« Les gens de gauche doivent se réveiller ! »
45 % des suffrages pour Maréchal-Le Pen, la candidate d’extrême droite en Paca. Cela indique quoi ?
Frédéric Vigouroux : A Miramas, le FN a fait 54 % au 2ème tour ! Pourtant, il y a un an et demi j’y ai été élu dès le 1er tour avec une liste d’union de la gauche et d’indépendants, un score inégalé depuis 1910. Alors je m’interroge. Il y a forcément une partie des citoyens aujourd’hui qui ne se retrouvent pas dans nos valeurs républicaines. Il faudra donner du contenu autour de la laïcité, de l’engagement, de la place de chacun dans cette société. En mêlant l’environnement, le rapport au travail et au capital, nous détenons là l’une des clés de la recomposition de la gauche.
Guy Bénarroche (EELV) : Le FN représente aux yeux de nombreux citoyens la seule alternative au système. Ils ont donné un coup d’arrêt à notre façon de faire de la politique. Le fonds de commerce « UMPS » du FN fonctionne parce que la droite et la gauche mènent des politiques qui ne sont plus crédibles et que nous ne parvenons pas à raconter l’histoire d’une société différente. Nous sommes donc tous sanctionnés.
Pierre Dharreville (PCF) : C’est le signe d’un peuple qui ne trouve pas d’issue et d’une société qui craque sous la domination de la finance et du capitalisme. L’enracinement du vote FN est préoccupant parce qu’il correspond dans la société au progrès d’idées dominantes marquées par les thèses d’extrême droite. La droite court après l’extrême-droite et propage à son tour ces idées. La bataille culturelle et idéologique est malheureusement un peu perdue pour la gauche. Il faut pourtant la relever.
Regrettez-vous toujours la désunion de la gauche et des écologistes au 1er tour ?
F. V. : J’étais partisan de l’union. Cette division était peut-être la marche de trop pour accéder au second tour et se qualifier face au FN. Nous souhaitions l’union mais cela n’a pas été possible parce que nous étions dans un débat national alors que la région n’est pas un enjeu mineur et que nous aurions dû nous concentrer dessus.
Pourquoi le rassemblement des écologistes et du Front de gauche a échoué à faire revenir aux urnes les abstentionnistes ?
G. B. : On savait dès le départ que l’idée de Région coopérative, avec un quart des candidats issus de la société civile, était compliquée à mener en l’espace de quatre mois. Cela l’est encore plus devenu avec l’actualité sur les migrants puis les attentats. Nous ne regrettons pas notre choix même si nous n’avons pas su faire passer notre message. L’union n’est pas une fin en soi. Les gens en ont marre quand elle ne repose que sur des objectifs électoraux.
P. D. : Nous avons avec le PS des désaccords, des manières de voir le monde et l’avenir différentes. C’est sain d’en parler, de pouvoir porter des rassemblements quand on y arrive et à la fois revendiquer des différences quand on n’y arrive pas. Il faut réhabiliter le débat politique.
Si la liste coopérative avait fait 10 % et s’était maintenue, Marion Maréchal-Le Pen avait de très fortes chances d’être élue. L’auriez-vous assumé ?
G. B. : Oui, nous aurions décidé de nous maintenir. Certains disent que le Front républicain fonctionne puisque, une fois de plus, le FN a été battu. Mais est-ce comme ça que nous allons faire baisser son influence sur la société et combattre ses idées ? Nous disons carrément non et c’est pour ça qu’il fallait se maintenir et faire jouer une musique, des solutions, une analyse de gauche entre les deux tours et, surtout, au Conseil régional.
P. D. : Il ne fallait pas laisser un tête-à-tête mortifère entre la droite et l’extrême droite dans l’hémicycle. C’était un choix extrêmement difficile et nous aurions compris que des électeurs ne nous suivent pas. Le Front républicain est utilisé par le FN pour justifier le « finalement ils sont tous d’accord, sauf nous ». Lorsque j’écoute Sarkozy parler de République, je ne retrouve pas la liberté, l’égalité, la fraternité. J’entends parler de mérite, de concurrence, d’assimilation…
Fallait-il se faire Hara-kiri en disparaissant de l’institution régionale pendant six ans ? En Alsace-Lorraine, un dissident PS s’est maintenu et le FN a pourtant été battu en triangulaire…
F. V. : Attention, comparaison n’est pas raison ! Entre les deux tours, il s’est passé un phénomène incroyable, validant notre choix de retirer notre liste : le peuple de gauche s’est mobilisé pour aller rejeter la carte du FN. Il y a eu débat dans nos rangs, oui bien sûr. Mais il n’y avait pas d’autre solution politique. L’écart était trop grand, il fallait qu’on assume cette responsabilité. Nous avons montré que les élus ne sont pas toujours là pour s’accrocher aux mandats ou pour faire carrière.
Allez-vous participer au conseil des territoires dans lequel Christian Estrosi veut vous associer ?
P. D. : Il faut être dans tous les endroits où il est possible de faire entendre la voix de l’émancipation. Après il ne s’agira pas d’une cogestion puisque nous allons être en désaccord frontal avec Christian Estrosi. On a besoin de restaurer le débat d’idées, le désaccord comme une pratique nécessaire.
G. B. : Nous irons au conseil des territoires s’il existe. Nous y amènerons nos candidats qui n’étaient pas issus de partis politiques. Quoi qu’il arrive, nous mettrons également en place un conseil citoyen.
F. V. : S’il s’agit de travailler sur des dossiers, l’intérêt général peut y trouver son compte. Mais le débat, par contre, ne s’arrêtera pas à ce conseil des territoires…
Et maintenant que faire pour réinventer votre logiciel politique ?
F. V. : Il faut changer les pratiques et la façon de fonctionner mais aussi faire quelque chose de beaucoup plus difficile en politique : s’asseoir et réfléchir. Réfléchir va nécessairement avoir comme conséquence de traiter tous les sujets. Il est important de revoir la question culturelle avec des universitaires, ceux qui pensent et qui écrivent, parce que notre société a changé. Qu’on le veuille ou non.
P. D. : Les gens de gauche doivent se réveiller, se parler et essayer d’inverser la dynamique. Aux régionales, une moitié des électeurs ne s’est pas exprimée. Créons des espoirs nouveaux, cessons de glisser indéfiniment vers la droite. Les transformations à opérer dans les partis politiques sont absolument nécessaires mais, en même temps, il y a besoin d’organisations collectives. Car si la politique ne devient qu’une affaire d’individus, alors nous aurons tout perdu !
G. B. : Ne renonçons pas à nos gènes initiaux : inventons autre chose qu’un système pyramidal même si, du coup, cela favorise comme chez les écologistes des débats qui transparaissent partout. Imaginons une société différente et des transitions pour y arriver. Favorisons des alliances mais selon des logiques de projets et non électorales…
Propos recueillis par Michel Gairaud et Rafi Hamal, mis en forme par Corentin Mançois