Estrosi-Ciotti à coup pour coup
Ils ne peuvent s’en empêcher. Les allusions à chaque réunion publique, les piques envoyées à la volée, les circonlocutions alambiquées. Et la riposte tout aussi pimentée. A Nice, Christian Estrosi et Éric Ciotti se rendent coup pour coup, camp contre camp. Les législatives cristallisant l’opposition entre les deux leaders de la droite azuréenne, autrefois soudés et alliés. Dans la première circonscription des Alpes-Maritimes, Éric Ciotti convoite un quatrième mandat de député avec sa très chère étiquette Les Républicains. Pas candidat, Christian Estrosi tente de renverser son adversaire politique de son siège : il propulse dans les pattes de son concurrent son poulain Graig Monetti, 28 ans et parti sous les nouvelles couleurs d’Horizons, parti Macron-compatible de l’ancien Premier ministre Édouard Philippe.
Longtemps, Christian Estrosi et Éric Ciotti ont fait la paire. Dans leur sud-est natal, ils se sont entraidés, soutenus, élevés. Élu député en 1988, Christian Estrosi a fait d’Éric Ciotti son attaché parlementaire. Le couple politique poursuivra un parcours commun au Conseil général des Alpes-Maritimes : le premier, président, le second, directeur de cabinet. C’est avec le soutien de Christian Estrosi qu’Éric Ciotti finira par en devenir président à son tour. Dans les meetings, ils se retrouvent au premier rang, applaudissent au même rythme, font de Sarkozy un mentor. Mais d’élections en mandats, de convictions en tergiversations, la rancœur s’immisce. Qu’il est difficile de se partager un leadership ! Deux chefs sur un même territoire ne font pas bon ménage. Le duo devient duel. D’un côté, Ciotti et sa droite dure. De l’autre, Estrosi et sa droite Macron-compatible. Depuis quatre ans, les désormais frères ennemis de la Côte d’Azur se canardent à coup de tweets, de discours, de petites phrases dans la presse. Une querelle qui refait des étincelles à chaque présidentielle, municipale, départementale, régionale et, donc, législative.
« Nous aurons à faire face aux « vira vesta » »
Début mai, les deux campagnes ont été lancées à quinze heures d’intervalle. Devant sa permanence sur le port de Nice pour Éric Ciotti, entre un club de plongée et un bureau de la police municipale. Dans un jardin du centre-ville de Nice, les pieds dans l’herbe et vue sur mer pour Graig Monetti. De la socca à l’apéro pour le premier, des cacahuètes enrobées pour le second. De part et d’autre : mille sympathisants venus soutenir leur candidat. On toise l’adversaire, on lance l’attaque, on contre. On se dispute « la fidélité » et « la loyauté », on s’approprie « la sincérité » et « le rassemblement ». Surtout, on s’invective sans jamais se citer. « Ils ne méritent que peu d’intérêt, tance Éric Ciotti à la tribune. Nous aurons à faire face aux « vira vesta » [retourner sa veste, en nissart], à ceux dont les convictions ont du mal à suivre la vitesse de la girouette. Ceux-là, ils ne nous font pas peur. » Son suppléant Auguste Vérola : « Je préfère la fidélité de Sganarelle aux contorsions de Tartuffe. » Le départ des Républicains du maire de Nice, en mai 2021, ne passe toujours pas. Encore moins ses nouvelles amitiés avec la Macronie.
Dans le clan Estrosi, ce sont les positions jugées extrêmes et les critiques sur la gestion niçoise qui restent en travers de la gorge. Pas une seule fois le nom de Ciotti ne sera entendu lors du lancement de campagne de Graig Monetti : « Graig député, c’est un député qui ne dira pas du mal de Nice […] Graig député, ce ne sera pas un apparatchik des appareils politiques, lance le premier adjoint et premier soutien de Christian Estrosi, Anthony Borré. Graig député n’aura pas dans ses paroles des mots qui dépasseront l’acceptable en parlant d’ensauvagement de la ville de Nice à tout bout de champ à chaque fois qu’un drame se produit. Graig député, il ne montera pas les uns contre les autres, il cherchera à rassembler. Il n’acceptera pas clins d’œil et les mains tendues du rassemblement national et de l’extrême droite parce que ce ne sont pas nos valeurs. » Christian Estrosi : « Il n’y aura pas la nostalgie, cette espèce de crispation permanente où il faut être toujours négatif sur tout, où il faut critiquer tout. Alors qu’on a besoin de traduire de l’espoir. »
Au national, Ciotti défend bec et ongles son parti, Les Républicains. Il se positionne à la droite de la droite, tapant sur l’administration Macron à chaque occasion. Il lance aussi des piques adressées à sa ville natale, notamment avec le hashtag #SaccageNice. Estrosi cajole Macron, jusqu’à participer à son investiture présidentielle. A Nice, un point avive les frictions : la démolition du théâtre de Nice pour faire pousser une « forêt urbaine ». Estrosi a déjà fait voter le projet en Conseil municipal, Ciotti demande d’organiser un « referendum ». Et si les législatives n’étaient qu’un test avant les municipales ? En 2020, Éric Ciotti avait jeté l’éponge après avoir envisagé de se présenter. Si le cas se présente, ce sera la première confrontation directe entre Eric Ciotti et Christian Estrosi. Les arguments sont déjà prêts.