Il était une fois un bourbier politique
Daniel Simonpieri, maire de Marignane de 1995 à 2008, est condamné, le 9 novembre dernier, à 1 an de prison avec sursis, 5 ans d’inéligibilité, 5 ans de privation de ses droits civiques et 10 000 euros d’amende dans un dossier de favoritisme, fausses factures et emploi fictif. Il fait aussitôt appel en s’accrochant à ses maigres mandats de conseiller municipal et conseiller communautaire. Mais le 18 novembre, la préfecture le pousse vers la sortie en prenant un arrêté pour « constater » sa « démission d’office ».
FN, MNR, UMP, Simonpieri est une girouette politique qui n’a jamais renié son attachement à l’extrême droite. Il a été l’ami de Le Pen, de Mégret, pour finir dans les petits souliers de Gaudin. « Jean-Claude Gaudin s’était rapproché de moi dès que j’avais été élu FN », avoue-t-il. Avant de préciser un peu aigri : « Il n’a pas aidé ma femme à se reconvertir après ma défaite. » Elle était sa directrice de cabinet… Opportuniste, clientéliste, sa gestion de Marignane a souvent été pointée du doigt (1).
Petites affaires entre amis
Au côté de Daniel Simonpieri, sur le banc des accusés, trois entrepreneurs et son ancien Directeur général des services (DGS), Jean-Pierre Roncin. Ce dernier est arrivé à Marignane en 1996 comme Directeur des services techniques (DST). « Il venait de Lamballe en Bretagne où il avait déjà été ennuyé par la justice, explique Igor Kristensen, responsable CGT à la mairie. On avait fait notre enquête, pour nous c’était un voyou. » Très vite, Simonpieri et Roncin sont au diapason, des cadres partent en maladie et ne sont jamais remplacés. Roncin assure tous les intérims. « En conseil municipal, le maire se retournait en permanence vers Roncin qui était sa tête pensante. Sans lui, il était perdu », raconte Christiane Azam, présidente du MRAP à Marignane et conseillère municipale PCF (2).
Aujourd’hui, Jean-Pierre Roncin, le fonctionnaire moustachu, nie avoir jamais été ami avec Simonpieri : « J’étais là simplement pour assurer une mission de service public et je m’y suis tenu. » L’ancien maire dit tout le contraire : « On sortait fréquemment après le travail avec nos femmes pour boire un coup, manger au restaurant. Si vous n’appelez pas ça de l’amitié ! » Les deux hommes affichent leurs relations avec des entrepreneurs du coin que la commune fait régulièrement travailler et qui savent le leur rendre. Jean-Pierre Roncin possède une luxueuse villa sur les hauteurs de Marseille en SCI avec Philippe Cambon, condamné lui aussi au mois de novembre pour abus de bien social dans la même affaire. Ce self made man istriens était aussi témoin de mariage du maire et de sa directrice de cabinet.
Côté politique, Marignane a toujours été considérée comme perdue d’avance par la gauche qui n’a aucun élu au conseil municipal. En 2001, les Marignanais réélisent largement Simonpieri (désormais MNR). C’est Eric Le Disses, UMP, qui fait office d’opposant en chef. « Il avait une attitude timorée, on n’a jamais vraiment entendu sa voix pendant toutes ces années », se souvient Christiane Azam. Celui qui est aujourd’hui maire, vice-président de la Communauté urbaine de Marseille (MPM) et conseiller général ne faisait qu’attendre son tour. Ce que Simonpieri suggère avec un humour très frontiste : « Moi, c’est pas Mokhtar (sic), c’est la CUM qui m’a tué, avec -er à la fin. »
Quand arrive 2008, Daniel Simonpieri obtient l’investiture UMP au grand dam de Le Disses, pourtant secrétaire national du parti sarkozyste. Le petit opposant se présente quand même sans étiquette. Il n’est pas très inquiet car il a un atout de poids du nom de Roncin. Entre ce dernier et Simonpieri, le torchon brûle depuis 2006. Un vent de fronde souffle au sein des employés de la ville. « Une fois qu’il a eu les rênes totales à la mairie, il s’est un peu pris pour le boss et il ne respectait plus les décisions des élus, raconte Simponpieri un brin furieux. Il savonnait la planche, se préparant une sortie, je m’en suis aperçu trop tard. Il a l’habitude de se faire passer pour un bouc émissaire, comme pour les affaires qu’il traîne en Bretagne. »
Trahisons contre subventions
Ce qu’ignore alors Simonpieri, c’est que son Roncin a pris contact dès 2006 avec l’ami d’un ami, un certain Alexandre Guérini, frère de Jean-Noël, président PS du Conseil général des Bouches-du-Rhône. Notre bon fonctionnaire aux blanches moustaches joue le médiateur entre Alex et Eric Le Disses dont il dit avoir « toujours été proche même quand il était dans l’opposition ». Avant les élections de 2008, la fédération PS investit pour la forme Vincent Gomez, qui se hisse en troisième position, juste derrière Simonpieri (3). Mais en sous main, la fédé roule pour Le Disses. Gomez ne jouit d’aucun soutien de poids. Le 9 mars 2008, au soir du premier tour, le maire sortant comprend qu’il ne gagnera pas, trahi par son fidèle lieutenant. Il essaie de convaincre le personnel municipal de le soutenir, c’est trop tard. Deuxième tour, sans surprise, Le Disses est élu.
Le 17 avril à Marseille, on élit le président de MPM. Sur le papier, l’UMP Renaud Muselier doit être élu avec au moins 15 voix d’avance. C’est sans compter le travail préalable d’Alex et les promesses discrètes de Jean-Noël. Les élus divers droite de Marignane et Plan-de-Cuques votent pour le candidat PS Eugène Caselli. À deux voix près, la gauche ravit la présidence de la troisième intercommunalité de France… par sa droite ! Droit dans ses bottes de petit prince du département, Jean-Noël Guérini rend visite à Eric Le Dissès le 17 juin et annonce : « Je vais apporter un peu de bonheur à Marignane » (4). Un bonheur négocié de 20 millions d’euros en aides du CG13. Les accords sont tenus : trahison contre subventions. Plan-de-Cuques obtient 8 millions cette année-là (5). Dans la foulée, Caselli reçoit Roncin et le recrute au sein de son cabinet. Après treize années au côté d’un maire d’extrême droite, le fonctionnaire devient conseiller d’un élu socialiste. Pour François-Noël Bernardi, président du groupe socialiste et écologiste à MPM, il n’y a aucune contradiction : « Je n’apprécie pas les fonctionnaires selon la couleur politique des collectivités dans lesquelles ils travaillent mais en fonction de leurs compétences. » En l’occurrence, des compétences qui l’emmènent souvent devant les tribunaux…
Quelques mois après, quand l’instruction du juge Duchaine devient publique, Caselli prend ses distances avec Jean-Noël alors qu’Alexandre dort en prison. Il éloigne Roncin de son cabinet, lui retire sa délégation de signature et avoue en garde à vue (6) : « C’est Alexandre qui me l’a conseillé juste après mon élection. » Le relevé des écoutes et des SMS d’Alex le confirme : Roncin organise des rendez-vous entre Monsieur Frère et Le Disses, répond aux demandes expresses d’Alex, lui demande de le voir « au lieu habituel à 19h »…
De ce jeu trouble, Eric Le Disses a su tirer le meilleur. Elu en 2011 conseiller général, il reste un soutien indéfectible à Jean-Noël Guérini. En attendant que de nouvelles décisions de justice viennent encore obscurcir le tableau déjà sombre d’une ville sacrifiée…
Pierre-Julien Bouniol
Eric Le Disses, après avoir accepté un rendez-vous, l’a finalement annulé à la dernière minute, prétextant avoir pris connaissance de nos questions et ne souhaitant pas y répondre. La veille, nous avions contacté Jean-Pierre Roncin…