:20
Benoît Payan est déclaré nouveau maire de Marseille, à l’unanimité des 53 votants et sous les applaudissements des élus, debout, de la majorité. Lui, reste assis. Michèle Rubirola doit se pencher pour faire la bise.
09:23
« Ça rappelle les grandes heures de Moscou », commente le RN Bernard Marandat. Qui s’y connaît en régimes autoritaires. Comme l’a révélé le Ravi, l’élu des « 6/8 » lors des dernières municipales a rendu hommage à un ami avec comme dédicace : « le fascisme, c’est la fête ! ».
09:25
Michèle Rubirola s’emmêle les pompons en revêtant Benoît Payan de l’écharpe tricolore. Pour cause de Covid, le nouveau maire de Marseille et sa nouvelle première adjointe gardent le masque pour la photo. Stéphane Ravier, très en forme : « Jusqu’au bout vous aurez avancé masqué ! »
09:27
La droite fait son retour dans l’hémicycle, Benoît Payan recoiffe sa mèche puis se lance dans son discours d’investiture. Il attaque sur le Printemps marseillais et fait un parallèle entre son engagement politique et celui des citoyens, histoire de faire taire les critiques. Puis il rend un hommage à Michèle Rubirola. Mais pas jusqu’à lui avouer que, sans elle, il ne serait certainement pas à cette place.
09:42
« Marseille appartient à ceux qui y vivent », conclut Benoît Payan en citant le romancier marseillais Jean-Claude Izzo. Avant de jurer, la main sur le cœur : « C’est mon rêve, ma promesse. » Commentaire de Sabine Bernasconi, ancienne maire (LR) des «1/7» et vice-présidente à la culture du Conseil départemental : « Maintenant au boulot ! » Le nouveau maire préfère savourer et suspend la séance.
Discours d'investiture de Benoît Payan
« Au moment de m’adresser à vous aujourd’hui, mes pensées vont aux femmes et aux hommes de Marseille, à celles et ceux qui, par leurs différences, ont construit cette ville. C’est ce qu’enseigne notre Histoire. Celle d’une ville née il y a 2 600 ans, de la rencontre de deux mondes que tout opposait. Celle d’une ville qui a vaincu la peste, par la force de l’union entre un armateur, des galériens et des forçats. Celle d’une ville libérée par ses habitants résistants de toutes origines, unis à des tirailleurs, des goumiers et des tabors, soldats des armées d’Afrique. Celle d’une ville à l’identité si forte, qu’elle n’a eu de cesse d’être méprisée par le pouvoir central, jusqu’à voir ses canons tournés vers la ville, jusqu’à en perdre son nom. Celle d’une ville qui se rassemble toujours pour faire face à la fatalité, qui s’unit pour changer de destin.
Cette histoire, c’est aussi celle de notre majorité. Un rassemblement de gens venus d’ici, des militants associatifs et des directeurs d’écoles, des chefs d’entreprises et des enfants des cités, des ouvriers et des avocats, des salariés et, aussi, de responsables politiques, qui ont fait le choix de dépasser les étiquettes et les logiques partisanes. Je suis membre de ce rassemblement, d’une majorité qui défend une ville plus verte, plus juste et plus démocratique, et qui se donne deux priorités : rassembler les Marseillais en combattant les injustices, et dessiner l’horizon d’une ville durable, qui se développe avec et par ses habitants.
Je n’ai pas pour habitude de parler de moi, de raconter ce que je suis. Je veux plutôt vous dire ce en quoi je crois. Je crois en Marseille, en ce que nous sommes, en ce que nous pouvons devenir. Je crois à la justice, et à l’égalité. Ces deux combats sont mon histoire. On dit parfois de moi que je suis surtout un professionnel de la politique. Cet engagement, je l’assume et je le revendique. J’ai fait le choix à vingt ans de devenir un militant de gauche. J’ai consacré ma vie au combat pour ce qui est juste, et à la défense de ceux qui n’ont pas de voix au chapitre, pas de place dans l’Histoire.
Que nous soyons militant politique, climatique, citoyen, syndical, associatif, nos engagements ont (pour moi) du sens. Je crois qu’il est trop facile de faire transgressif en décriant ces élus qui ouvrent leur mairie chaque matin parce qu’ils veulent faire avancer les dossiers de leur ville, ces éternels opposants qui s’épuisent dans les hémicycles, ces militants des marchés du dimanche, ces citoyens qui ont fait le choix de s’engager. Ils sont, eux aussi, le ferment démocratique de notre peuple.
Je le dis avec d’autant plus de force devant cette assemblée de femmes et d’hommes aux convictions profondes, majorité comme opposition, qui se sont présentés devant les électeurs avec des idées et des projets pour Marseille. Nous avons des désaccords et nous aurons des passes d’armes, mais je respecte vos engagements, vos histoires et nos différences.Le 28 juin dernier, les Marseillais ont voté, et ils se sont choisi un destin. Ils ont choisi un horizon. Cet horizon a été porté par des années de mobilisations, et par l’espoir de milliers de Marseillais.Il a aussi été porté par une femme, qui a su incarner cet espoir, porter ce collectif, et tenir le cap, (malgré tout,) pendant les mois les plus durs que Marseille a connu.
Michèle, je sais ton courage et tes convictions, la femme libre et forte que tu es. Je salue à nouveau ici la transparence et l’honnêteté de ton geste. Avec toi, avec la force de notre rassemblement et avec l’unité de notre majorité, Marseille ne sera pas, Marseille ne sera plus, la ville la plus inégalitaire du pays, et la ville la plus polluée de France.
Ensemble, nous continuerons d’agir pour réparer notre ville.Pour rénover nos écoles, et faire de l’éducation une priorité. Pour offrir à tous les enfants de Marseille le service public d’éducation qu’ils méritent, et en commençant par ceux qui en ont le plus besoin.Nous continuerons de lutter contre la précarité, contre le mal logement et le déterminisme territorial. Le 5 novembre 2018, passé le choc, ce sont des larmes de tristesse et de colère qui ont coulé sur les joues de milliers de Marseillais. Et si les mois ont passé, je n’oublie rien. Rien de l’émotion, rien de cette colère, rien de ce drame, rien des victimes. Cette journée, qui a marqué ma vie, et ma ville, continuera d’être le moteur d’une action irrépressible pour la justice et pour la dignité.
Car Marseille ne se relèvera et ne se développera qu’en étant rassemblée et fidèle à elle-même. Fidèle à sa tradition, celle d’une ville populaire, fière et unitaire.Marseillais, nous nous relèverons, si nous sommes capables de lutter contre les injustices,de recoudre notre ville et de nous unir. Pas pour regretter les trésors d’un passé glorieux, mais pour nous bâtir un avenir. Notre avenir. Nous deviendrons cette ville phare, capitale, celle qui attire des médecins et des entrepreneurs, des chercheurs et des étudiants, des salariés et des artistes. Nous le ferons en répondant aux grands enjeux de demain.
La compétitivité, l’attractivité, elles ne se trouvent pas dans l’austérité qui cache une économie moribonde, ni dans la bétonisation de la moindre parcelle naturelle, bien au contraire. Notre attractivité, elle est dans les atouts majeurs que notre ville a à offrir, sa nature, ses paysages et son ouverture sur la Méditerranée.
La mer est aussi notre horizon, notre littoral un joyau et notre port une richesse majeure pour développer notre ville. C’est par la mer que circulent depuis des millénaires les idées, les hommes et les marchandises. C’est par la mer que se sont bâtis les empires. C’est sur les côtes que vivent les 2/3 de l’humanité, et Marseille, plus grand port de France, doit aussi se tourner vers la mer pour la protéger, et pour rayonner.
Les grandes métropoles du monde l’ont compris, aujourd’hui, ce qui fait venir des entreprises, ce qui crée de l’emploi et de l’activité, c’est tout simplement la qualité de la vie vécue par les habitants. C’est en construisant ensemble une ville plus agréable à vivre, plus verte, en faisant revenir la nature en ville, et en luttant contre les changements climatiques que nous rayonnerons.Notre attractivité, elle est aussi dans nos services publics, nos associations ou notre vie de quartier.
Dans une ville qui se préoccupe d’abord des besoins de ses habitants, qui se modernise, qui déploie des transports efficaces, et qui offre un espace public apaisé. Dans une ville où chacun peut vivre dignement, travailler, se loger, se cultiver, faire du sport, s’épanouir et s’engager. Rien ne nous fera dévier de notre volonté de changer le destin de Marseille, et la façon de la gouverner. Une ville plus démocratique, qui écoute et qui consulte, qui partage et qui fait vivre le débat, l’engagement, la citoyenneté. Une ville qui se construit par et pour ses habitants.
Je sais quelle est la situation financière de notre ville. Je sais aussi que nous n’éviterons pas les crises qui s’annoncent. Il y a bien-sûr eu la première, puis la seconde vague, d’une crise sanitaire centenaire à laquelle nous faisons face. Il y a ses conséquences sociales et économiques, dans une ville qui connaît déjà des situations de détresse profonde.
Nous la surmonterons par notre vitalité, par notre volonté et par notre force, celle de toujours refuser la fatalité. Parce qu’on peut grandir ici à La Castellane et devenir ballon d’or,Parce qu’ici, on peut découvrir la musique au Plan d’Aou, à Belsunce ou à St-Jean-Du-Désert et décrocher l’or et le platine,On peut naître à la Belle-de-Mai, devenir l’un des plus grands sculpteurs du XXe siècle ou le prix Albert Londres.
Mais ici, il n’y a pas ceux qui réussissent, et ceux qui ne sont rien. Ici la réussite, c’est aussi d’ouvrir un restaurant ou une boutique, de monter son entreprise, de devenir artisan,fonctionnaire, de voir grandir ses petits ou de s’engager pour les autres. Les défis sont grands, je le sais, les difficultés nombreuses, et pourtant, en devenant ce matin le 47ème Maire de Marseille, je veux vous dire à vous, les représentants de la ville, dire aux Marseillais, que cette crise, nous la dépasserons, et que cette tempête, nous la surmonterons. Nous les surmonterons parce que c’est en réalité la force des Marseillais que de toujours défier les fracas de l’Histoire.
Notre identité, à la différence d’autres villes de France et du monde, ne se trouve pas uniquement dans l’héritage d’un patrimoine, dans la beauté d’une géographie, de monuments ou de paysages. Notre identité, c’est la singularité des Marseillais, c’est la force de ce que nous sommes, nous les Marseillais.Nous sommes les héritiers de ces milliers de femmes et d’hommes qui ont survécu aux pogroms et aux génocides, aux famines et aux guerres, à la misère et aux totalitarismes.Nous sommes les enfants des Arméniens, des Marocains, des juifs de Grèce ou d’Europe de l’Est, des Espagnols, des rapatriés, des Comoriens, des Tunisiens, des Italiens ou des Algériens.Nous sommes les descendants des oubliés de l’Histoire, des damnés de la terre, les fils et les filles de ceux qui ont un jour trouvé dans Marseille, une survie, un espoir, une ville des possibles.
Cette histoire, c’est aussi mon Histoire, celle de pauvres immigrés italiens, des babis arrivés à pieds des Alpes italiennes, des ritals débarqués en bateau de Naples, sans autre bagage que leur soif de vivre. Ils pensaient aller jusqu’en Amérique, mais c’est ici, à Marseille, qu’ils ont refait leur vie, non loin d’ici, rue Sainte-Françoise. Et c’est cela, l’identité profonde des Marseillais. C’est cette énergie et cet espoir qui irrigue les 111 quartiers de notre ville. Et même les provençaux du début du siècle dernier, ou ceux arrivés récemment par le TGV, c’est toujours l’espoir d’une vie meilleure, pour eux comme pour leurs enfants.
Cette idée puissante, qu’on peut changer la vie, refuser la fatalité, changer de destin et vivre dignement à la force de la débrouille, du travail et à la force de son envie de vivre.C’est de prendre en main notre vie, et de faire de cette ville la nôtre. Car comme le disait Izzo, “Marseille appartient à ceux qui y vivent”. C’est mon rêve pour Marseille, et ma promesse.