La politique est un sport de coups bas
Comme l’écrivait Octave Mirbeau : « Une chose m’étonne, c’est qu’à l’heure où j’écris, il puisse exister dans notre chère France un électeur » (1). On peut s’étonner qu’il reste aussi des candidats ! La bataille pour les prochaines municipales a pourtant commencé et les prétendants ne manquent pas. Sont-ils tous « maso » ? En tête, le drame de Signes (83) où le maire a été tué et qui a vu le Sénat consulter ses élus pour « mettre au jour les risques auxquels ils sont confrontés ». On pense aussi aux cocktails Molotov jetés sur le domicile de la maire PC de Port-de-Bouc (13) qui vient d’annoncer qu’elle ne se représentait pas. Violence aussi sur les murs de Trets (13), où un « corbeau » vise ouvertement le maire. Et d’appeler « à l’aide » La Provence et Anticor !
À Aix-en-Provence (13), alors que la maire (LR) Maryse Joissains, candidate à sa succession, est suspendue à la décision de la cour de cassation, un de ses adjoints, Jean-Marc Perrin, a reçu une lettre anonyme le menaçant si jamais il se présentait : « C’est classique. Je ne veux pas banaliser ce qui reste odieux mais, ayant dirigé 4 campagnes, je relativise. Les excréments, mieux vaut laisser sécher que remuer. Avant que ça ne sorte, je ne voulais pas en parler. Parce que ma mère suit tout ce que je fais sur Facebook ! »
Un monde de requins
Soupir de l’élu d’opposition Lucien-Alexandre Castronovo : « C’est une tradition à Aix où, en 2008, les élections avaient été annulées suite à des tracts nauséabonds. Attendons-nous donc à tous les coups fumeux », assène celui pour qui « en politique, il faut une armure, des tanks et toujours une cartouche de plus que l’adversaire ». Il y en a pour tout le monde puisque Mme le maire a reçu sa missive l’enjoignant de se débarrasser de son élu à l’urbanisme, au centre de toutes les attentions.
La politique, c’est une guerre de territoires. Et pas seulement quand le député marseillais Jean-Luc Mélenchon s’interpose face à la perquisition des locaux de la France insoumise, menacé de trois mois de prison avec sursis. À Istres (13), l’opposant LR Robin Prétot a vu le maire lui refuser l’accès à un parc pour lancer sa campagne : « Nous avons fait un recours. En vain car il nous a mis à disposition la grange d’Entressen. Une salle plus excentrée mais le meeting s’est bien passé. Ça donne le ton, le climat. La politique, c’est un monde de requins. Mais, entre le savoir et le vivre, il y a un monde. » Comme lorsqu’il faut faire attention que « des personnes proches de nous ne soient pas vues à nos côtés ».
Lionel Jaréma du PS n’est pas épargné : « Dans le journal municipal, la dernière phrase de notre tribune a sauté. Certes, notre texte était un peu trop long. Mais ça aurait pu se régler autrement. » Et celui qui se souvient des « soirées de collage où il fallait tourner à deux voitures » de prédire : « Ça va être violent car, en face, l’animal est blessé. » Istres et son maire, François Bernardini, sont dans le viseur du parquet national financier.
« Les excréments, mieux vaut laisser sécher ! »
Comme Marseille où les échanges au conseil municipal sont toujours aussi rugueux. Notamment entre LR et le RN. Pourtant, le frontiste Stéphane Ravier se voulait presque diplomate pour plaider la cause d’une savonnerie. Mais, en entendant son groupe qualifié de « clique », il explose : « J’ai beau être catho, si on me tape sur la joue gauche, je tends pas la droite ! »
Le RN, des victimes ? Gonflé quand on sait qu’un ex-colistier, Michel Catanéo, a porté plainte pour « violences » contre lui. Du « délire », balaye Ravier. Catanéo, lui, se veut « confiant » quant à l’enquête mais « toujours choqué. Ça me poursuit. Je fais attention dans mes déplacements. Et je ne vais plus dans les hémicycles où je suis élu ». Mais celui qui chantait, dans le groupe Without Sense, Schizophrenia compte bien se présenter sous l’étiquette « Éthique, euh… Équilibre, Justice, Logique ».
Un qui est intraitable, c’est le député centriste de Gardanne François-Michel Lambert. Lui qui, avec la réforme des emplois familiaux, avait dit préférer démissionner plutôt que licencier sa compagne n’a pas apprécié que le Ravi revienne sur le sujet (Cf n° 175) : « On s’engage pour un idéal donc la violence, on n’y est jamais totalement préparé. Mais c’est inhérent à tout univers où il y a du pouvoir et de la compétition. Qu’on fouille mes poubelles pour voir si je suis écolo, ok. Mais pas question qu’on touche à mon entourage. » Et de se souvenir d’un journaliste qui « m’a demandé s’il était vrai que j’habitais chez… ma femme ! Qu’on s’interroge aussi sur le fait que mon fils vive dans ce qui était ma permanence, je n’arrive pas à le concevoir », soupire Lambert en promettant de raccrocher les gants « en 2022 ».
Banalisation de la violence
Un autre à deux doigts de jeter l’éponge, c’est Christophe Madrolle. À couteaux tirés avec Lambert et Jean-Luc Bennahmias pour le contrôle de l’Union des démocrates et écologistes, voilà que La Marseillaise révèle qu’il est propriétaire dans une cité dégradée : « Une manœuvre pré-électorale », dixit celui qui, candidat à la candidature pour la mairie de Marseille (option macron-compatible), estime que « le combat politique n’autorise pas tout ». Lambert, amer : « C’est comme les Beatles. Comment en arriver là quand on a tant fait ensemble ? »
Le vert Denis Grandjean, lui, doit batailler avec ses anciens « camarades » d’Aubagne en commun : « Militer dans un parti indiscipliné m’a un peu blindé. Mais la violence, c’est une façon d’empêcher les autres de rentrer sur le terrain. » De quoi faire écho à la garde à vue du militant Kevin Vacher qui, suite à une action de soutien en faveur des délogés, sera jugé pour « violences ». Un procès à ses yeux « politique » dans un contexte de « judiciarisation de l’action citoyenne » : « On est à un moment-clé pour le renouvellement des pratiques. Alors plus on se rapproche des échéances, plus c’est tendu. » Une tension parfois difficile à supporter pour des militants hésitant à se mettre « en retrait ».
De fait, le monde de la politique n’est pas sans ambivalence. Alors qu’Anticor travaille aussi sur la souffrance au travail dans les collectivités, l’association croule autant sous les demandes de « charte », de « label » de candidats que sous les dossiers dénonçant leurs turpitudes… Alors Pierre Brajou, de l’Association nationale des directeurs d’associations de maires, prend un peu de hauteur : « Il y a certes une banalisation de la violence. Mais ce n’est pas ce qui fait renoncer à se présenter. C’est le quotidien, les intercos où l’on passe de plus en plus de temps avec de moins en moins de pouvoir. Le fait pour un élu de voir sa responsabilité engagée sur des questions d’urbanisme… Et puis, l’attachement à la commune n’est plus le même. » Avant de glisser : « Dire qu’on ne se présente pas, ça permet aussi de calmer la concurrence, de pousser quelqu’un de votre équipe… ou faire en sorte qu’on vous tire par la manche ! Je n’ai pas encore vu de commune sous tutelle faute de candidat ! »
En attendant, dans les coulisses de LREM, on est effaré par la violence qui règne. « Depuis l’affaire Benalla et les gilets jaunes, mon smartphone à l’effigie de Macron, je ne le sors plus », avoue une petite main qui, évoquant les permanences dégradées, les jets de pierre et autres noms d’oiseaux, confesse qu’« en interne aussi, c’est tendu ». Après tout, si la politique, c’est violent, c’est peut-être parce que les politiques le sont. Et si la compétition est si rude, c’est que le jeu en vaut la chandelle.
1. La grève des électeurs.