« Un détail plus un détail plus un détail… »

10:30
le Ravi arrive au tribunal administratif de Marseille. Derrière la porte vitrée ? Le sénateur frontiste marseillais Stéphane Ravier ! « Ah non ! Pas le Ravi ! Ça suffit ! », plaisante-t-il (?) derrière son masque en écartant les bras. On salue comme il se doit celui qui conteste l’élection du héraut de Martine Vassal dans ce secteur qu’il connaît bien puisqu’il en a été maire. Son adversaire, le général Galtier papote avec Libé. Le secrétaire du tribunal nous accueille d’un « on ne vous avait pas dit de ne venir qu’à 10 h 40 ? »
10:35
Tandis que David Galtier grimpe à l’étage, on trompe notre ennui en discutant régionales avec celui qui ne fait même pas semblant de s’en désintéresser : « Vous savez, les Français, en ce moment, les élections régionales, ils s’en tapent ! »
10:37
Arrive le bras droit de Ravier, son attaché parlementaire Antoine Baudino, avec une ceinture dorsale digne des Superstars du Catch. Il s’appuie à la rambarde de l’escalier : « Je vais mourir ! Cela fait deux jours que je passe de mon lit à mon canapé ! » Il se tourne vers son patron de sénateur : « C’est à cause de vous, ça ! Je vais devoir me syndiquer ! » Hernie discale version XXL…
10:45
La dizaine de journalistes se fait gentiment sermonner parce que, l’acoustique du tribunal étant ce qu’elle est, on nous entend jusque dans la salle d’audience. France 3 piaffe d’impatience. Pour faire patienter, la com’ nous conduit dans ce qui s’annonce comme une « salle de convivialité ». Tableaux made in Ikea, prospectus syndicaux… La machine a café est squattée par Le Monde et Marsactu, on trompe notre ennui en feuilletant une gazette Force ouvrière et la responsable de la com’, après avoir fait l’appel, nous assure qu’il reste encore une affaire mais que ça ne devrait pas tarder. « Merci, Madame ! », répondons-nous en chœur. Le journaliste est poli.
11:00
Nous voilà admis à l’étage. À l’entrée de la salle d’audience, Ravier nous gratifie d’un « revoilà la fine équipe ! » Séance photo dans une salle où la seule fantaisie est une teinture couleur vert caca d’oie qui n’est pas sans rappeler les paysages les moins intéressants de la Sologne septentrionale au début de l’automne. Par solidarité et pour faire de la place aux collègues, on refait le plan de table. France 3 râle parce qu’il n’a pas de chaise. Ça tombe bien, la juge et sa bande arrivent. Tout le monde se lève. Puis se rassoit, l’audience peut commencer.
11:10
Attention, un recours peut en cacher un autre ! Si tout le monde attend le match Ravier/Galtier, ce serait oublier que la candidate de la liste d’Yvon Berland, l’élue régionale Modem Marie-Florence Bulteau-Rambaud qui avait fait 4,88 % et n’avait donc même pas pu obtenir le remboursement de ses frais de campagne, a également déposé un recours.
11:15
Arnaud Claudé-Mougel, le rapporteur public – dans son box en plexiglas et donc sans masque mais avec une Marianne en marbre au-dessus du crâne – n’en fait qu’une bouchée. Mais, comme on est dans un tribunal administratif, c’est sans passion ni la moindre espèce d’émotion, avec la diction monocorde d’un assureur à la fin d’une pub pour un crédit à la consommation. La faible participation ? « Elle ne saurait à elle seule altérer la sincérité du scrutin. » Les irrégularités, intimidations et fraudes massives ? « Il n’y a que quatre articles de presse produits. C’est notoirement insuffisant. » Seul point qui trouve grâce à ses yeux : le fait que, dans le bureau de vote « 1365 », les bulletins de vote de la candidate n’ont pas été disponibles de « 8 à 15 heures, soit pendant 7 heures… Mais il y a 78 bureaux de vote ». Et de conclure en ironisant sur de la « politique fiction. Si la protestataire avait pu se maintenir, avec qui aurait-elle pu faire alliance ? Certainement pas avec la liste de M. Ravier. Si cela avait été celle de M. Galtier, cela aurait validé le résultat contesté. Quant aux listes de Mme Ghali et du Printemps marseillais, elles se sont retirées pour faire barrage au RN ».
11:25
L’avocat de la candidate macron-compatible se traîne penaud jusqu’au pupitre pour plaider la cause de sa cliente et raconter dans le détail cette histoire de bulletins indisponibles. La juge, derrière son masque, montre autant d’émotion qu’un joueur de poker sous kétamine. L’avocat du général Galtier, Me Benjamin Bail, ne fait même pas l’effort de mettre des gants pour enfoncer son collègue : « La protestataire, qui n’a même pas atteint les 5 %, n’aurait de toute manière pas été en capacité d’atteindre les 10 % pour se qualifier au 2nd tour. » La juge demande à Ravier s’il veut s’exprimer : « Aucunement ! »
11:30
Ça y est, c’est parti ! À gauche, la droite ! Le général Galtier qui a déjà déserté la mairie de secteur pour siéger à la mairie centrale et à la métropole. À droite, l’extrême droite, le sénateur Stéphane Ravier, le « dictateur nord-phocéen », fan d’AC/DC, de Johnny et de Jean-Marie, qui vient rappeler les quelques règles qu’il sied de respect dans une démocratie (étonnant, non ?) Ca va ch… Hopopop ! On est dans un tribunal ad-mi-nis-tra-tif ! Ça plaide par écrit, à coup de mémoire interposé ! Ravier n’est même pas venu avec son avocat. De toute manière, quelques jours auparavant, les conclusions du rapporteur public ont fuité très opportunément dans la presse pour annoncer qu’il allait rejeter le recours.
11:31
Dont acte. Méthodique, il démonte un à un les arguments du frontiste. Le faible taux de participation qui aurait particulièrement touché les sympathisants frontistes ? Ravier a beau produire un sondage Ipsos, cela ne suffit pas. Les « affiches arrachées », « l’accrochage entre l’attaché parlementaire de M. Ravier, Antoine Baudino et un colleur d’affiche de Mme Vassal » ? « C’est un peu juste. » Pour lui, pas de souci du côté de la propagande électorale, les bandeaux « Front national dehors » : « Des incidents isolés. » Idem pour « cet homme qui appelait, dans une langue étrangère, les électeurs à voter pour Martine Vassal ». Sauf que « c’était au premier tour ». Et de remettre en cause les éléments provenant du « compte Twitter d’Antoine Baudino, notamment des photographies à qui on peut faire dire ce que l’on veut ». L’attaché parlementaire n’en pianote que plus rageusement sur son smartphone, oubliant son mal de dos en tapant frénétiquement du talon sur le sol.
11:40
Le rapporteur continue sa démonstration. La sincérité des comptes de campagne de David Galtier ? « La commission nationale les a validés. » Commence alors un tunnel sur la question des bulletins de vote, des procurations et sur le gros morceau de l’argumentaire du RN, à savoir les différences de signatures entre le premier et le second tour. Ravier en compte 443 litigieuses, Galtier, beaucoup moins, produisant même « 203 attestations d’électeurs ». Le rapporteur se lance dans une longue explication histoire de convaincre qu’il a mouillé la chemise puisque lui aussi s’est penché sur les cahiers d’émargements. « Et c’est pas une mince affaire ! », confesse-t-il, se permettant là un écart de langage qui semble aussi déplacé qu’une flatulence à un premier rendez-vous. Le rapporteur poursuit sa démonstration, et tel un joueur de bonneteau, pouf-pouf, je pose 4 et je retiens 2, bim, il en arrive à la conclusion que « 178 votes pourraient être écartés. Trois fois la différence avec les allégations du protestataire, et bien en deçà de l’écart entre les deux listes ». 387 voix…
11:52
Ravier, qui annonce que son conseil va présenter des « notes en délibéré » en réplique aux conclusions du rapporteur public, s’étonne que ce dernier écarte « un élément important du recours », à savoir « l’utilisation de moyens publics dans cette campagne ». Le frontiste pointe en particulier un « meeting » de Nora Preziosi, avec la future maire de secteur, Marion Bareille, à la « boule des Lilas ». Pour lequel, dira-t-il plus tard, une plainte a été déposée.
11:55
Dans le sillage du rapporteur, l’avocat de Galtier joue sur du velours, se contentant de répliquer, sur ce dernier point, qu’il ne s’agit que « du passage dans les locaux d’une association, locaux communaux mais qui sont mis à disposition à titre gracieux ».
12:00
La juge, toujours aussi impassible, annonce que l’affaire est mise en délibéré, qui interviendra au plus tard « le 9 mars. L’audience est levée ». Il est midi. L’heure d’aller manger.
12:05
Pendant que Galtier dit sa satisfaction devant les caméras, Ravier fulmine sur les marches du tribunal. Passe un fourgon de l’administration pénitentiaire : « Ils viennent me chercher ! » Et, entre deux vieilles dames qui lui demandent de se pousser, explique : « Ce n’est pas le moment de plaider et ce n’est pas mon métier mais il y a matière à contester. Là, le rapporteur public dit que c’est sans incidence. Que c’est du détail. Mais un détail plus un détail plus un détail… » Et, dans le parti de Jean-Marie Le Pen, les détails, on sait combien ça compte !