« Les conditions sont réunies pour relever le défi »
le Ravi : Selon Manuel Valls, l’assurance chômage des intermittents du spectacle est « une forme indirecte de soutien à la création artistique ». Sous-entendu : mieux vaut aider autrement les artistes qu’à travers ce mécanisme d’assurance chômage. Que répondez-vous au 1er ministre ?
Danièle Stefan : L’argent doit être mis dans l’emploi, pas dans le chômage, effectivement. Ce qui fait problème, ce n’est pas les chômeurs, c’est le chômage. Manuel Valls propose une espèce de subvention, si l’accord est signé à l’Unedic, pour pallier aux problèmes que rencontreraient les plus précaires. Ça veut bien dire qu’il dénonce un accord inéquitable. Il dit donc : « cet accord n’est pas défendable, mais pourtant nous allons le signer quand même ».
Pourquoi ne pas créer une caisse autonome comme le suggèrent certains ?
D. S. : Il n’y a pas de statut des intermittents. Notre véritable statut, c’est salarié. Comme tous les salariés, nous avons droit à toutes les protections sociales. Le chômage en fait partie. Toutes les caisses sociales sont un pot commun. Nous ne finançons pas notre chômage : c’est l’ensemble des salariés qui finance l’ensemble du chômage. Et nous sommes les seuls chômeurs qui avons obligation de travailler pendant que nous sommes indemnisés pour pouvoir voir nos droits reconduits.
Les « permittents », les salariés qu’on emploie de façon permanente mais sous le régime des intermittents, sont-ils un vrai problème ?
D. S. : Oui et nous le dénonçons ! Cela concerne entre 6 et 7 % de l’ensemble des intermittents. Mais c’est inadmissible. J’ai écouté une émission sur les intermittents du spectacle sur France Culture. J’ai appris que les deux animateurs vedette de cette émission, qui travaillent sur cette antenne tous les jours, toute l’année, depuis des années, sont des intermittents. Comment peut-on ne pas leur faire un contrat en CDI ?
Les présidents de festivals, les directeurs de théâtres sont solidaires de votre lutte ?
D. S. : En général, les directeurs nous soutiennent bien tant qu’il n’y a pas la grève dans leur festival…
Olivier Leberquier : Les Fralib soutiennent, eux, pleinement l’action des intermittents du spectacle ! Tout le long de notre conflit, le monde de la culture est venu se joindre à nous. Parfois on entend dire que « en France quand on fait grève ça ne se voit plus. » Nous ça s’est vu et là, avec les intermittents, ça se voit aussi. Est-ce les intermittents qui vont trop loin ? Ou bien n’est-ce pas plutôt le monde financier, les capitalistes et les grands chefs d’État ?
1 336 jours de lutte chez les Fralib et enfin la signature d’un accord avec le groupe Unilever, avec 60 salariés qui reprennent l’activité sous forme de Scop… C’est désormais une usine sans patron ?
O. L. : Complètement. Il y aura des responsables, mais nous voulons une direction horizontale, avec l’ensemble des salariés. Des assemblées générales se réuniront au moins une fois par an pour désigner le conseil d’administration et les lignes à tracer sur la politique salariale. Si on est 60 à travailler, on sera 60 à réfléchir et à prendre la décision. On aura plus de chances de ne pas se tromper qu’à un tout seul, du haut de son building dans un bureau feutré. Je fais le parallèle avec l’entreprise dans laquelle j’ai travaillé depuis trente ans : une multinationale dictait la ligne à des cadres payés grassement. Ces cadres se réunissaient très régulièrement, c’était 90 % de leur travail, pour définir non pas les meilleurs choix pour l’entreprise, mais ceux conformes aux décisions de la multinationale.
C’est une chose de mener une lutte, c’en est une autre de lancer une marque, de la commercialiser. Vous pensez pouvoir relever le défi ?
O. L. : Les conditions sont réunies pour nous permettre d’aborder le défi qui nous attend de la manière la plus optimiste possible. Sur une boîte de thé vendue dans le commerce par Unilever entre 1,80 euros et 2,60 euros, le coût de la masse salariale en incluant les cadres dirigeants qui se payaient grassement, c’était seulement 14 centimes. Le problème, ce n’est pas le coût du travail, c’est celui du capital.
Votre intention aussi c’est de produire différemment en relocalisant. Pourquoi ?
O. L. : Un petit mot sur le tilleul à titre d’exemple. Le parcours du tilleul estampillé bio d’Unilever, c’est Amérique Latine – Europe de l’est. Il arrive au port de Hambourg, puis traverse l’Allemagne une première fois, 600 km, pour être coupé. Puis il retraverse l’Europe pour aller en Pologne afin d’être conditionné. Enfin, il reprend la route pour être vendu en France. Nous, on a déjà pris des contacts avec des producteurs des Baronnies dans la Drôme. Ils sont même prêts à créer tout de suite une coopérative de récolte du tilleul, donc à recréer une filière qui a été détruite par les multinationales. Quand, dans les années 2000, on s’approvisionnait encore au niveau local, la production annuelle en France c’était 400 tonnes. Aujourd’hui ce n’est plus que 10 à 15 tonnes.
Vos batailles sont-elles purement corporatives ou peuvent-elles être transposables et bénéficier à tous ?
D. S. : Déjà, le mouvement des professionnels du spectacle mobilise plusieurs syndicats, des coordinations, des non syndiqués. Nous sommes tous sur le même bateau. Ensuite, depuis le début du conflit nous dénonçons l’ensemble de l’accord, et pas seulement les attaques contre nos annexes. Le Medef l’a rêvé et il l’applique : vider de son sens l’annexe des intérimaires ; faire payer les retraités puisque maintenant, si l’accord s’applique, ils vont avoir pour la première fois une cotisation Unedic ; baisser les droits des salariés du régime général…
O. L. : Que ce soit avec notre fédération ou l’interprofessionnelle, on a fait la démonstration qu’on a eu beaucoup de solidarité dans la CGT, et même avec d’autres syndicats qui n’étaient pas forcément présents sur le site de Gémenos mais qui nous soutenaient. Depuis la fin de l’année dernière, l’Union départementale CGT met en place une convergence pour l’ensemble des conflits dans les Bouches-du-Rhône…
Annuler un festival, faire grève, pour les travailleurs du spectacle, n’est-ce pas se tirer une balle dans le pied ?
D. S. : La grève n’est pas l’annulation. Fralib en sait quelque chose. Si on annule, c’est qu’on ferme l’entreprise et si on ferme l’entreprise on ne peut plus lutter. C’est extrêmement dangereux de faire grève pour nous, parce que nos entreprises sont toujours fragiles, courtes dans la durée. Je connais des grévistes sur le festival de Marseille qui ne boucleront pas le nombre d’heures qui leur permettra de toucher le chômage l’an prochain.
En France, les gens adhèrent de moins en moins aux syndicats. Comment expliquez-vous cela ?
O. L. : Vous nous permettez de nous exprimer aujourd’hui sur radio Grenouille mais ce n’est pas le cas sur toutes les chaînes et les radios, en particulier nationales. L’ancien secrétaire général de la CGT Bernard Thibault, en 14 ans de mandats, n’a jamais fait un 20 heures de France 2 ! Est-ce que c’est normal ça ? C’est pourtant la plus grande centrale syndicale !
Propos recueillis par Michel Gairaud, Rafi Hamal et mis en forme par Nicolas Puig.