Chère Sophie, présidente de la Sodexo S.A.
Chère Sophie,
Nous sommes le Collectif des écoles de Marseille. Nous sommes parents d’élèves, enseignants, agents territoriaux, acteurs de l’école publique et nous sommes inquiets. Nous l’avons d’ailleurs exprimé ce lundi 6 avril dans une tribune que vous trouverez ici.
Les établissements scolaires ont fermé le 16 mars dernier. Cela fait donc aujourd’hui 14 jours d’école que les enfants ont passé confinés chez eux et donc 14 repas à la cantine qu’ils n’ont pas consommés. Cela représente un total d’environ 700 000 repas qui auraient dû être préparés, acheminés et livrés par vos services conformément à délégation de service public que la ville de Marseille vous a confiée pour gérer son centre de production de Pont-de-Vivaux. Nous savons que ce repas de midi pris à la cantine 4 jours par semaine, constitue pour certains enfants le seul vrai repas de la journée.
Nous vous signalons que sur la période scolaire 2018/2019, 1 265 familles ont bénéficié de la gratuité totale, 14 647 familles ont bénéficié du tarif réduit dans le 1er degré. Les critères d’attribution de ces tarifs sociaux sont basés sur le quotient familial : la gratuité des repas est consentie aux familles qui ont un quotient familial inférieur à 157 et le demi-tarif aux familles dont le quotient familial est inférieur à 536 (la délibération du conseil municipal fixant ces critères est consultable ici page 312).
Pour bien mesurer les difficultés que rencontrent ces familles, donnons deux exemples :
- la gratuité sera accordée à une famille monoparentale avec 1 enfant si ce parent gagne moins de 235 € par mois,
- le tarif réduit (soit 1.83 € par repas) sera appliqué aux 2 enfants d’un couple dont le revenu mensuel du foyer est compris entre 480 € et 1 605 € (soit entre 240 € et 802 € par parent).
- Rappelons à toutes fins utiles que le SMIC est à 1 219 € net, le seuil de pauvreté pour un couple avec 2 enfants est estimé à environ 2 000 € (source INSEE 2016). Le seuil de richesse pour un couple avec 2 enfants frôle les 8 000 € (source INSEE 2016).
Pourquoi prendre le temps de rappeler ces chiffres ? Pour souligner l’urgence de la situation vécue par de nombreuses familles suite aux mesures de confinement déclenchées par l’épidémie du Covid19. Car ces familles aux faibles revenus sont aujourd’hui, pour la plupart sans ressources et ne peuvent plus nourrir leurs enfants.
Dès les premiers jours du confinement, nous avons alerté les pouvoirs publics et des représentants de la Sodexo sur la nécessité de prendre les mesures nécessaires pour mettre en place une aide alimentaire pour les familles en situation de précarité. Nous n’avons eu aucun retour.
Face à cette détresse et au manque de réactivité des institutions, la solidarité s’organise, dans les quartiers, grâce au tissu associatif, aux équipes pédagogiques, aux parents d’élèves, aux volontaires. Ce sont une fois de plus les associations et les individus qui permettent de gérer l’urgence, urgence aggravée par le démantèlement orchestré des services publics.
Les cagnottes fleurissent, les points de collecte, les partages, les dons, les initiatives personnelles d’entraide : les uns cousent des masques, les autres font les courses pour les plus démunis, chacun donne du temps, de l’argent, du soutien, mais la situation nécessite que les pouvoirs publics prennent la mesure de leurs responsabilités et répondent aux besoins les plus élémentaires des habitants de Marseille.
La cuisine centrale de la ville gérée par Sodexo, en capacité de produire jusqu’à 55000 repas par jour nous semble être un élément-clé dans la mise en œuvre d’un plan d’urgence pour fournir des colis alimentaires et les distribuer partout dans la ville en collaboration avec les associations et les bénévoles déjà très actifs sur le terrain. Par ailleurs, la réouverture de la cuisine centrale et la réactivation du réseau de producteurs locaux que la Sodexo a su mettre en place serait un soutien considérable au tissu économique du territoire. Il est évident que cette reprise d’activité doit se faire dans des conditions de sécurité sanitaire maximales pour tous les salariés.
Il nous semble inconcevable que Sodexo et les moyens humains et matériels qui lui ont permis de conserver le monopole de la restauration scolaire depuis de nombreuses années, ne soit pas un acteur essentiel de l’aide alimentaire à Marseille.
Nous ne doutons pas que vous saurez convaincre la ville de Marseille que la cuisine centrale de la ville gérée par Sodexo doit être un outil d’entraide et de solidarité dans ce contexte difficile.
Bien à vous,
Le Collectif des écoles de Marseille