Le Seigneur des anneaux
Le soleil brille mais le mistral souffle à Sanary-sur-Mer (83) en ce samedi matin de février. Aujourd’hui, les pêcheurs sont restés à quai, enfin le peu qu’il en reste. « Avant on était 33 professionnels et le quai était rempli de bateaux de pêche, aujourd’hui nous sommes à peine une dizaine », se désole Angelo Gallo, figure du port. Fils et petit-fils de pêcheurs siciliens, sa famille est arrivée dans la commune varoise en 1956. Lui est né ici. Lorsque l’actuel maire, Ferdinand Bernhard (sans étiquette, ancien Modem, ancien UDF) remporte la mairie en 1989, la rumeur enfle : il aurait pour projet de faire dégager les bateaux de pêche pour les mettre à la Reppe, du nom du fleuve côtier intercommunal…
Trente ans plus tard la rumeur avait vu presque juste, la plupart des bateaux de pêche ont été remplacés au quai d’honneur par des pointus marseillais traditionnels. Ce qui participe à la carte postale voulue par Ferdinand Bernhard, toujours dans son fauteuil et qui souhaite rempiler pour un sixième mandat malgré ses casseroles. En effet, après huit ans d’enquête, il a été mis en examen pour « favoritisme, détournement de fonds et prise illégale d’intérêts ». Renvoyé en correctionnelle, mais toujours pas jugé, il risque jusqu’à dix ans de prison et l’inéligibilité. Rien qui ne l’empêche pour l’instant de se représenter aux municipales et de réaliser ses grands projets pour la ville.
Disneyland-sur-Mer
Depuis cinq ans le port est en travaux : nouvelle capitainerie, centre d’entraînement de plongée… Bernhard vise les labels. « Tout est toujours surdimensionné dans notre commune. Sans pour autant avoir finalisé un budget, il a fait appel à des emprunts relais », explique Olivier Thomas, élu d’opposition depuis onze ans mais qui, « épuisé », ne se représente pas. Il précise: « On veut avoir la plus belle capitainerie de la Méditerranée, mais là où elle est située, on a du mal à voir l’entrée du port. » C’est ballot.
A Sanary, le prix de l’anneau fait aussi débat, il est l’un des plus élevés du Var avec 220 euros le m2, pour une concession de vingt ans. Les Sanaryens n’ont plus les moyens et sont obligés de vendre leur bateau ou de migrer. Une bonne façon d’écrémer et de faire venir les touristes étrangers. « Le port, c’est Disneyland six mois de l’année », souligne Olivier Thomas. Assorti de quelques obligations, notamment celle de participer bénévolement aux manifestations annuelles organisées par la commune, les propriétaires de pointus ont, quant à eux, droit à un abattement de 40 % sur la place au port.
Jusqu’ici, l’emplacement pour les pêcheurs retraités était gratuit. Mais depuis le 1er janvier 2019, Angelo a reçu un courrier l’informant qu’il devait désormais payer. « Sanary est la seule commune de France à taxer les pêcheurs retraités ou pensionnés actifs comme moi », s’énerve Angelo. Pour sa part, on lui demande de s’acquitter de 7500 euros par an pour deux bateaux, sa pension annuelle est, elle, de 12 500 euros. Il a déposé un recours au tribunal administratif. Du côté du Comité départemental des pêches du Var, on s’inquiète de cette initiative de la mairie qui pourrait donner des idées à d’autres communes.
La profession est acculée par des directives européennes. Le mois dernier, ils étaient 80 à manifester devant la préfecture pour dénoncer « leur disparition programmée ». Sylvain, pêcheur en activité à Sanary – dont le prénom a été modifié par peur des représailles du maire – trouve cela « pathétique » et s’inquiète : « Les jeunes se forment auprès des retraités. Mais si la place est payante, ces derniers ne vont pas rester. Et on va perdre cette transmission. »
Diviser pour régner
Angelo ne s’est jamais laissé faire, et le maire, qui n’aime pas qu’on lui résiste, l’a dans le collimateur. Il voudrait bien le voir déguerpir, comme ça a déjà été le cas pour d’autres avant lui. Olivier Thomas se souvient d’un pêcheur à qui Ferdinand Bernhard avait demandé de déplacer son étal car ce dernier gênait le yacht du fils de son adjoint à la sécurité et au budget, Jean Brondi. Lassé de batailler, le professionnel est parti s’installer à Bandol. En quelques années, l’édile a réussi à diviser les pêcheurs entre eux, notamment au sein de leur Prud’homie.
Jusqu’en 2017, Sanary était la seule commune, avec le Lavandou, à verser une subvention – 24 000 euros – à cette juridiction professionnelle typiquement méditerranéenne, datant du Moyen-Âge. Chaque année, elle avait aussi en charge de préparer « La plus grande Bouillabaisse du monde », inscrite dans le livre des records avec ses 1,2 tonnes de poissons. Et puis, un jour le maire a décidé qu’il ne s’entendait plus avec le premier prud’homme [équivalent du titre de président, Ndlr] et a supprimé la subvention.
En mars 2018, Ferdinand Bernhard fait créer une nouvelle association, celle des Pêcheurs de Sanary, à laquelle il confie la préparation de la fameuse bouillabaisse, manifestation qui draine plus d’un millier d’amateurs chaque année. A la barre, un couple de pêcheurs connu au port : Jean-Paul et Fanny Mazella. Elle est adjointe au maire, lui vient d’être élu il y a quelques jours à la tête de la Prud’homie, comme le souhaitait le maire qui depuis des années rêve d’avoir la main dessus. Pour Olivier Thomas, sans surprise, Don Ferdinand sera réélu en mars, sûrement même au premier tour. Il y a quelques jours, lors de son meeting de campagne, l’édile a déclaré avoir des idées « pour les dix prochains mandats ». On n’est pas sorti de la baille.