A Digne, la démocratie, ça casse les urnes...
Un message subliminal ? Le site web de la mairie de Digne-les-Bains fait la part belle à l’annulation des élections municipales de 2020 et la tenue du nouveau scrutin les 5 et 12 décembre. Mais, dans un coin, promo d’une pièce de Shakespeare : « Beaucoup de bruit pour rien. » Pourtant, depuis la décision d’octobre du Conseil d’État, c’est la préfecture qui a pris le relais pour gérer les affaires courantes et ce, dans la plus stricte neutralité.
A part sur les panneaux d’information lumineux, la campagne ne bat pas son plein. Jusqu’à peu, la page web de la maire sortante (DVG) Patricia Granet était en jachère. Quant aux demandes du Ravi, elles étaient passées sous les radars de la com’ de son adversaire, lui aussi médecin, Gilles Chalvet (DVD).
Soupir à la « fédé » du PS qui, après des années de tension avec la maire de Digne, vient de lui apporter son soutien : « La décision du Conseil d’État est récente et on n’était pas nombreux à croire que cela aboutisse. » Sauf qu’en 2020, sur fond de Covid, la réélection de la maire sortante ne s’est faite qu’à trois voix. En ligne de mire du tribunal administratif ? Des différences pour treize signatures entre le premier et le second tour ainsi qu’une procuration litigieuse. En appel, le Conseil d’État ne retiendra que cinq signatures. D’où ce nouveau scrutin.
Guerre des docteurs
Où il n’y a, en lice, que trois listes contre cinq en 2020, Richard Valla (un autre médecin) ayant jeté l’éponge comme la candidate d’extrême droite, Marie-Anne Baudoui. Celle qui joue les « outsiders », c’est Geneviève Primiterra fière de faire « au niveau local ce qu’on n’arrive pas au niveau national : l’union de la gauche », du PC à EELV en passant par le PRG et même le PS, malgré le soutien de la « fédé » au Dr Granet. Celle qui a été sa deuxième adjointe n’est pas tendre : « Granet, de gauche ? Sur ses tracts, elle s’affiche avec le maire LR de Sisteron Daniel Spagnou. Et elle a sur sa liste un responsable LREM. » Quant à Chalvet, pour elle, c’est « la droite dure ». Mais ne se fait guère d’illusions : « En général, même en cas d’annulation, les sortants repassent. Et puis, les gens ont d’autres préoccupations. » Symbolique : elle n’a pas de local.
Les permanences de ses adversaires sont à moins de 50 mètres l’une de l’autre. Dans celle de Patricia Granet, les militants remplissent des enveloppes pour encourager les électeurs à voter et l’on n’est pas avare de commentaires sur cette « guerre des docteurs » à laquelle s’ajoute celle « des jupons » dixit Sandrine. Devant le local de Gilles Chalvet, deux colistiers haranguent les passants, proposant même leurs services à une mamie qui dit avoir des difficultés à se déplacer.
Ils ont plus ou moins de succès. Une dame trouve « Chalvet pas assez ferme ». Une autre refuse le tract : « Je n’ai pas envie de voter pour vous. » Le colistier, vexé : « C’est sûr, y a mieux ailleurs ! » Face au Ravi, le colistier se méfie : « Lou Ravi ? Connaît pas ! D’ailleurs vous avez pas l’accent… Faites voir le journal ! C’est un peu anar, non ? » On le retrouvera à la réunion de quartier de Chalvet.
En attendant, direction la mairie, salle de l’Atrium où la maire sortante doit s’adresser aux « seniors ». Ils sont une vingtaine. Mais pas de candidate. Elle aura une bonne demi-heure de retard. Car, comme son adversaire, elle continue d’exercer. Alors l’ex-premier adjoint Francis Kuhn assure l’intérim en défendant le bilan. Et commence sur le terrain du Covid, l’occasion de tacler « ceux qui, parmi nos adversaires, sont contre la vaccination ». Ça tousse derrière les masques. Et l’élu de dérouler sur le thermalisme, la « silver économie », la « santé »…
Arrive le docteur Granet ! Qui insiste sur ce qui, confie-t-elle, lui aurait manqué : la « proximité ». Alors son ex-élu sur ce dossier met le paquet : « Je vais vous parler propreté, trottoirs, trous dans la chaussée, potelets… » Ça cause donc feuilles mortes, abribus… mais aussi « réfection de l’habitat pour faire revenir dans le centre une population plus aisée », sécurité (et donc « vidéo-protection »). Avec, en bouquet final, la promesse d’un « conseil des aînés » voire le label « ville amie des aînés ». Alors, la candidate lance à l’assistance : « Merci d’aller bien voter ! »
Tout en soufflant : « Les gens, ça les gonfle de retourner voter. On espère qu’ils iront et on fait tout pour. » Cette nouvelle élection, elle qui émarge aussi à l’agglo, elle s’en serait bien passée. Et avec son collègue, c’est « tendu. Ça remonte à un conflit autour de la réorganisation de l’hôpital. Et avec le recours, on a été traîné dans la boue ! Mais je ne veux pas être dans l’invective. »
Droite « citoyenne »
Ce que dit aussi Gilles Chalvet. Même si, à proximité du bar où il tient sa réunion, autour d’un panneau « libre expression », entre un de ses militants et un colleur d’affiches, ça se chicane : « Moi, j’fais pas d’affichage politique, alors collez pas sur les miennes ! » Le sourire de Chavet couvrira celui de Primiterra.
En apprenant qu’on vient de Marseille, le praticien est des plus prévenants. Nous propose un jus de fruit. Et répond à nos questions : « Si je me suis présenté aux côtés de Renaud Muselier, c’est parce que c’est un confrère, qu’il connaît bien l’Ubaye et qu’il faut que Digne retrouve sa place dans la Région. » Et d’assurer que, classée à droite, sa liste est « citoyenne ».
Comme chez Granet, l’auditoire est clairsemé : une vingtaine de personnes, dont plusieurs colistiers. Qu’il prévient : « Attention, y a un journaliste du Ravi, un journal satirique ! Tenez-vous bien car vous allez être caricaturés ! » Pas besoin puisque, de lui-même, Chalvet n’y va pas de main morte pour décrire une ville « en voie de déclassement ». Et dénoncer : « alors qu’on est à Digne, une campagne indigne de nos adversaires chez qui le venin coule à flot ! » Illustration ? « On veut nous faire passer pour des anti-vax, anti-masque, anti-pass alors qu’en tant qu’infectiologue, j’ai été désigné par l’Agence régionale de la santé comme responsable de la gestion du Covid. Alors que l’ex-maire, si on l’a vue se faire vacciner, je ne l’ai pas vue enfiler sa blouse pour venir nous aider… »
Pour lui, « Digne n’existe plus sur le territoire ». Tous y passe : urbanisme, transports, tourisme, sport… Sans surprise, il est interpelé sur la « propreté » mais aussi « la fibre », la « sécurité », sujet sur lequel il souffle le chaud et le froid. En tout cas, pour le médecin, « en faisant annuler cette élection, on a fait œuvre d’utilité publique ». Alors, en attendant son meeting de fin de campagne, il lance : « Faut que ce soit une vague ! » Pas de doute, le Covid est dans toutes les têtes !
Mais pas que. Le PS ne cache pas son appréhension : « Aux dernières municipales, la droite a eu le vent en poupe, souligne la « fédé ». On l’a vu avec la bascule de villes comme Forcalquier. Et du Département. » Et quid d’un scrutin municipal à la veille de la présidentielle ? Réponse unanime : « Personne ne nous en parle. Y a que les journalistes que ça intéresse ! » A croire que la démocratie, des fois, ça casse les urnes…