Mad Mars, la nouvelle gauche morale
« Objet politique non identifié », selon ses mots, Mad Mars s’est imposé en peu de temps dans le paysage politique marseillais. Avec son logo de start-up et ses slogans chargés de com’ positive, le collectif fondé à l’été 2018 par des communicants, des journalistes et des entrepreneurs, a su surfer sur un sujet central avant les élections municipales de 2020 : celui de l’union des « progressistes », « de la FI à LREM », face à l’équipe sortante (LR) et au Rassemblement national. Sa soirée organisée au Dock des Suds, le 7 juin, a même réuni 400 personnes, dont des élus de tout l’éventail ciblé.
Le discours du « soyons fous, croyons en la politique » est incarné par Olivia Fortin, fondatrice charismatique de Mad Mars. Une habituée de la mise en scène par son taf d’entrepreneuse en événementiel, qui organise, via ses boîtes Wooom et Organik, des moments strass et paillettes pour le sport et le show-biz, mais aussi pour des institutions et des entreprises comme des banques ou le promoteur immobilier Constructa.
Storytelling rôdé
Dans un storytelling rôdé, la quadra au tutoiement immédiat dit être tombée dans la politique en 2016 après une rencontre avec un stagiaire de 3ème issu des quartiers nord, et s’être alors formée en accéléré à Sciences Po Paris, option optimisation de la fonction publique municipale. « Aujourd’hui, si on n’a pas une fonction publique qui marche, on ne pourra rien faire », résume celle qui ne cache pas qu’un poste d’adjointe dans ce domaine pourrait l’intéresser.
Peu commun en politique, le profil est à première vue macron-compatible même si Mad Mars, qui revendique 200 membres, a désormais écarté l’idée d’une alliance avec LREM. Olivia Fortin travaille aussi depuis 2012 pour la Fondation Jean Jaurès, liée au PS, et a organisé le congrès du parti à Aubervilliers en 2018. Mad Mars a rencontré Raphaël Glucksmann en décembre. Le collectif, une stratégie de réinvention du PS, façon Place Publique ? « Je ne connais pas une seule personne, au conseil d’administration de Mad Mars, qui ait été encartée au PS, écarte Benoît Payan, président du groupe socialiste au conseil municipal de Marseille qui dit vouloir rester à une certaine distance. Dans une ville où la médiocratie politique a toujours tenté de récupérer les associations et les collectifs, il faut être capable de s’effacer. »
Le réseau de Mad Mars s’est monté par capillarité autour d’Olivia Fortin. Devenue, en 2016, l’ambassadrice à Marseille d’un dispositif pour faciliter les stages en entreprises des jeunes des quartiers, elle a agrégé par ce biais des enseignants, travailleurs sociaux et entrepreneurs de l’économie sociale et solidaire. « C’est aussi ce qui fait qu’on se sent autorisé à penser la ville, parce que nous avons prise sur les choses via l’action sociale, indique Mathilde Chaboche, membre de Mad Mars, elle-même en charge à l’école Centrale de Marseille des actions d’insertion en direction des quartiers. Et nous sommes très en prise avec tout ce qui ne va pas dans cette ville. Tout ce que je vois dans mon boulot me révolte, de façon totale ! » Une des revendications principales du collectif est un investissement massif de l’action publique dans les quartiers populaires de Marseille, bien que ses membres, plutôt issus des classes intellectuelles supérieures, n’en fassent pas partie.
Rééduquer le politique
Présent à la soirée de Mad Mars, le politologue Vincent Geisser a été surpris d’y reconnaître de nombreuses personnalités de l’ancienne gauche, « des gens qui ont un vrai parcours militant et un réseau d’interconnaissances, des figures qui ont pu appartenir à un mouvement politique mais qui n’ont jamais trempé dans le côté électoraliste ». Parmi lesquels il cite Alain Fourest, membre d’associations de défense des minorités, ou encore Christian Bruschi, avocat et initiateur de Réinventer la Gauche. « Mad Mars s’inscrit dans la filiation de la gauche pédagogique, vers le peuple et le politique : on va rééduquer le politique et continuer à éduquer le peuple, avec un programme de démocratie participative, très moral », poursuit-il.
Il y a parfois même filiation au sens premier. Marc Rosmini, membre actif de Mad Mars, fondateur des philosophes publics à Marseille, est le fils de Frédéric Rosmini, figure de l’ancienne garde du PS et du syndicalisme marseillais, lui aussi à Mad Mars. Olivia Fortin elle-même est la fille de la cousine de Pierre Rastoin, ancien maire PS des 13ème et 14ème arrondissements à l’époque du maire Robert-Paul Vigouroux. Olivia Fortin n’a rencontré son aïeul, dans l’héritage duquel elle se reconnaît, que sur le tard : « Il n’y a pas de sentiment de filiation, parce que j’ai été élevée dans une famille plutôt bourgeoise de droite, lui c’est l’exception. » Marc Rosmini commente : « Mon goût pour la chose publique a pris une voie différente de mon père, je suis devenu professeur de philosophie plutôt qu’élu. Mais faire les philosophes publics, c’est très politique. »
Seul hiatus, lors de la soirée du 7 juin, la gauche pédagogique est restée dans un entre-soi. « On parle des quartiers populaires, mais ils n’étaient pas là, pas plus que les classes moyennes qui y vivent », pointe Vincent Geisser. « Nous ne prétendons pas être représentatifs de tout Marseille et avoir toutes les solutions, répond Frédéric Legrand, journaliste et membre de Mad Mars (1). De toute façon, cette ville ne pourra pas fonctionner si les quartiers populaires ne prennent pas leur place. Elle va exploser. »
1. Il est aussi un ancien administrateur bénévole de la Tchatche, l’association éditant le Ravi.