« A-t-on le droit d’exclure une partie de la population ? »
Votre élection à la tête du Grand Avignon a surpris. Comment l’avez-vous préparée ?
Cela s’est passé en totale transparence. Il n’y a jamais eu de tractations avec le Rassemblement national (RN). Au départ je n’étais pas du tout candidat à la présidence. Un certain nombre de maires sont venus me solliciter par crainte d’une gouvernance de la ville centre, Avignon. À partir du moment où on m’a sollicité, j’ai demandé à ce qu’on milite pour une gouvernance partagée et apaisée pour fédérer tout le monde. C’est-à-dire un poste de vice-président (VP) par commune. J’ai donc rassemblé à plusieurs tous les maires hormis celles et ceux de ville où devait se dérouler un second tour : Avignon, Entraigues sur la Sorgue, Caumont et Morières-lès-Avignon. Je n’ai pas intégré de suite le RN. Mais la question s’est posé pour Joris Hébrard, élu maire RN du Pontet au premier tour. Tout le monde est tombé d’accord pour dire que du fait qu’il avait été élu de façon démocratique, il n’y avait aucune raison de l’exclure…
Au second tour, Cécile Helle est élue à Avignon et se déclare très rapidement candidate à la présidence du Grand Avignon. J’ai essayé de la joindre, sans succès. Mais dès lors que tous les maires avaient été élus, j’ai contacté les nouveaux, hormis Cécile Helle à qui j’ai laissé un message pour lui expliquer les raisons de ma candidature. Les maires de Morières, d’Entraigues et de Caumont sont entrés dans les réunions ouvertes. Avec toujours l’idée de cette gouvernance partagée : une commune, un maire, une voix, quelle que soit la taille de la commune. Tout le monde était d’accord. J’ai fini par échanger avec Cécile Helle et je lui ai expliqué. Au départ elle avait laissé courir le sentiment qu’elle allait écarter certaines petites communes, ce qui a rajouté un peu d’émoi dans tout cela. Elle m’a dit « non, on gardera les petites communes mais il faut exclure le RN ». Et je lui ai répondu franchement que je n’étais pas d’accord car ils avaient été élu démocratiquement. A-t-on le droit d’exclure une partie de la population ? Si je ne partage pas du tout les idées du RN, que j’ai combattues à ma façon, je suis profondément démocrate. Toujours est-il que tous les maires présents étaient d’accord pour intégrer les maires RN dans la gestion. Et c’est là que cela a coincé avec Cécile Helle.
Pourquoi vous, alors ?
Il semble que je sois pour beaucoup de maires quelqu’un d’assez consensuel. Je suis sur mon troisième mandat, avec une élection assez facile au premier tour. Cela a été un choix unanime. Je vous garantis que dès le départ je me suis dit « je ne comprends pas ». Je n’avais pas du tout l’idée d’être président du Grand Avignon, cela n’a jamais été dans mes objectifs.
Vous avez été élu grâce aux douze voix du RN et Joris Hébrard est 2ème vice-président. Existe-t-il un pacte de gouvernance avec le RN ?
Absolument pas. À aucun moment le RN ne s’est avisé de me proposer ou d’exiger quoi que ce soit, et à aucun moment je n’ai demandé au RN quoique ce soit, si ce n’est d’être dans le cadre d’une gouvernance partagée et surtout de ne jamais mettre en avant leur étiquette politique. Chose que Joris Hébrard a fait dans le mandat précédent – il était d’ailleurs assez insignifiant dans le travail. Il n’a jamais mis en avant ses prérogatives nationales.
Cela ne vous gêne pas d’affirmer que vous vous êtes toujours battu contre le RN, d’être élu grâce aux voix de leurs élus et qu’il siège à vos côtés ?
Joris Hébrard a soutenu mon concurrent RN à Vedène. Bon… Il y a les joutes électorales, après le peuple s’exprime, qu’on soit d’accord ou pas. J’ai de quoi être en désaccord total avec le RN mais le peuple a parlé, il faut accepter. À ce moment-là, pourquoi on reçoit le RN dans les radios, à la télévision, à l’Élysée ? Il y a une hypocrisie ambiante qui me dérange énormément et qui contribue justement à renforcer ce mouvement sous prétexte de le combattre. Je crois qu’on peut le combattre différemment.
« Il va falloir que vous commenciez à fréquenter modestie ! »
Que s’est-il passé lors du vote du vice-président de Morières ? Le maire RN, Grégoire Souque aurait dû être élu mais sa concurrente de gauche Annick Dubois, pas candidate, l’a été à sa place !
Avant le scrutin, il y a eu un mouvement très agité dans la salle de la part de l’équipe de Cécile Helle, avec des petits papiers de table en table, on voyait qu’il y avait quelque chose en préparation. Grégoire Souque n’a pas été élu à deux voix près, avec dix abstentions. C’est significatif.
Vous n’êtes pas derrière tout cela, en cherchant à ne pas donner trop de gage au RN avec deux vice-présidences ?
On ne maîtrise pas le vote ! Je n’ai donné aucune discipline particulière de vote. Et dans les réunions entre maires, je n’ai jamais dit « vous allez voter comme ça », mais que c’était à chacun de voir ce qu’il avait à faire. Une représentante de l’opposition dans une logique de gouvernance partagée, c’est du non-sens ! Une fois qu’on est élu, on a une mission, défendre le territoire dans l’intérêt général et rien d’autre. Le nombrilisme et l’idéologie ne m’intéressent pas.
Le maire communiste d’Entraigues sur la Sorgue, Guy Moureau, vous a-t-il apporté son soutien ?
Je ne sais pas, je ne lui ai pas demandé. Je n’ai pas été voir un maire en lui disant de voter pour moi. On a fait des réunions, on a opté pour une gouvernance partagée et apaisée et il était en phase avec ce qu’on demandait.
Cette élection n’est-elle pas finalement un front anti Cécile Helle ? Et n’est ce pas compliqué de faire avancer une agglomération sans la maire de la ville centre ?
Un Avignonnais m’a dit le jour du vote « on est la ville centre ce n’est pas normal ». Je lui ai répondu « d’accord mais il va falloir que vous commenciez à fréquenter modestie » car il y a 55 000 inscrits à Avignon, Cécile Helle a été élue avec 7800 votants, et ce n’est pas uniquement en raison du Covid. Le propos de monsieur Cervantès [élu écologiste à Avignon qui s’est également présenté à la présidence, Ndlr], avec qui j’échange et qui j’espère travailler, c’est de dire qu’il y a un rejet très fort des Avignonnais envers Cécile Helle. Je l’invente pas. Je ne sais pas pourquoi, c’est pourtant une grosse travailleuse qui connaît très bien ses dossiers. Mais je n’ai pas à juger la personne, on est dans un choix politique. Je ne la déconsidère pas, mon opinion c’est que c’est une bonne élue. Je lui ai dit que je lui tendrai la main. Maintenant elle n’est pas vice-présidente par ce qu’elle n’a pas souhaité être élue avec les voix du RN et aussi parce qu’elle aura les coudées franches. C’est stratégique. Elle a envoyé à sa place son adjoint Joël Peyre – élu avec les voix du RN cela dit en passant. Je respecte ce choix. Alors oui, il y aura un calage à faire c’est sûr mais je souhaite de tout cœur travailler avec Avignon. Le contraire ne serait dans l’intérêt de personne.
Quelles sont vos grandes priorités pour ce mandat ?
D’abord d’accompagner le plan de soutien de 900 000 euros voté au mois de juin. De gros dégâts économiques sont à attendre. Il y aura des faillites, des magasins ont déjà fermé et je pense que le bilan sera un peu plus sévère en fin d’année. Et puis il y a un programme de mandat. Il sera réalisé par l’ensemble des élus, pas par moi, même si j’ai mes idées. Mais j’ai annoncé que l’axe principal de ce mandat serait le développement durable et les mesures écologiques. Je veux par exemple ramener la baisse de 50 % des gaz à effet de serre à 2030 au lieu de 2050. Ce n’est pas tout de le dire, il faut mettre les moyens en face, donc il y aura des choix draconiens à faire. Mais je veux qu’on choisisse tous ensemble. Je souhaite aussi que le Grand Avignon soit un booster et tire les communes vers le haut sur cet objectif.
Propos recueillis par Clément Chassot