Un premier adjoint kamikaze
« Le centre social est un lieu de culture intégré dans le quartier depuis des années. On n’est pas du tout dans ces fonctionnements renfermés et intégristes qui ont été décrits. C’est n’importe quoi ! », insiste Serge Léger, directeur du centre social et culturel Mandela installé depuis des dizaines d’années au cœur de la cité Berthe à la Seyne-sur-Mer. Pourtant, début décembre, cette association – et d’autres sur la commune – ont été vivement prises à partie par Jean-Pierre Colin, premier adjoint centriste de la deuxième ville du Var (1). En effet, 25 000 Seynois ont reçu par la poste sa lettre politique de quatre pages couleur aux accents extrêmes-droitiers.
« Séparatisme. C’est maintenant l’heure de vérité pour les élus courageux. » Le courrier débute avec ces quelques mots et le portrait de l’élu, écharpe en bandoulière. Ce document A4 ne comporte pas les logos de la municipalité, mais reprend l’identité visuelle de la « Coalition» , rassemblement qui a permis à la droite de remporter les municipales en juin dernier. Dans sa lettre, le premier adjoint liste les attentats terroristes qui ont eu lieu en France et dérape dangereusement vers la stigmatisation des associations locales qu’il traite « d’islamo- gauchistes » pratiquant « un art de la dissimulation, en lien avec l’extrémisme ». Il parle aussi de « djihadisme d’atmosphère ». Le centre social y est accusé de « base arrière politique du séparatisme à bas bruit ». Un ramassis de raccourcis islamophobes, stigmatisant la population de la cité Berthe qui n’aurait d’ailleurs pas été destinataire du fameux courrier. Le premier adjoint, également conseiller régional, insiste sur le fait que lesdites associations seront durement contrôlées par un déontologue embauché par la ville. L’ancien maire de gauche, Marc Vuillemot n’est pas épargné. Jean-Pierre Colin l’accuse de laxisme, insinuant que sa municipalité « préférait acheter la paix avec les extrémistes religieux ».
« Djihadisme d’atmosphère »
« Ce sont des propos abominables, et indignes venant d’un élu de la République !, ne décolère pas Marc Vuillemot qui a pris sa retraite politique après le second tour en juin dernier. Ça met la suspicion sur des associations soutenues par la puissance publique, en sous-entendant qu’elles sont hors des clous. C’est très grave. » Pour son ancien maire, La Seyne-sur-Mer ne connaît aucun problème de religion. « Tenir de tels propos, c’est aussi mépriser une population dont on est l’élu », condamne-t-il. Cette lettre politique serait une initiative personnelle. Jean-Pierre Colin mentionne en dernière page qu’il l’a financée sur ses propres deniers. Nathalie Bicais, maire LR a déclaré à Var-matin au moment des faits ne pas avoir été informée de cet envoi aux habitants précisant qu’elle « se désolidarisait des propos tenus », qu’elle n’était « d’accord ni sur le fond, ni sur la forme » et que les propos concernant les associations étaient « agressifs, à la limite de la diffamation ». Évoquant par la suite plutôt « une erreur de timing » (1).
L’opposition écologiste et divers gauche s’est fendue d’une lettre ouverte. Cette dernière rappelle que le discrédit jeté sur les associations seynoises n’était en aucun cas justifié. Que les institutions – dont Colin fait partie – qui subventionnent ces associations les contrôlent aussi. Et surtout que le conseiller régional centriste devait bien mal connaître le tissu associatif local. Pour Olivier Andrau, ancien élu sous Vuillemot désormais dans l’opposition divers gauche, Colin est en pré-campagne des régionales et cherche à ratisser large, à l’image de ce qui a permis à la liste Bicais-Colin de gagner les municipales. Avec des élus de majorité qui vont des LR aux FN. Comme Damien Guttierez. Cet ancien candidat frontiste en 2014 et conseiller départemental, s’est fait virer du FN pour avoir postulé à la présidence du parti contre Marine Le Pen en 2017. « Mais ce qui est grave, c’est que Colin, lui, se dit centriste », s’inquiète Olivier Andrau. La présidence des Centristes au niveau national (parti de centre droit présidé par Hervé Morin, Ndlr) n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Free-style
Mais le premier adjoint n’en est pas à son coup d’essai : au conseil municipal de septembre auquel le Ravi a assisté, Jean-Pierre Colin avait déjà fait une sortie fulgurante. Lors d’une délibération concernant le changement de nom d’une esplanade qui devait être rebaptisée colonel Arnaud Beltrame, l’élu centriste s’était alors lancé dans une diatribe contre l’islamisation du pays et la fameuse « cinquième colonne, dont tout le monde se moquait quand Christian Estrosi prononçait le mot pour la première fois. […] Un désastre, résultat d’une réislamisation laissée en paix par les adeptes de la politique de l’autruche ». Accusant déjà à ce moment-là, Marc Vuillemot d’avoir laissé « s’installer un véritable maillage qui, d’associations en débit de boissons, couvre aujourd’hui quelques pans de notre cité ». « Jean-Pierre Colin, l’élu idéal pour ambiancer vos soirées », avions-nous alors ironisé, relevant déjà la passivité de la maire face à de tels propos.
Au conseil municipal de janvier, l’élue LR Nathalie Bicais n’a pas non plus moufté. Aucune sanction n’a été prise à l’encontre de Jean-Pierre Colin, ni aucune de ses délégations ne lui a été enlevée. La maire se contentant d’un laconique « je ne suis pas ici pour juger les intentions des uns et des autres. Chacun a sa manière de faire de la politique ». Les subventions du centre social ne devraient pas bouger pour cette année. « Jean-Pierre Colin nous a même envoyé une carte de vœux ! C’est à ne plus rien comprendre », sourit Serge Léger.
1. Ni Jean-Pierre Colin ni Nathalie Bicais n’ont donné suite à nos sollicitations.