L’ombre de Castaner s'estompe
Fidèle à lui-même, le gaffeur Christophe Castaner gère sa succession à Forcalquier aussi bien que ses dispositifs policiers lors des manifestations des Gilets jaunes. S’il n’y a pas encore eu de morts ou de blessés dans la sous-préfecture néorurale des Alpes-de-Haute-Provence, la situation y est très chaude : depuis son départ à Paris en 2017, après 16 années de mandats de maire et cinq de député, la majorité du premier flic de France a explosé et n’aura pas de représentant pour les prochaines municipales. Pire, si le FN semble une nouvelle fois se tenir à l’écart de l’élection, LREM est incapable de proposer une alternative. Sauf revirement, le parti du président ne devrait, comme Christophe Castaner, soutenir personne.
Résultat, la ville a toutes les chances de basculer à droite en général et dans les bras de David Gehant, le secrétaire départemental Les Républicains, en particulier. Conseiller régional, jeune, natif de Forcalquier, un vernis écolo et une mère socialiste ancienne adjointe à la culture de Castaner, contre lequel il a perdu aux cantonales de 2015, il semble avoir un peu d’avance sur Eric Lieutaud. Lui aussi ex adjoint de Castaner, cet ophtalmo draine derrière lui une droite plus traditionnelle.
Géhant aux pieds d’argile?
Surtout, Gehant dispose du soutien de la partie la plus centriste de l’actuelle majorité. « Il arrive au bon moment et comme Castaner il réussit à agréger des gens de gauche », juge Alexandre Jean, adjoint aux finances et ancien attaché parlementaire de Castaner. Après avoir rêvé de lui succéder, le trentenaire a finalement jeté l’éponge : « Il n’y a plus d’ombre tutélaire au-dessus de nous, mais si j’y étais allé j’aurais eu son nom gravé sur le front. » Désormais, il joue la prudence : « Géhant est un opportuniste qui fait de la politique à l’ancienne, il ne s’est pas prononcé en 2017 entre Le Pen et Macron et, surtout, si “Forcalquier en commun” réagit avant fin janvier on a beaucoup de chance d’avoir une triangulaire. » Avec toutes ses incertitudes.
« Forcalquier en commun », c’est « la liste citoyenne avec des valeurs historiquement appartenant à la gauche, comme l’accueil des migrants », pour reprendre les mots de Danièle Klingler, une de ses militantes. Issue de combats locaux, comme celui perdu contre l’extension de l’Intermarché et le nouveau PLU, inspirée par le municipalisme et lancée dès septembre 2018, elle rassemble aujourd’hui presque 200 personnes, dont des militants LFI et écolos et des anciens adjoints de Castaner, sur des idées de démocratie participative, de justice sociale, d’urgence écologique. « On a des grands axes, de grandes orientations, mais on veut laisser de la place aux initiatives citoyennes pendant le mandat », précise l’ancienne prof d’histoire géo. La désignation de la tête de liste a été repoussée en début d’année : pour la liste citoyenne, le principal est de convaincre d’abord les Forcalquiérains de la démarche.
Une démarche participative
Une démarche qui questionne dans la petite ville, toute néorurale soit-elle. « Je partage 95 % de leurs idées, mais l’approche gestionnaire en commun, sans personne identifiée pour porter le projet, perturbe les gens », estime Alexandre Jean. Autre limite, selon certains, la sociologie du rassemblement : avec un peu trop « bobo », de CSP+. « Ils ont une grosse assise de premier tour mais pas de second, estime Léo Walter, un des animateurs des Insoumis sur le 04 et adversaire malheureux de Castaner en 2017. Ils doivent élargir leur base au-delà de leur cercle naturel. Il leur faut par exemple des natifs. »
Autant de remarques que balai « Forcalquier en commun ». « Nous nous soucions de rassembler plus largement et ça commence à prendre, promet Vincent Baggioni, sociologue installé à Forcalquier depuis une dizaine d’années. On est sur une bonne dynamique, avec de plus en plus de monde à chaque réunion. » Et d’assurer : « Aujourd’hui, on nous considère, on reconnaît notre sérieux. Depuis qu’on s’est lancé, Gehant est passé du “je” au “nous”, il se rend compte que ça n’est pas gagné. »
Reste à voir si la dynamique suffira à imposer une triangulaire de second tour, comme l’envisage Alexandre Jean. « En attendant, les semaines à venir vont être intéressantes », assure Léo Walter. La disparition politique de Castaner de Forcalquier aura eu au moins cette vertu.
Ni Christophe Castaner, ni David Géhant, ni Eric Lieutaud n’ont répondu à nos sollicitations.