Les écologistes biodégradables avant le second tour
Il se dit « positif et combatif » : « J’ai toujours espoir de gagner la mairie », affirme au Ravi Jean-Pierre Cervantès, candidat écologiste à Avignon. Pourtant les voyants sont loin d’être au vert : avec 15 % des voix au premier tour, le conseiller municipal a perdu le pari d’arriver devant la liste de Cécile Helle (1), la maire sortante socialiste (34 %). Et depuis le 18 juin, rien ne va plus : cinq de ses colistiers ont publiquement appelé à son retrait (du moins à ne pas présenter de bulletins dans les bureaux de vote) – officiellement pour ne pas risquer une victoire du Rassemblement national (RN) – et pour certains d’entre eux à voter pour… Cécile Helle !
Avec un RN arrivé deuxième avec 21% des voix et le maintien du candidat Républicain Michel Bissière (11 %), le deuxième tour sera donc une quadrangulaire. En effet, les deux listes de gauche qualifiées n’ont pas pu s’unir : « Un problème de personne, pas autre chose », commente Jacques Montaignac, directeur de la culture de la mairie d’Avignon pendant trente ans avant de devenir adjoint de Cécile Helle en 2014 et de finalement s’engager sur la liste écologiste cette année. Le candidat Cervantès assure lui que ce sont les projets qui ont fait capoter l’union : « Il y avait pour nous trois choses non négociables : l’écocide de l’île de la Barthelasse [7 000 arbres qui doivent être abattus, Ndlr], l’arrivée d’une autoroute urbaine (la tranche 2 de la LEO, Ndlr) et le refus de donner des responsabilités au RN au Grand Avignon. Cela n’a pas marché. » C’était en fait plutôt joué d’avance : les deux se détestent cordialement. Élu avec Cécile Helle en 2014, Jean-Pierre Cervantès a été exclu de la majorité en 2016 avant de devenir l’un des principaux opposants au maire.
La peur du RN
Depuis, le candidat a décidé de se maintenir, ripolinant son slogan en « Le monde d’après ». Les « dissidents » lui reprochent de ne pas avoir organisé de vote avec tous ses colistiers : « La démocratie interne ne fonctionne pas du tout. Il n’y a pas eu de consultation, nous n’avons pas pu nous compter, c’est contraire à la charte d’Europe Écologie-Les Verts ! », enrage Isabelle Delaunay, en 8e position sur la liste, et qui votera Cécile Helle. Cette sociologue et statisticienne estime que le RN a une véritable réserve de voix : « Ils ont fait entre 8 000 et 11 000 voix au second tour des élections en 2014 ! Et il n’y a jamais eu de quadrangulaire à Avignon. Jean-Pierre Cervantès et quelques-uns ont catégoriquement exclu ce risque. Ce n’est pas à la hauteur de la situation et nous sommes une quinzaine à penser comme cela au sein de la liste. » Le candidat assure avoir posé la question à tout le monde le soir du premier tour « et tout le monde a été unanime sur la volonté d’union ou le maintien de la liste en autonomie en cas d’échec. Qu’est-ce qui s’est passé pendant le confinement ? »
Son directeur de campagne, l’ancien socialiste Samir Allel assure que « s’ il y avait le moindre doute que le RN l’emporte, nous nous serions retirés ! Nous avons été victimes de méthodes staliniennes, infiltrés par les équipes de Cécile Helle, avance-t-il. Elle est très autoritaire, veut une majorité à sa botte et ne voulait donc pas des Verts ! » Pour une autre colistière en colère, Sephorah Doulière, un temps codirectrice de la campagne : « Cervantès a fait rentrer sur sa liste des opposants à Cécile Helle comme Christine Lagrange par exemple [ex adjointe à l’urbanisme venue du parti socialiste, Ndlr] qui a de gros contentieux avec Helle. Ce sont des conflits personnels qui ne nous regardent pas. Comment faire campagne avec des stratégies personnelles ? » Un autre colistier, Hugues Girard, ancien journaliste France 3 analyse : « Il a décidé tout seul de se maintenir avec trois ou quatre proches. Il ne veut pas de débat interne, je me suis fait blacklister de discussions internes. Son rêve est de devenir l’opposant incontournable d’Avignon. » Faux, répond l’intéressé : « Je suis devenu opposant petit à petit. Je n’ai jamais critiqué Helle, j’ai voté 80 % de ces délibérations mais me faisais entendre quand je n’étais pas d’accord ! »
Jacques Montaignac, quarante ans de politique derrière lui, s’avoue surpris : « J’ai connu plusieurs maires, je connais très bien le monde politique local mais j’avoue que j’ai été surpris avec les écologistes. Je m’attendais à un parti qui fonctionne différemment, il est comme les autres. J’ai été surpris aussi du peu de poids des écologistes historiques, il y a eu de l’entrisme. » Pour Christèle Marchand-Lagier, maître de conférences en sciences politiques à l’université d’Avignon, « Les écologistes se sont inscrits dans une logique de campagne nationale, pour montrer ce qu’ils pèsent. Mais à Avignon, Jean-Pierre Cervantès n’a pas réussi à transformer l’essai. En face Cécile Helle a su récupérer le leadership de la gauche. Ce n’est pas une sortante populaire mais elle a une image de sérieux, de rigueur et d’austérité même, qui rassure en cette période. Et elle semble plutôt bien avoir géré la crise sanitaire. Concernant le risque RN, honnêtement il est très limité, je ne vois pas ce qui va pousser les abstentionnistes du 15 mars à venir voter pour ce drôle de deuxième tour qui sent le réchauffé. Et puis le candidat de la droite se maintient, ce qui exclut un report de voix de la part des électeurs de droite. »
Sabotage politique
Au-delà des chamailleries et des noms d’oiseaux, le rapprochement impossible de ces deux listes de gauche risque de poser un gros problème de gouvernance, cette fois-ci à Grand Avignon, l’intercommunalité qui regroupe 16 communes. « Unis et avec un score conséquent, nous aurions automatiquement pris le Grand Avignon, regrette Samir Allel. Là, la droite et le RN, qui a gagné la ville du Pontet au premier tour, risquent de s’allier ! » Une gouvernance qui ferait tache puisque déjà en 2014 Cécile Helle n’était pas parvenue à prendre la présidence de l’agglomération, passée à droite, et avait donc dû renoncer à une partie de son programme électoral. « Elle cristallise beaucoup trop d’opposition, elle n’en sera jamais présidente, croit savoir Jean-Pierre Cervantès, qui briguera la présidence quoi qu’il arrive. Alors qu’un écologiste serait plus consensuel… »
Lucien Stanzione, le premier fédéral du parti socialiste vauclusien a bien tenté de faire entendre raison aux deux candidats : « Je leur ai dit que les leviers politiques et financiers se trouvaient à l’intercommunalité. Mais à la fin, ce sont eux qui décident et leurs inimitiés ont eu raison de l’union. » Même Olivier Faure, le patron du PS en France a tenté de convaincre Cécile Helle, sans succès. « Il y aura peut-être des accords de gouvernance, au coup par coup, sur certains dossiers », espère Lucien Stanzione. Une autre échéance pose aussi question au vu de ces désaccords locaux : les élections départementales de 2021 où la gauche tentera probablement de proposer des binômes d’union. Et cette fois-ci la menace du Rassemblement national ne sera pas qu’une hypothèse.
1. Cécile Helle n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien.
Illustration : Jean-Pierre Cervantès caricaturé par Trax