Citoyens de tous les quartiers, unissez-vous !
« Si on politise une ville comme Marseille, on pourrait forcer le maire à quitter son siège. » Les cris de « Gaudin démission » lors des rassemblements qui ont suivi le drame du 5 novembre résonnent encore aux oreilles de Kevin Vacher. Passé par le NPA, cofondateur du Collectif du 5 novembre (C5N), le sociologue est convaincu de vivre un moment historique. Un sentiment partagé par Mohamed Bensaada, militant de la France Insoumise et fondateur du Syndicat des quartiers populaires de Marseille (SQPM) : « En 20 ans de militantisme, je n’ai jamais vu ça. On construit quelque chose d’inédit en plaçant des combats de quartier sur un échiquier plus large. »
Salariés d’un Mac Donald en lutte, organisateurs d’un carnaval autogéré ou locataires mobilisés face à l’insalubrité de leur logement, tous se sont réunis le samedi 19 janvier dans un théâtre du quartier populaire de Belsunce. Au lieu de prises de parole interminables, la « grande rencontre des quartiers mobilisés » débute par une mascarade de « procès de la désobéissance civile ». Vêtue d’un tailleur, Soraya Guendouz-Arab, membre du SQPM, appelle à la barre « le peuple, les indignés, les islamo-gauchistes, les altermondialistes, les communistes qui veulent détruire notre système ».
Sous les éclats de rire, les accusés défilent pour « plaider coupable » et demander « une gouvernance du peuple par le peuple, pour le peuple marseillais »… Tous croupiront en prison, quand ils ne sont pas ligotés et jetés dans le Vieux-Port ou pire, envoyés au bûcher. « Je n’avais jamais vu quelque chose d’aussi loufoque » rigole Fathi Bouaroua, ancien directeur régional de la fondation Abbé Pierre.
Pour une ville vivante et populaire
Mais les messages politiques passent. « La mairie veut nous diviser, centre-ville et quartiers nord, heureusement depuis le 5 novembre, on a pris conscience qu’il fallait bouger vite », souligne Bruno Le Dantec, écrivain, journaliste au mensuel CQFD et membre de l’Assemblée de la Plaine qui se bat contre un projet de réaménagement de cette place du centre-ville.
« On voit dans le collectif des personnes qui ne militaient pas jusqu’à présent », remarque Kevin Vacher. A ses côtés, Anissa Harbaoui est aussi membre du C5N et une des porte-paroles de l’assemblée des délogés : « J’ai mis le doigt dans un engrenage. Si ça avait été une association déjà établie ou un parti qui portait cette mobilisation, je n’y serais pas allée. »
La révolte de cette animatrice dans l’éducation populaire est née du choc de la disparition de son amie Simona dans l’effondrement du 65 rue d’Aubagne. Anissa a ensuite été évacuée de son immeuble du 5ème arrondissement de Marseille, frappé d’un péril grave et imminent. Depuis, elle vit à l’hôtel et tente de fédérer les délogés en organisant des rassemblements revendicatifs devant l’espace d’accueil mis en place par la mairie. Un enthousiasme que ses camarades plus aguerris du C5N s’appliquent à structurer pour durer.
L’assemblée des quartiers mobilisés va se retrouver une fois par mois sur la base d’un « manifeste pour un Marseille vivant et populaire » signé par plus de trente collectifs, associations et syndicats. Parmi les revendications : la réquisition des logements vides pour héberger les personnes évacuées, la gratuité des transports en commun, ou l’abandon des partenariats public-privé, notamment pour la rénovation des écoles. Le lancement d’états généraux le 4 février, en marge du conseil municipal, est également acté. « Il faut faire signer les grosses associations, fédérer au maximum. Et c’est bien parti », s’enthousiasme Mohamed Bensaada.
Élections à l’horizon
A un peu plus d’un an des élections municipales, d’aucuns pourraient y voir les bases d’une future liste citoyenne. « On ne place pas des billes pour une liste électorale », prévient Bruno Le Dantec. Kevin Vacher botte également en touche : « Ne parlons pas d’élection mais de vraie politique. Construisons d’abord la mobilisation. On verra où on en est dans 6 mois. »
La question fait pourtant déjà débat. « Il faut qu’on fasse partie des espaces décisionnels, du conseil municipal », estime Soraya Guendouz-Arab. Anissa Harbaoui approuve : « Il ne faut pas que des personnes du mouvement partent sur des listes déjà constituées, quelles que soient leurs bonnes intentions. Il faudrait une liste vraiment collective, avec un système horizontal. » D’autres, comme le collectif Mad Mars (lire tribune page 14) plaident explicitement pour une « alliance entre mouvements citoyens et élus progressistes ».
« Si des gens en ont l’idée, on ne peut pas les empêcher. C’est une discussion qu’on devra avoir », admet Mohamed Benssada. Lui ne s’interdit pas de se présenter dans les 13ème et 14ème arrondissements sous l’étiquette LFI. « Mais ce sont deux démarches totalement différentes. Et si ça pose des problèmes de lisibilité, je suis prêt à m’effacer. Ce qu’il faut éviter, c’est une candidature de témoignage. »
Les « quartiers mobilisés » entendent d’abord rassembler. « Il faut élargir au-delà de nos réseaux, aller draguer la bourgeoisie du 8ème », estime Kevin Vacher. Dans le nord de la ville, où le taux d’abstention a dépassé les 50 % aux dernières municipales il est également difficile de mobiliser. « Quand on a le frigo vide, ce n’est pas la priorité, estime Aïcha Mansouri, adhérente LFI et membre d’un collectif d’habitants du 15ème arrondissement. « Des Français de la 2ème, 3ème ou 4ème génération d’immigration ont vu leurs parents galérer, abandonnés des pouvoirs publics, confirme Soraya Guendour-Arab. Comment voulez-vous qu’ils s’approprient la politique ? » La participation à la « grande marche pour le logement et le droit à la ville » le 2 février devrait être un premier test de mobilisation…