Faux-semblants
C’est un signe. Presque un signe chinois. A dix-huit ans d’intervalle, Michel Pezet, président socialiste du Conseil régional Paca de 1981 à 1986, et Philippe de Villiers, figure vendéenne de l’extrême droite, comparent respectivement le Marseillais Renaud Muselier et le Vauclusien Thierry Mariani au même animal : le chien. « Un chien courant plus que chien d’arrêt », selon Pezet à propos de Muselier, son successeur LR à la Région (Libération, 29/11/2003) ; « un chien truffier », pour de Villiers au sujet de Mariani, désormais tête de liste en Paca du Rassemblement national (L’Express, 12/05/2021).
Les deux favoris dans les sondages pour les élections régionales ont en effet plus d’un point commun. On frôle même le cousinage. Ils ont le même âge – 62 ans -, ont tous les deux pratiqué des sports de combat – lutte gréco-romaine pour Mariani, karaté pour Muselier -, viennent de la même famille politique – le RPR – et, à part le poste de maire qui a toujours échappé à Renaud Muselier, ont des carrières politiques parallèles. Les deux ont ainsi étrenné leurs costards-cravates d’élus de droite sur les bancs de Conseils généraux, avant de devenir député, puis conseiller régional et enfin, consécration, de goûter aux ors de la République. Renaud Muselier a été sous-ministre des Affaires étrangères sous Chirac (2002 à 2005) ; Thierry Mariani, secrétaire d’État puis ministre des Transports de Sarkozy (2010 à 2012).
Mieux, les frères ennemis ont été tête de liste pour la droite aux élections régionales. En 2004 pour le Marseillais, en 2010 pour le Vauclusien, qui était chef de file départemental du premier six ans plus tôt. Inutile de le préciser : les deux ont été largement battus par le président sortant, le socialiste Michel Vauzelle. Une parentalité qui s’est même retrouvée dans une mise entre parenthèses de leur vie politique durant deux ans après une défaite aux législatives, avant un retour via les élections européennes (en 2014 pour Renaud Muselier, en 2019 pour Thierry Mariani). Commentaire de la politologue Christèle Marchand-Lagier : « Les deux cherchent une place. Et Thierry Mariani l’a trouvée au RN, qui devient un parti comme les autres, où on peut faire carrière. »
Chiraquien contre sarkozyste
Cette bascule du Vauclusien est finalement la principale différence entre les deux sexagénaires. Même si leurs origines sociales diffèrent autant que leurs idées politiques : Mariani vient d’un famille populaire, mère ouvrière et père maçon ; Muselier de la bourgeoisie marseillaise, dont il a hérité d’un clinique privée. « Renaud c’est un gaulliste, un chiraquien, contrairement à Mariani, qui est beaucoup plus marqué à droite et qui était des moins éloignés du FN », insiste Jean-Pierre Giran, ancien député et maire LR de Hyères. « Ils n’ont pas les mêmes origines politiques, Mariani est plus un sarkozyste, complète le sénateur LR du Vaucluse Alain Milon. Son évolution n’est pas étonnante : il a été député face à Bompard [le maire ex FN d’Orange, Ndlr] et a créé la droite populaire, un mouvement très à droite. » « Renaud [Muselier], lui, n’a jamais été pris la main dans le pot à confiture RN », rappelle encore Christophe Madrolle, président de l’UCE (Union des centristes et écologiques), candidat macroniste du président sortant du Conseil régional.
« Muselier, c’est un mondialiste et un européaniste ! », raille de son côté Frédéric Boccaletti, le président du groupe RN au Conseil régional. Codirecteur de campagne de Thierry Mariani, il se souvient de ce dernier lorsqu’il dirigeait la campagne de Jean-Marie Le Pen, aux régionales de 2010 : « Il tient toujours le même discours. Il a toujours dit que sur certains sujets, comme l’immigration et la sécurité, il fallait discuter avec le RN. » Au point d’être régulièrement cité comme possible ministre de Marine Le Pen dans des fictions. Dans « La Présidente » (2017), la BD d’anticipation de François Dupaire et Farid Boudjellal, Mariani devient par exemple son ministre des Affaires étrangères.
Un idée qui a une certaine logique. Le député européen partage en effet certaines amitiés avec le Rassemblement national. A l’image de grands démocrates, comme le président russe Vladimir Poutine, celui d’Azerbaïdjan ou Bachar el-Assad en Syrie, dont il vantait, en pleine guerre civile, la propreté des rues… « Des soutiens qu’il n’a jamais reniés », note Alain Milon. Et qui viennent peut-être de la formation de Thierry Mariani : le séminaire et le lycée militaire d’Aix (Cf notre portrait satirique dans le Ravi n°45).
Des relations qui feraient presque passer Renaud Muselier pour « un humaniste », selon le mot du sénateur du Vaucluse. Voire pour un dangereux islamo-gauchiste ! Les soutiens de ce médecin de formation, un peu « cacou », passé par l’école publique, ne manque d’ailleurs pas de rappeler, pour preuve, son pedigree : les origines diverses de ses aïeux, son amiral de grand-père qui rejoint de Gaulle à Londres au début de la seconde guerre mondiale, son père déporté à Dachau. Un roman personnel qui ne colle cependant pas toujours avec ses prises de position alambiquées sur l’immigration ou un prétendu « racisme antifrançais » très Front national.
« Muselier, c’est un mondialiste et un européaniste ! »
Ils sont par contre beaucoup plus silencieux sur le rôle de grand pourfendeur du système Guérini que Renaud Muselier s’est attribué. Face à l’affaire des assistants parlementaires européens dans laquelle Marine Le Pen et ses proches sont englués, il y aurait pourtant matière. Mais là encore, le président de la Région est loin d’être un chevalier blanc marseillais. Les prestations d’avocate pour l’office HLM de Marseille de sa femme, qui a valu une mise en examen à cette dernière, comme son affairisme sur l’île Maurice alors qu’il était secrétaire d’État aux Affaires étrangères ou le rapport cinglant de la Chambre régionale des comptes sur sa gestion, avec Christian Estrosi, du Conseil régional depuis 2015, font tache.
Finalement, c’est bien le parcours politique qui rapproche le plus les deux cousins du RPR. Car au-delà des mandats, il y aussi leur manière d’en faire qui est très proche. Une catégorie dans laquelle les deux n’ont jamais brillé. A la réputation de dilettantisme du président de la Région répond celle de flemmardise de son adversaire RN. Dans son portrait du 26 mai, Le Canard Enchaîné raconte qu’à l’annonce de sa nomination aux transports ce dernier faisait la sieste ! Et encore, qu’entre 2004 et 2015 sa présence au Conseil régional avait été plus qu’épisodique : « sept plénières sur 32, une commission permanente sur 40, trois commissions thématiques sur 83. »
Même économie d’énergie politique pour Renaud Muselier. Le site nosdéputés.fr le classe ainsi dans les 150 députés les moins actifs de la mandature 2007-2012. Pire : fin mai, celui de l’Assemblée nationale indiquait carrément « Error 404 » quand on essayait de connaître son activité et ses marottes parlementaires. C’est chien !