"Pour cette aventure, il faut le courage des oiseaux"
Voilà déjà dix-sept ans que Sophie Camard a posé ses bagages à Marseille. Elle est née dans un autre port, celui du Havre. Avec une mère enseignante dans un lycée professionnel et un père technicien à la raffinerie de Normandie, son seul capital c’est la matière grise. Une mention très bien au bac l’a conduit à Science-Po Paris. Et ses études à la Sorbonne lui ouvrent le chemin d’un métier singulier : experte pour les comités d’entreprises. Une profession qui prolonge ses engagements personnels.
Car elle n’a pas attendu le printemps 2020 pour plonger dans le chaudron politique. Au commencement il y a le syndicalisme étudiant puis des aventures à la gauche de la gauche. Suite à l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007, elle rejoint les Verts. A Marseille depuis 2003, après une mutation professionnelle, elle milite toujours avec les écolos. Son premier mandat sera, dès 2010, conseillère régionale dans la majorité plurielle de Michel Vauzelle. Elle préside le groupe écologiste à la Région.
Aux municipales de 2014, elle soutient la liste « citoyenne » de Pape Diouf qui échoue à « changer la donne » à Marseille. Mais c’est lors des élections régionales de 2015 qu’elle joue un rôle au premier plan en menant une liste « coopérative », fédérant les écologistes et le front de gauche. Avec 6 % des suffrages, la tentative n’est à nouveau pas un franc succès. Parce que « L’avenir en commun » conjugue urgence sociale et écologique, elle rejoint ensuite la France Insoumise. Et lorsque Jean-Luc Mélenchon se présente aux législatives, elle devient sa suppléante.
Mais députée suppléante n’est pas un mandat : elle est donc toujours salariée du privé. Et militer aux côtés du bouillonnant Mélenchon dans un mouvement « gazeux » comme la France Insoumise, n’est pas de tout repos. A Marseille des Insoumis, comme elle, ont rejoint le Printemps marseillais, qui fédère la gauche (issus de LFI, du PCF, du PS…), des écologistes (issus d’EELV) et des citoyens (collectif Mad Mars…). D’autres dans la mairie du 7ème secteur aux mains de l’extrême droite sont sur une liste soutenue par Europe Ecologie Les Verts. Certains sympathisants observent le spectacle à distance. Sophie Camard, elle, est tête de liste du Printemps marseillais pour conquérir la mairie du 1er secteur, celle des 1er et 7ème arrondissements.
La promesse de renouveler les pratiques, de fédérer militants politiques et associatifs, élus de bonne volonté et collectifs citoyens, s’est heurtée aux logiques d’appareils, aux ambitions personnelles, aux divisions. Mais après vingt-cinq ans de gouvernance Gaudin et alors que Martine Vassal, l’héritière désignée, déploie de gros moyens pour sa campagne, « L’espoir est là » affirme le Printemps marseillais. Les 15 et 22 mars, on saura si c’était juste un slogan…
M. G.
Le Printemps Marseillais qui fédère des citoyens mais aussi des candidats issus d’EELV, de LFI, du PS, du PCF, de Génération.s, de Nouvelle Donne, de Place publique… sera-t-il une « soupe aux logos » ?
Il n’y aura pas de logos. On a tous cherché à dépasser nos partis respectifs, quitte à les heurter un peu. On a vu la gauche complètement éclatée aux européennes : c’était ce qu’il ne fallait surtout pas faire pour les municipales !
Vous êtes la suppléante de Jean-Luc Mélenchon. Atout ou difficulté ?
J’ai mon autonomie dans cette campagne. Je tiens à affirmer ma position, avec une équipe très éclectique, des gens d’autres partis que le mien et des citoyens qui ne sont nulle part. Je me régale de ce melting-pot. Jean-Luc Mélenchon a décidé de ne pas s’en mêler. C’est un changement de génération aussi, il faut que les plus anciens qui se disputent sans cesse, comme Patrick Mennucci, Jean-Luc Mélenchon, Samia Ghali ou Marie-Arlette Carlotti, passent la main et nous laissent changer cette ville.
Il y a de l’eau dans le gaz entre vous et Jean-Luc Mélenchon ?
Pas du tout. On peut avoir des divergences sans que ce soit explosif. Il laisse sa chance à ce que nous faisons.
Mais finalement votre affichage est assez classique, les huit têtes de liste sont issues de partis politiques.
Sur le 50 % citoyens, 50 % politiques, on n’a jamais annoncé que ça s’appliquerait aux têtes de liste, mais à toute la liste. Au global on a même plus de candidats citoyens que politiques. Une autre promesse du Printemps, c’était de rassembler la gauche dans sa diversité. Ce rassemblement il se voit sur les têtes de liste, et dès les numéros 2 et suivants, on trouve le mélange annoncé. Il fallait équilibrer les deux annonces qu’on avait faites : rassembler la gauche, et y mettre tout ce qui est nécessaire à savoir l’écologie, la citoyenneté et le renouveau des candidatures.
Après les événements de Noailles et les États Généraux de l’urgence sociale, les attentes sont très élevées.
Je ne suis pas là pour récupérer les événements de Noailles. Nous ne sommes pas l’émanation de ces mobilisations-là. Notre rôle est de redonner du crédit à la politique et à la gauche. Nous serons attendus si nous gagnons et il faudra montrer par nos actes que tout le monde a eu raison de voter pour nous.
EELV a choisi une candidature autonome. Que s’est-il passé ? C’est trop tard ?
Non ce n’est pas trop tard ! Dans le 15/16 la tête de liste EELV Lydia Frentzel a rejoint le Printemps Marseillais. On aurait dû réussir à faire ça dans tous les secteurs, moi qui vient d’EELV je ne comprends toujours pas pourquoi il y a cette division. Je crois qu’ils appliquent une consigne de visibilité nationale qui n’est pas adaptée.
Sur le cas de Lydia Frentzel, Sébastien Barles, qui conduit la liste EELV, parle de déstabilisation, d’une pression des vieux réseaux de Jean-Noël Guérini, de Sylvie Andrieux…
Il sort les vieux fantômes pour justifier son existence séparée. Je n’ai pas envie de polémiquer, on doit se rassembler. Si ce n’est pas au premier tour, ça sera au second. Donc à quoi ça sert d’hystériser le débat comme ça ? J’espère que toutes ces bêtises vont cesser dans l’entre-deux tours.
Michèle Rubirola, tête de liste du Printemps Marseillais, est elle-même issue d’EELV. Qu’est-ce que ça dit de la place de l’écologie dans votre démarche ?
Qu’elle est indispensable. On a une démarche modeste et concrète, axée sur une écologie populaire et du quotidien, avec beaucoup de concertation. Il ne faut pas séparer l’écologie de l’humain, ni des problématiques de logement ou de la culture. Il faut arrêter de tout cloisonner. Il faut faire de l’écologie, oui, mais avec la gauche. Pas d’écologie sans le social.
Que répondez-vous à l’interpellation de la fondation Abbé Pierre à faire du logement digne un enjeu central de la campagne ?
Je réponds par des actes. J’ai choisi Patrick Amico comme binôme parce que c’est un expert de l’urbanisme. Nous avons déjà sorti vingt mesures d’urgence sur le logement. C’est une priorité absolue, surtout dans le premier secteur. Après les événements de Noailles, il va falloir beaucoup d’accompagnement, de concertation, agir en justice contre les marchands de sommeil, et ensuite retrouver du calme.
Pas un mois ne passe sans de nouvelles révélations à propos d’élus qui louent des logements indignes. Et au Printemps ?
Tous les candidats du Printemps Marseillais ont fait leur déclaration de patrimoine. Il y a une attente d’éthique et de transparence à laquelle on veut répondre. Il faut en finir avec la municipalité actuelle. Cette transparence, elle peut nous permettre de faire revenir les gens aux urnes. À Marseille on est au degré zéro de la démocratie locale, du contrôle citoyen. C’est tout un système qui est à repenser.
Martine Vassal ou encore Yvon Berland assurent qu’on ne s’improvise pas maire de Marseille. Qu’il doit avant tout être un gestionnaire…
Au nom de la compétence, les politiques ne doivent pas se mettre au-dessus des gens. Nous apportons une dynamique citoyenne qui peut créer de la confiance. Michèle Rubirola déclenche aussi une certaine adhésion justement parce qu’elle n’est pas une professionnelle de la politique, elle arrive avec ses convictions et son honnêteté.
Autre dossier central à Marseille : les écoles. Une mobilisation a permis de contrer un projet de rénovation via un partenariat public/privé. Mais il faut maintenant de l’argent pour les rénover…
C’est un très bon exemple d’expertise citoyenne et une des matrices de notre rassemblement. On évalue sur le mandat la possibilité de faire un grand plan de rénovation d’au moins 500 millions d’euros. Ça peut rentrer dans les budgets d’investissement, c’est une question de priorité politique.
Mohamed Bensaada, membre de LFI, conduit sa propre liste dans le 13/14, secteur emblématique du Rassemblement national. Votre réaction ?
On aurait dû cherche l’unité jusqu’au bout. La gauche marseillaise continue à chasser les fantômes plutôt qu’à se rassembler. J’espère quand même qu’elle parviendra dans le 13/14 à aller au deuxième tour et pourra battre Stéphane Ravier (RN).
Dans votre secteur, vous êtes face à Sébatien Barles, tête de liste EELV. Vous étiez pourtant sur la même liste en 2014…
Si on n’a pas pu faire la fusion au premier tour, on la fera tranquillement au second. Celui qui est en tête au premier tour restera en tête, et les autres se mettront derrière. Désormais, les listes sont déposées. Que chacun aille chercher ses électeurs et qu’on se rassemble au second tour.
La Chambre régionale des comptes souligne la dette considérable de la ville. Cela ne risque-t-il pas d’être très difficile de gérer Marseille si vous gagnez ?
Il y a des choses à faire, notamment une mise à plat au niveau fiscal. Le rapport met en doute aussi la sincérité des comptes en eux-mêmes. On dit cette ville pauvre, mais peut-être qu’on ne sait pas aller chercher l’argent là où il est.
Pensez-vous qu’on puisse vraiment tourner la page du système Gaudin, en place depuis un quart de siècle, que pourrait prolonger Martine Vassal ?
Il y a une chance historique ! C’est ce qui nous porte, ce qui fait qu’on se dépasse, qu’on surmonte nos conflits internes. Il faut faire de Marseille une ville du XXIème siècle. Qu’on arrête le roman noir de Marseille dans lequel certains se complaisent !
Propos recueillis par Michel Gairaud, mis en en forme par Maud Guilbeault