Mordre le « Trets »
Conseil municipal sous tension le 13 novembre à Trets. Et pas seulement parce que la campagne pour les municipales se dessine. Une semaine plus tôt, en démissionnant, Évelyne Berreni, élue aux écoles, a donné le « la ». Premier SMS d’un observateur attentif de la vie tretsoise : « 2 minutes de conseil… Clash, démission ! » C’est Georges Luvera, l’adjoint au sport. On en reçoit deux autres. « Et une démission dans les arrêts de jeu » : l’élue aux festivités, Sylvie Rimedi. « Et une en rentrant au vestiaire » : Patrice Perez, à la sécurité. En tout quatre nouveaux départs dans la majorité du maire LR, Jean-Claude Féraud, soit depuis 2014 une dizaine !
Et tous les démissionnaires de pointer le traitement qu’ils ont subi comme celui des dossiers dont ils avaient la charge. Si, ce jour-là, l’opposition s’est interrogée sur les 10 000 euros de frais d’avocats engagés contre plusieurs « membre[s] du personnel », il n’y a pas que la gestion « RH » qui, dans la ville de Jean-Claude Féraud, est « Trets » singulière.
Le maire, comme son père et son fils, est viticulteur au Domaine de l’Anticaille. Ces dernières années, au grand dam de l’opposition, son vin s’est retrouvé à plusieurs reprises dans le colis de Noël des anciens (comme en 2015, pour plus de 5000 euros). Et en bonne place du Salon de la gastronomie, une manifestation organisée par Trets Événementiel, association qui bénéficie de subsides de la ville (5000 euros en 2018) comme du Département (30.000 euros en 2017) où siège Féraud.
Des amis qui vous veulent du bien
Il y a peu, c’est une barrière métallique à l’entrée du domaine viticole du maire qui a défrayé la chronique. Un ouvrage qui a depuis disparu. Mais qu’on a pu suivre à la trace puisque des tags d’un mystérieux « corbeau » indiquant « barrière de l’Anticaille ici » ont fleuri sur l’école de musique puis sur les services techniques. Elle aurait même été, à en croire des photos qui circulent, découpée pour être installée sur une piste DFCI (voies de défense des forêts contre l’incendie). Or, celui qui l’a fabriquée, ce serait, de son propre aveu, un employé municipal : le ferronnier de la ville, Julien Barnel ! Un spécialiste des barrières mais qui n’est plus en odeur de sainteté. Après s’être plaint de voir « tous [ses] devis » refusés et avoir porté plainte contre le maire, son local vient d’être supprimé. Une hérésie pour l’opposition, qui juge plus onéreux le recours à des prestataires.
De fait, à Trets, la gestion des marchés publics questionne, en attestent des enregistrements que le Ravi a pu consulter. Comme celui où la directrice générale des services (DGS), Margaret Arrighi-Roubaud, voit son attention attirée sur une entreprise qui « aime bien travailler avec [ses] amis » : « Nous aussi, dit-elle. Si on a les mêmes, c’est bien. »
Ces documents font état de réunions en mairie avec des entrepreneurs. Et qu’importe le caractère « plus qu’illégal du rendez-vous » que reconnaît l’un d’eux. En apprenant faire partie des entreprises retenues pour un marché, il annonce : « Je vais faire ce qu’il faut parce qu’on est motivé pour être à vos côtés. Après, baisser un prix pour baisser un prix, ça n’a pas de sens. » Réplique de la DGS : « Soyez conscient que vous êtes confrontés à des très gros… »
Aménagements conciliants
Dans un autre enregistrement, le maire et sa DGS accueillent un entrepreneur ainsi : « Vous n’êtes plus les meilleurs ! Et de loin… » Informé des prix pratiqués par la concurrence, il dit qu’il sera « difficile de s’aligner ». Le maire revient à la charge : « Qu’est-ce que vous pouvez faire ? » Alors, pour revenir dans la course et éliminer l’entreprise qui est arrivée en tête, ce dernier suggère : « Si vous parlez de prix “anormalement bas”, il va vous les justifier. La seule chose à faire, c’est demander des sous-détails de prix et estimer qu’il y a des incohérences. » Or, à l’écoute, il semble que la discussion a lieu après la phase de « négociation » ! D’après un fin connaisseur des marchés publics, « normalement, à ce stade, après ouverture des plis et négociation, vous ne pouvez plus rien faire ! » Et l’élue d’opposition Stéphanie Fayolle de déplorer : « On a demandé à faire partie de la commission d’appel d’offres. En vain. »
À en croire une réunion fin 2015 entre le maire, la DGS et le responsable des aménagements, à Trets, on se fait un point d’honneur de « manger tous les budgets ». En apprenant que, pour les travaux d’aménagement de la rue Féraud, n’a été consommé que « 50 % de l’enveloppe » du Conseil départemental, Jean-Claude Féraud qui vient d’y être élu lâche : « C’est dommage. » L’aménageur renchérit : « C’est même totalement imbécile. Après, il va falloir s’entendre sur les éléments que l’on va envoyer pour pas qu’ils nous disent “ça, c’est pas Féraud”… » Et de se demander si le Département sera « regardant ». La DGS, en parlant de son patron de maire, confiante : « Vous savez, je connais le nouveau conseiller départemental, ils vont être regardants sur plus rien ! » Et Féraud, fraîchement élu au CD, de se vanter : « Le mec des routes, c’est mon copain. »
Il n’y a pas qu’avec cette collectivité que Trets louvoie. Lors de cette réunion, le trio s’inquiète de l’arrivée de la métropole. Et s’empresse de trouver un projet pour un terrain qui semble intéresser la nouvelle collectivité. Sans quoi, redoute l’édile, « la métropole va nous foutre du logement social pourri […] On est dans un sprint. La métropole, on va leur filer les compétences, les terrains et ils pourront faire ce qu’ils veulent. Si j’ai 13 Habitat qui me fait une résidence et qui me met 50 personnes de Marseille… » Aujourd’hui, il siège au sein de cette collectivité présidée par Martine Vassal. Et brigue un nouveau mandat sous l’étiquette qu’il a, avec le maire de Mimet Georges Cristiani, lui-même créée : « maire de Provence ». Tout un programme !
N. B. Malgré nos nombreuses sollicitations, ni le maire ni son entourage (en particulier son fils et la DGS ou les entrepreneurs identifiés) n’ont donné suite à nos demandes d’entretien.