Eric Ciotti vise “la grande porte du fond”
Dis-moi où tu habites, je te dirai qui tu votes. Henri, Niçois, fidèle des fidèles d’Éric Ciotti, loge juste au-dessus de la permanence. Ce mercredi midi, Henri sort de son SUV pour s’engouffrer, tourte de blettes et baguette à la main, sous une porte en bois prise en étau entre deux vitrines de la permanence, elle-même coincée entre la police municipale et un centre de plongée. Le petit immeuble est posé sur le port de Nice. Sont-ce les lumières de l’eau et la finesse des mâts qui se reflètent dans les fenêtres, ou bien est-ce l’ambiance du quartier mi-pépère mi-touristique qui a imposé cette adresse pour la permanence d’Éric Ciotti ? Assurément un peu des deux. Dans cette circonscription tranquille du cœur de Nice, le député a été facilement réélu à 58 % en 2017 pour un troisième mandat à l’Assemblée nationale. Henri était l’un de ses électeurs. Derrière ses persiennes vert d’eau, il observe l’actualité politique de son poulain. Le retraité, encarté depuis 1981, aime les idées d’Éric Ciotti, « sa sympathie » et son « parler-vrai ». « Mais les politiques sont tous pareils : ils ne cherchent qu’à être au pouvoir. C’est dans la nature de l’Homme, estime le Niçois de 80 ans dans sa doudoune matelassée. Ils visent la grande porte du fond, l’Élysée. C’est l’ambition qu’ils ont tous. C’est un métier. » Dans l’immeuble de la permanence, on a les mêmes idées mais pas la même vision d’une carrière politique.
Eric Ciotti est un politicien comme un autre. N’en déplaise à Henri, le candidat à la primaire LR a un plan de carrière, faisant de la politique son unique profession. Il gravit les échelons et, après trente-cinq ans dans le milieu, rêve d’un poste dans l’exécutif, jusqu’au premier rôle de président de la République. Lui poser la question, en cette fin du mois de novembre, c’est l’entendre répondre : « J’ai toujours imaginé défendre la France. C’est peut-être l’étape ultime. Mais c’est un honneur et un engagement fort. »
« Une position d’outsider »
Éric Ciotti puise ses racines dans le Mercantour. Sa famille est originaire de Saint-Martin-Vésubie, un village du haut-pays niçois. En parallèle de ses fonctions de collaborateur parlementaire, de conseiller et de directeur de cabinet [notamment de Jean-Claude Gaudin et de Christian Estrosi], Éric Ciotti se fait élire sur ses terres. Au niveau local, il passe chaque étape : de conseiller municipal en 1989 à président du Conseil général en 2008. Au national, sa carrière prend un tournant quand il est élu député en 2007. Il devient l’un des parlementaires les plus actifs avec des rôles de rapporteur et de questeur. Il prend également des fonctions au sein des Républicains. « Ce n’était pas écrit, analyse Charles-Ange Ginésy, président du département des Alpes-Maritimes et proche d’Éric Ciotti depuis ses débuts. C’est une évolution très forte. Au départ, il était pétri de politique locale. Il avait une soif de rester dans un rôle d’assistant parlementaire, de conseiller politique. Il était toujours dans l’ombre. Le jour où il est devenu président du département puis parlementaire, il a quitté ce statut. Ça n’a pas été facile d’être dans la lumière. Il est entré dans le costume de politicien. Je ne sais pas où sa progression va s’arrêter. »
C’est qu’Éric Ciotti a un grand trou dans son CV. Il n’a jamais intégré les plus hautes sphères de l’État. A 56 ans, il rêve désormais des dorures d’un ministère ou de l’Élysée. « Ministre de l’Intérieur, ça lui irait très bien. Il est direct et il a de l’autorité. Mais il ne s’affirme pas assez en homme d’État, regrettent Jean-Luc et Marie, pourtant ciottistes invétérés. Il ne se positionne pas assez comme un leader. Il a pris une position d’outsider. » Le couple passe régulièrement devant la permanence. Un jour, ils sont entrés : c’était pour dire leur désarroi après la défaite au premier tour de François Fillon en 2017. Ils espèrent ne pas avoir à revenir pour les mêmes raisons en 2022. Pour éviter toute déception, Catherine et Louis, deux autres retraités du quartier, ont adhéré aux Républicains le mois dernier dans l’unique but de voter Ciotti : « En ayant suffisamment de voix, même sans gagner, il aura une légitimité pour être choisi comme ministre de l’Intérieur. » Le couple a compté : ça pourrait fonctionner avec le réservoir de voix des sympathisants des Alpes-Maritimes, deuxième fédération LR de France. A la veille de la primaire, le nombre de nouveaux adhérents a grimpé dans les fédérations des différents candidats. Ayant plus que doublé, les Hauts-de-France de Xavier Bertrand sont passés en tête devant les Alpes-Maritimes, pourtant fortes de 7 000 adhérents. « Les autres candidats à la primaire, s’ils sont présidents de la République, le prendront comme ministre de l’Intérieur, avance son suppléant à l’Assemblée nationale Auguste Vérola. Parce qu’il a la volonté et l’abnégation. Je lui dis parfois : « Mais détends-toi ! » Il est très dur dans le travail, il est très dur envers lui-même. On ne voit pas Ciotti céder. »
Sirènes de l’extrême droite
L’identité politique d’Éric Ciotti, c’est « un projet d’autorité, d’identité, de liberté », martèle-t-il. Un positionnement qui lui vaut une guerre fratricide avec son allié et soutien d’hier, Christian Estrosi. Les deux fidèles de Sarkozy se déchirent, le premier arguant une droite dure, le second menant une politique « Macron-compatible ». Si Ciotti pouvait paraître extrême avec ses idées radicales aux LR, dans cette campagne partie bille en tête sur le thème de l’immigration, ses discours passent désormais tout seul. « C’est de la droite dans son essence, sans dévier de la ligne conservatrice, libérale, maintient Alexandre Saradjian, responsable des Jeunes avec Ciotti. Une sensibilité de droite mais avec des limites qu’on ne franchit pas. La ligne jaune c’est Macron, la ligne rouge c’est Le Pen. » Ciotti flirte pourtant avec l’extrême droite. Il parle « grand remplacement » et « priorité nationale ». Il affirme qu’il votera Éric Zemmour au deuxième tour de l’élection présidentielle. Il rappelle à longueur de discours ne pas avoir voté Macron en 2017 et choisira Zemmour si le même scenario se reproduit en 2022. Sur France Bleu Azur, il l’appelait son « ami », « partage » le constat du polémiste, soutenu massivement par les médias du groupe Bolloré, et « tend la main à ses électeurs ». Un soir de novembre, passé 22h30, l’équipe de campagne de Ciotti partage un message sur le groupe WhatsApp destiné à la presse. C’est un tweet de remerciement d’Éric Zemmour envers Éric Ciotti. Désormais, ils ne partagent plus uniquement le même prénom.