Référendum ? « Liberté, ta gueule ! »
17h45 À l’entrée du Toursky, des gilets jaunes venus voir Étienne Chouard, le gourou controversé de la démocratie directe. À la réception, un polycopié : « Le référendum dans l’anti-constitution française. »
18h12 Jean-Marc Coppola, du PCF, a été invité comme le député LREM Mohamed Laqhila : « Je lui souhaite bien du plaisir ! » Prudent, le communiste décide de rester côté public « pour écouter » alors que le marcheur monte en tribune.
18h25 En rouge, Richard Martin ouvre son théâtre et la soirée : « Le saltimbanque que je suis a décidé de vous faire le cadeau que je peux. » Appelant à un « débat fraternel », il récite du Léo Ferré. Puis une « lettre aux gilets jaunes » pour mettre de la « culture » dans leurs doléances.
18h38 Un peu de pub ! Notamment pour « l’avant-première » du film sur les « gilets jaunes » de « François Ruffin ». Qui cherche, d’après un militant associatif, des « gilets jaunes de terrain. Pas des intellectuels ! Que des gilets jaunes… »
18h46 Au tour de Laqhila : « Ce soir, y avait les vœux à l’Assemblée. J’ai préféré être ici que boire du champagne. » Et d’expliquer pourquoi il a récemment viré une délégation de gilets jaunes : « L’un d’eux m’a dit qu’on était tous des guignols. » Ça gronde : « Y a que la vérité qui fâche ! » Sous les huées, Laqhila abdique : « Le débat ne peut avoir lieu. » Martin se fâche : « Si on ne respecte pas une méthode, ça part en brioche ! » Chouard chuchote : « Ça va bien se passer… »
18h53 Laqhila s’en va. Place à Chouard et sa méthode pour s’émanciper des « élus. Pas pour qu’ils disparaissent. Mais pour plus de contrôle. Le pouvoir a besoin de limites : la constitution. Mais c’est un fake. On n’a pas le droit de vote. Juste d’élire des maîtres, les plus riches. Et ça donne le capitalisme. »
19h02 Illustration avec l’article 3 de « l’anti-Constitution » : « La souveraineté appartient au peuple. Mais il l’exerce… par ses représentants. Ou par référendum. Qui sont à l’initiative du Président ou des parlementaires. Dans ces conditions, la souveraineté, le peuple ne l’exerce pas. Pas besoin d’être un intellectuel. »
19h07 D’où le lien avec « les gilets jaunes. Depuis 15 ans, je fais des ateliers constituants. C’est passionnant mais ça n’avance pas vite. Et je me demandais quand les citoyens allaient se réveiller. Jusqu’à ce qu’apparaissent les gilets jaunes. Au début, j’ai pas compris. Descendre dans la rue pour de l’essence… Mais ces gens ont refait société, établi des doléances. Et est apparu le référendum d’initiative citoyenne. Une pépite. Une révolution ! Parce que c’est constituant. Plus besoin d’en passer par un maître. Même si, par habitude, les gilets jaunes l’ont demandé. Mais croyez-vous que ceux qui nous ont enfermés vont nous donner l’équivalent pour le système de domination parlementaire de la bombe atomique ? »
19h22 Petit détour par la « démocratie athénienne. N’écoutez pas ceux qui disent du mal de moi, écoutez-moi. Ce n’est pas un modèle. Mais, à Athènes, avec le tirage au sort, ce sont les pauvres qui ont le pouvoir et les riches qui payent l’impôt… » Et celui qui voudrait « débattre » de fustiger ces « voleurs de parole qui me traitent de fasciste, de confusionniste. Peut-être parce qu’ils ont les jetons ! Alors que les gilets jaunes, eux, confirment ce pour quoi je me bagarre : ils se mettent ensemble sans prêter attention aux drapeaux politiques tout en se méfiant de toute représentation. Ce qui est sain pour un processus constituant. »
19h34 Commence, polycopié à l’appui, une démonstration sur les règles de la représentation : tirage au sort, mandat impératif, intérêt de filmer les réunions… Ça s’impatiente. Alors Chouard revient à « notre cause commune, le RIC. Il ne sert à rien de le réclamer. Il va falloir l’écrire. Et devenir constituants. » La promesse d’« un monde nouveau ! ».
20h00 En attendant, retour au polycopié. Des doigts se lèvent. « Je suis aussi impatient d’entendre vos objections que vous de les formuler. » Mais, quoique assurant ne pas « dire la messe », il veut aller jusqu’au bout, décortiquant la mise en œuvre du RIC : initiative individuelle ou collective, référendum municipal, départemental, délais… La salle commence à se vider. Alors le prof promet des « travaux pratiques. Attention, il faudra vous mettre à 4 ou 5 par atelier, pas plus. Sinon, certains ne pourront pas parler. Et c’est frustrant. » Martin rebondit : « Ce serait bien que tu abrèges ! »
20h30 Tristan, un gilet jaune, explose : « Excusez-moi, le RIC, réécrire la Constitution, c’est très bien. Mais, nous, en face, on a les flics, l’armée ! Et à vous écouter, on a l’impression que le juridique, miraculeusement, va tout régler ! » Réplique de Chouard : « La solution, ce n’est pas la Constitution. C’est qu’il y ait des soldats – les citoyens constituants – derrière. Si on va à la castagne, on va se faire massacrer. Il faut préparer le monde d’après. » 20h35 Le débat commence. Quand Eddy demande s’il ne vaudrait pas « mieux se saisir d’une Constitution qui existe plutôt que perdre notre temps à l’écrire », le prof fait la moue : « C’est comme de dire que les lignes de « a » d’un enfant ne servent à rien. Or c’est comme ça qu’on apprend à écrire ! »
20h52 Gilles est jaune. Et pense que « sous le casque, y a un cerveau et derrière le bouclier, il y a un cœur. » Ça applaudit mollement…
20h55 Chouard demande : « Qui serait d’accord pour faire un atelier constituant ? » Quelques mains se lèvent : « Ah, pas tout le monde… » Martin, royal : « Je peux vous laisser une salle pour travailler toute la nuit ! » Dans des travées désormais clairsemées, ça cause rôle des représentants, RIC national vs RIC local, monnaie locale, débat national… 21h22 Armand tonne : « Le pouvoir, ça se prend. Si vous vous sentez guerrier, allez à la guerre, constituez-vous en phalange. Y a des quadra qui ont fait leur service, des flics, des militaires, on peut vous apprendre ! Et boycottons les élections, les médias… Soyons prêts, comme nos ancêtres, à crever pour notre pays ! Créons-le, nous, le chaos ! » Chouard, qui citait juste avant le père du Frexit François Asselineau, rebondit : « L’anarchie est la littérature politique la plus enthousiasmante qui soit ! »
21h32 Valérie, pour qui le peuple est comme une « femme battue qui a du mal à quitter son bourreau », évoque le « conseil national de transition », né sous Sarkozy, qui promeut le RIC. Chouard est dubitatif, alors que « sur la transition, y a Yves Chouard qui a travaillé sur une Constitution provisoire. Il n’est pas de ma famille… »
21h40 Jean-Louis demande à Chouard s’il n’écrirait pas l’équivalent de Indignez-vous ! sur le RIC. Ça tombe bien, il va sortir un « manuel » et un « cahier de travaux pratiques ». 22h07 Une queue se forme au pied de la scène pour avoir le micro. Chouard fatigue : « On est de moins en moins nombreux. Faudrait en profiter pour faire un atelier. » Sans succès.
22h14 Coppola s’en va. C dans l’air aussi. Chouard n’écoute que d’une oreille : « Il va falloir abréger pour le théâtre. »
22h21 « Demain, je rentre chez moi et j’écris. Et après ? », demande Myriam. Chouard : « Il faut être nombreux. Sinon, on ne sera jamais légitime. Faut que le corps social se transforme. Je n’ai pas mieux à proposer. Je me donne du mal depuis 15 ans. » Réplique assassine : « Ça peut donc encore durer 15 ans. » Chouard se rabat sur ses fans. Ou ceux qui n’ont pas tout compris…
22h50 Enjoignant les militants à investir, voire « occuper », les théâtres, Richard Martin vient délivrer Chouard mais son chien, sur le bord de la scène, commence à aboyer : « Liberté, ta gueule ! »