« Aix, ce n’est pas l’Amazonie !! »
10:05
Ancien titulaire d’un rond de serviette gravé à ses initiales sur la table presse du conseil municipal de Marseille, le journaleux du Ravi débarque à Aix-en-Provence, ce vendredi 14 février, en terre quasi inconnue. Un conseil couvert là-bas il y a quinze ans, pour un autre journal… Comment ça se passe la vie municipale dans une ville d’art et ville d’eau ?
10:15
Le vigile à l’entrée de l’hôtel de ville zieute le sac. « -Vous avez rien de tranchant, pas de couteau de pique-nique ?? – Hahaha, non, même pas un couteau à beurre ! ! » Impavide, le garde confirme implicitement que non il ne faisait pas référence à la pseudo-agression de Martine Vassal, la candidate (LR) du Ravi pour la mairie de Marseille. La blague du Ravi est tombée totalement à plat.
10:20
Dans la superbe salle des États de Provence, l’assistance est encore clairsemée. Haut plafonds aux moulures colorées, tableaux d’époques serrés les uns sur les autres comme des sardines sur tous les murs, grandes fenêtres laissant entrer la lumière… On est dans l’ambiance cosy d’un club de gentlemen anglais, à mille lieues de l’atmosphère bunkerisée de l’hémicycle souterrain de Marseille. Sur les tables, des carafes d’eau d’un litre siglées « Eau en régie d’Aix-en-Provence » : madame la maire a beau être de droite, elle n’a pas délégué son eau à Veolia ou Suez comme certains !
10:25
Maryse Joissains entre, claque la bise à ses adjoints et à une bonne partie de sa majorité. Madame le maire, visiblement enrhumée, se mouche à plusieurs reprises. En mai, la cour d’appel l’a condamnée à un an d’inéligibilité, mais Maryse Joissains a suspendu la peine en saisissant la Cour de cassation. Son troisième adjoint Alexandre Gallese, mis en examen fin janvier pour trafic d’influence et prise illégale d’intérêt, siège à sa droite. L’économiste Gérard Bramoullé, premier adjoint, est absent.
10:45
« On termine la récréation, nous allons faire l’appel ! », lance la maire, avec presque un quart d’heure de retard sur le planning.
10:52
Le benjamin du conseil termine de lire à toute vitesse, en mode mentions légales des pubs radio pour automobiles, la liste des comptes-rendus du conseil précédent, soumis à un vote de confirmation. C’est le moment de l’appel. « Gérard [Bramoullé] est empêché, mais il est avec nous par la pensée, très fortement », précise la maire. Qui appelle par leur prénom et tutoie la quasi totalité des conseillers municipaux, opposition comprise.
Elle remet « un clou de la ville d’Aix », un blason aux armoiries de la ville, à une membre de l’équipe RH qui s’en va dans un autre poste. « N’applaudissez pas trop sinon je me présente aux municipales ! », tente l’honorée. Rire général, sauf sur le banc du Ravi, qui trouvait sa blague meilleure.
10:56
L’opposant historique Lucien-Alexandre Castronovo (DVG) alerte la maire sur le passage des serviettes jetables aux bavoirs en tissus dans les écoles : « Il ne faut pas les attitrer à un enfant mais les laver tous les jours ! », met en garde l’élu. Qui cherche soudain la suite de son texte : « J’ai perdu ma deuxième feuille… » « C’est pas grave ! », ricane-t-on à haute voix dans le public.
11:15
Des cigales se mettent à crisser en plein conseil : la sonnerie de portable d’une élue de la majorité, interrompant madame le maire en pleine explication des travaux de mise en valeur des vestiges du Moyen-Âge : « C’est vrai que les vitres qu’on a mis devant ne sont pas terribles, mais a posteriori tout le monde a raison, hein… »
11:18
La température monte subitement quand l’élue d’opposition Charlotte de Busschere (société civile) se lance dans une intervention préliminaire sur les arbres. « On nous a abattu 9 platanes qui n’étaient pas atteints par le chancre, sous prétexte qu’ils étaient dans l’axe des réseaux souterrains, et là on veut replanter quasi au même endroit ! Quel bilan ! » « Et toi, tu pollues pas, avec tes agissements ?? », réplique la maire, énigmatique. « – Et votre diesel il pollue pas ?? Quel argument à deux balles !! – Tu mets en cause le travail des fonctionnaires !!! – L’arbre numéro 14, celui en face de la pharmacie, il n’était pas chancré !!!! »
11:30
Match retour dans les arbres avec la délibération qui attribue le marché d’élagage et d’abattage à la société Dolza, délégataire historique depuis plus de vingt-cinq ans. « Comment oublier les tailles dans nos arbres réalisés par cette société ? poétise Hervé Guererra (Parti occitan). Quelles garanties a-t-on qu’ils vont stériliser leurs outils pour ne pas propager le chancre ?? En plus, c’est une société qui vend du bois, elle a tout intérêt à pratiquer des coupes sévères !! Je ne voterai jamais ce type de dossier ! » Jean-Jacques Politano monte en défense : « Le marché ne spécifie pas qu’on doit ramener le bois, ça aurait un coût !! Et quant à utiliser ce bois dans la chaufferie [municipale], on ne peut pas utiliser les branches ni les souches. On jette la suspicion sur cette entreprise et sur la commission d’appel d’offres, comme s’il y avait collusion pour couper les arbres ! La ville d’Aix, ce n’est pas l’Amazonie !! » Maryse Joissains vient à la rescousse : « On fait des sous-entendus qui pourraient être judiciaires alors qu’on essaie de faire rester les entreprises locales dans les marchés [publics] ! »
11:42
Et revoilà Charlotte de Busschere sur les arbres : « La mobilisation des Aixois pour protéger ces arbres montrent qu’ils ne sont pas dupes !! Sur le cours Mirabeau, oui ils étaient chancrés, mais ailleurs non !! » Et de faire passer dans la presse un morceau du tronc abattu place de la mairie. Le bois a l’air effectivement tout à fait sain.
11:50
Une adjointe a laissé son micro ouvert. Il entre soudain en résonance avec celui de Maryse Joissains en un effet larsen à crever les tympans.
12:00
Edouard Baldo (PS) se demande où en est le dossier d’indemnisation de l’éleveuse de cochons laineux du quartier Puyricard. « La population est contre cette installation, rappelle Maryse Joissains. Le procès risque de durer un peu longtemps, la demande d’indemnisation dépasse l’entendement. »
12:04
L’opposition attaque sur un reportage sur les crèches diffusé début février par Pièces à conviction sur France 3, dont dix minutes consacrées aux crèches privées d’Aix. Tourné en caméra cachée, on y voit un manque d’employés et des manques criants de matériel. « Il y a des émissions poubelles !! », dégoupille la maire. La deuxième adjointe Dominique Augey, un petit air d’Elise Lucet, contre-attaque : « Nous avons demandé des comptes au délégataire, il y a eu déformation des choses dans ce reportage ! » « Le rapport que vous nous fournissez a été rédigé par l’entreprise, pointe Gaëlle Lenfant (PS). Même si le reportage est à charge, la vérité doit être entre les deux… Dominique, tu soulignes toi-même qu’il y a un turnover inquiétant dans le personnel des crèches. Vous auriez intérêt à discuter avec les organisations syndicales de ces entreprises. » « Nous avons 88 % de taux de satisfaction chez les parents des crèches, on va interroger les 12 % restant », grince la maire. Charlotte de Busschere saute dans le débat : « Le rapport d’activités des crèches fait 2 000 pages, et vous nous l’avez fourni cinq jours avant le conseil ! ». « On envoie l’intégralité du rapport alors que nous ne sommes obligés de ne fournir qu’une synthèse », riposte au micro une membre du cabinet du maire.
12:45
Plusieurs élus et membres du public désertent pour aller manger.
12:50
Le plus dur pour la fin : le conseil attaque le dossier de renouvellement de la délégation jusqu’en 2027 pour le Grand théâtre de Provence (GTP). Dominique Bluzet, délégataire sortant, est seul en piste. « Je n’ai rien à dire sur l’artistique, ce qui m’inquiète c’est l’économique, soulève Jacques Agopian. Il est fait état d’un risque financier réel pour le délégataire. On ne pourra pas dire qu’on est pas prévenu. Je trouve anormal qu’on prenne une telle décision à la veille des élections [municipales]. Il faut décaler ce vote après le scrutin. » « On connaît tous Bluzet et on sait le nombre de personnes qu’il fait travailler sur la ville, rétorque Maryse Joissains. Si on décale le vote et que la nouvelle majorité ne vote pas comme on vous le propose… » « Aaaaaah c’est ça !!! » triomphe Agopian. « … le temps de lancer un nouvel appel à candidature on prend dix-huit mois de retard et on met en danger le Festival d’art lyrique et le ballet Prejlocaj qui se produisent au GTP ! Je ne veux pas qu’on prenne ce risque !! » « On peut aussi sortir et vous n’aurez pas le quorum pour ce vote !! » menace Agopian « Les Aixois vont voir qui leur a volé leur vote !!! Je cours le risque, je m’en fous !! » Théâtralement, Jacques Agopian se rhabille lentement, saisit sa petite mallette souple siglée du blason aixois et sort se placer sur les bancs du public. La moitié de l’opposition le rejoint. Pas assez pour bloquer le vote. La délégation est adoptée.
13:35
Ultime délib’ adoptée, Maryse Joissains prend la parole en conseil pour la dernière fois de cette mandature : « Merci à tous les élus, de la majorité et de l’opposition. Tous ensemble, nous avons mis Aix sur des rails d’exception. Je vous invite au pot de l’amitié, et maintenant Alexandre tu peux faire ta déclaration ! »
Ému, Lucien-Alexandre Castronovo prend la parole pour son dernier conseil municipal : « Après quarante ans de vie municipale, me voilà un des doyens de ce conseil. Pour paraphraser François Mitterrand, je crois aux forces de l’espoir, pour Aix et pour les Aixois. Je serai désormais en retrait, mais pas en retraite. » Applaudissements sur tous les bancs.
« Je demande à tous de se lever pour applaudir les fonctionnaires », lance Maryse Joissains. Standing ovation de deux minutes pour tout le staff du conseil. Les élus sortent par une porte cochère, direction le buffet.
De haut en bas, pour illustrer cet article, Trax, notre dessinatrice, a représenté Maryse Joissains, , Charlotte de Busschere, Jacques Agopian.
Actualisation : rectification d’une citation de Jean-Jacques Politano, attribuée par erreur à Jacques Agopian.