France-Italie : match nul
Jour de colère à Marseille. Quand les immeubles s’écroulent, le peuple se masse au pied de la mairie : « Gaudin, démission ! » Dans la foule, l’air soucieux, le sociologue d’origine italienne Cesare Mattina : « L’Italie est un laboratoire. Quand on voit ce qui s’y passe, on se dit que cela pourrait surgir ici. Et là, on n’en est peut-être pas très loin. »
Quelques semaines plus tard – après que le ministre de l’Intérieur d’extrême droite et patron de La Ligue Matteo Salvini ait qualifié Macron de « très mauvais président » – son allié populiste, le vice-président du conseil et chef de file du Mouvement 5 étoiles, Luigi Di Maio, rencontre une délégation de gilets jaunes. De quoi raviver une crise diplomatique qui, sur fond de question migratoire, couve depuis quelque temps.
Ancien du « M5S » – il l’a quitté suite à l’alliance avec le père du Brexit Nigel Farage – Francesco Attademo confirme l’intérêt des « 5 étoiles » pour les gilets jaunes : « Il y a des points communs. Une colère populaire, ni de gauche ni de droite, des capacités de mobilisation importantes, le rôle du web. » Mais aussi des différences indéniables : « La présence d’un leader, le comique Beppe Grillo, la volonté de s’inscrire rapidement dans un processus électoral… »
Leader qui décide de tout
Grimace d’un de ses camarades : « Le mouvement n’a pas grand chose à voir avec celui d’il y a 10 ans. Et les gilets jaunes, eux n’ont pas un leader qui décide de tout en se targuant en même temps d’être un mouvement du peuple pour le peuple et pour la démocratie directe. » Souvenir de Francesco : « A l’époque, le mouvement s’est construit autour de petites actions concrètes. On s’invitait avec des caméras dans les conseils municipaux pour voir ce qui s’y passait. Il y avait de grands rassemblements, l’envie de changer les choses ! »
Depuis, le comique génois a été mis sur la touche et l’alliance avec l’extrême droite ne fait plus rire grand monde. Sauf peut-être au Rassemblement national. Lors de sa dernière venue à Fréjus, Marine Le Pen a ouvert son meeting avec Flavio Di Muro, le député de Vintimille, la ville-frontière jouxtant Menton (Cf le Ravi n°166). Un habitué puisque auparavant, pour dénoncer la « submersion migratoire », il avait participé à une rencontre à la frontière entre la Ligue et le RN avec Jordan Bardella, devenu depuis tête de liste « RN » pour les européennes.
Briguant un nouveau mandat, la députée européenne RN aubagnaise Joëlle Mélin regarde « avec attention ce qui se passe en Italie. L’alliance entre les 5 étoiles et la Ligue montre, comme les gilets jaunes, que la bipolarisation « gauche-droite » n’existe plus. Et qu’il peut y avoir une offre politique dont l’objectif est avant tout de répondre aux préoccupations concrètes de la population ». Et de citer la mise en place en Italie d’un… « revenu minimum » ! Mais aussi la volonté de « limiter les flux migratoires ».
Alors lorsqu’on l’interroge sur l’Italie, Sophie Camard, la suppléante de l’Insoumis Jean-Luc Mélenchon, préfère regarder « ce qui se passe en Espagne ou au Portugal ». Son ancien binôme aux dernières élections régionales du PCF, Jean-Marc Coppola est plus prolixe : « L’Italie nous montre que même si, dans son histoire, un pays a connu le fascisme, il n’est pas à l’abri de le voir ressurgir. On peut le voir comme un laboratoire. Surtout quand, ici, certains s’inspirent du populisme qui a pu nourrir le Mouvement 5 étoiles. On le voit avec les gilets jaunes où, en termes de revendications, on est toujours sur le fil du rasoir. » Même si, pour l’élu, « les ronds-points sont devenus les nouveaux lieux de débat et d’éducation populaire ».
Laboratoire de l’effondrement de la gauche
Pour Kevin Vacher, du « collectif marseillais du 5 novembre », qui, doctorant préparant une thèse de sociologie concernant Naples, connaît bien la botte : « Si l’Italie est un laboratoire, c’est celui de l’effondrement des partis traditionnels. A commencer par la gauche. » Notamment après l’opération « mains propres », vaste entreprise de dénonciation de la corruption qui déboucha sur l’arrivée au pouvoir d’un certain… Silvio Berlusconi. Mais, si Il Cavaliere tente un énième come-back, « l’Italie, c’est aussi un laboratoire de la réinvention de la gauche. Autour, notamment des centres sociaux et du municipalisme ». Et Kevin Vacher de regarder avec intérêt « Potere al popolo ! » (littéralement « pouvoir au peuple ») : « Ici, on en rêve ! L’alliance de militants, de syndicalistes, d’activistes qui, en partant de la base, ont réussi à se fédérer et même à se présenter aux élections. Mais ce n’est ni le Front de gauche ni la France insoumise qui est avant tout une structure électoraliste cherchant, sans grand succès, à trouver un ancrage avec la base. »
Ce qui n’empêche pas Mélenchon de s’être fendu d’un courrier de soutien à « Potere ». Une formation qui attire plus la sympathie de la conseillère régionale d’Ile de France insoumise, Bénédicte Monville que le Mouvement 5 étoiles : « Le M5S est l’épine dans le pied de la gauche italienne. Car, avec une posture très anti-système, une dénonciation populiste des élus et de leur corruption, il a su canaliser le dégoût d’une bonne partie de la population mais sans jamais remettre en cause les fondements du système. D’où cette alliance purement opportuniste avec la Ligue. Et un gouvernement qui fait beaucoup de mal. » Reste que si Potere, dans son fonctionnement, « a une longueur d’avance », cette formation reste « extrêmement minoritaire ».
Des expériences qui n’en restent pas moins enrichissantes. Surtout lorsqu’elles se traduisent par des échanges transfrontaliers. En témoigne l’association Demains libres qui veut promouvoir en Paca les méthodes qui ont fait leurs preuves contre la mafia. Comme la « restitution publique des biens confisqués. On déplore souvent le manque de lisibilité de l’action de l’État, expliquent Tomaso et Cecilia. Mais, lorsqu’un réseau tombe et qu’on saisit des logements, pourquoi ne pas en faire des écoles, des centres sociaux ? » Une proposition reprise par… le Modem ! Anecdotique ? Pas le moins du monde. Surtout à la veille des européennes. Car, pour ces militants d’origine italienne, « dénoncer la corruption, c’est faire de la démocratie directe ».
En attendant, début février, à l’initiative du « Parti de la Démondialisation » (la « suite » du M’PEP, le groupuscule de l’ancien patron d’Attac Jacques Nikonoff), s’est déroulée une rencontre entre des gilets jaunes et des militants italiens : « Plutôt des gens d’extrême gauche, comme par exemple P101, et personne du Mouvement 5 étoiles, même si on n’est pas a priori hostile », explique Joël Périchaud, en charge des « relations internationales ». On fait partie d’une coordination pour la sortie de l’Europe, de l’euro, de l’Otan et du néo-libéralisme au sein de laquelle on trouve des organisations italiennes qui s’intéressent de près aux gilets jaunes. » A se demander si c’est l’Italie qui est un laboratoire pour la France ou l’inverse…