Martigues : le rouge au front

Le député sortant PC Pierre Dharréville de la 13e circonscription des Bouches-du-Rhône partagerait-il avec le super-héros tout de rouge vêtu Daredevil, non seulement presque le patronyme mais aussi une certaine cécité ? C’est peu dire que Martigues est passablement agitée par l’affaire de la Semivim, l’office HLM de la ville présidé par le maire PC Gaby Charroux. Révélé par le Ravi et Blast, Libération y a consacré le 13 mai sa Une, les Martégaux s’arrachant les exemplaires, certains allant jusqu’à la placarder sur les murs de la Venise provençale. Interpelé par le Ravi, il se refusera au moindre commentaire : « Pierre Dharréville se consacre à mener campagne avec une très haute intensité, nous répond son directeur de campagne. Il vous remercie pour votre sollicitation mais ne souhaite pas aujourd’hui s’instituer ainsi que vous le lui proposez en commentateur de la campagne. »
De quoi interroger. Élu au conseil municipal, avec pour suppléant le maire (PDG de la Semivim) et pour attachée parlementaire Nathalie Lefebvre, elle aussi élue siégeant au conseil d’administration de l’organisme, il ne peut ignorer l’affaire. D’après nos informations, des salariés l’ont, notamment sur la gestion « RH », interpellé à plusieurs reprises. En vain, déplore, sous couvert d’anonymat, l’un d’eux : « C’est la technique de l’évitement maximal. Alors qu’il pourrait participer à la reconstruction, c’est une erreur stratégique. Car l’affaire est ultra-présente. »
Elle a déjà fait exploser la majorité municipale arc-en-ciel de Martigues. Et fragilise l’union de la gauche et des écologistes dont toutes les composantes, toutefois, soutiennent, bon gré mal gré, le député sortant. Soupir d’un responsable écolo de Martigues : « L’enjeu national dépasse les problématiques locales, le risque RN étant loin d’être anodin. Après, il y a peu de chances qu’on fasse campagne pour lui. Et il n’a pas besoin de nous. Ici, c’est PC depuis des années. Quand une affiche d’un autre parti tient plus d’une heure, c’est un miracle. »
« Je ne ferai pas campagne »
Chez les Insoumis, ça tiraille aussi. Patrick Courtin a démissionné et Frédéric Grimaud, ancien adjoint et membre du conseil d’administration de la Semivim, est passé dans l’opposition : « On a acté le fait qu’il y a un accord national. Mais, au regard de ce qui se passe ici et de ma place au conseil municipal, je ne ferai pas campagne et je ne suis plus chef de file LFI au niveau local », nous dit-il. Traduction ? LFI se contente d’apposer l’affiche « Mélenchon Premier ministre » à côté de celle de Dharréville.
Responsable départemental de Génération écologie, Jean-Luc Cosme a fait savoir qu’il renonce à être candidat, sans cacher ni ses critiques envers la Nupes ni ses ambitions futures au niveau local. Anecdotique ? Pas tant : avant que Charroux ne lui retire ses délégations, il a été élu à l’urbanisme. Et connaît la Semivim de l’intérieur. Mais se refuse au moindre commentaire. Sauf à dire : « C’est dans toutes les bouches. »
Pour le candidat du Modem Thierry Boissin, « le silence de Dharréville est coupable. Ne dit-on : « qui ne dit mot consent » ? Et la colère monte. Dans le coin, le vote RN, c’est pire qu’à Hénin-Beaumont ! » Pour le frontiste Emmanuel Fouquart, « c’est une affaire éminemment politique. Et il ne peut dire qu’il n’était pas au courant. On a affaire à des personnes qui appartiennent à la même formation que lui ».
Symbolique ? A la mi-mai, les salariés de la Semivim – dont le slogan est « Notre patrimoine, l’humain d’abord » – débrayent. Une première ! Boissin fait une apparition. Fouquart un communiqué. Mais rien du député qui promet « Ensemble, inventons un monde plus humain ». Qui ne réagira pas non plus à la mise en examen pour favoritisme confirmé par le parquet de l’adjointe à l’urbanisme Linda Bouchicha.
Pourtant, en conviennent la plupart de nos interlocuteurs, son bilan est loin d’être mauvais et, dans son entourage, il est décrit comme en dehors du « système ». Comme le résume le média municipal Maritima : « 5 000 interventions en commission des affaires sociales, 135 questions au gouvernement, 34 propositions de lois et résolutions, cosignataire de 134 propositions de loi, 400 courriers d’interpellation… » Sur les retraites, la formation, la pollution. La Marseillaise n’est pas en reste en le bombardant « député provençal le plus actif » !
Mais, lorsqu’il monte au créneau sur Facebook pour dénoncer ce qui se passe chez Orpea, SOS Corruption l’interpelle sur la Semivim. Et ça ne se passe visiblement pas très bien, en témoigne ce commentaire de Jean Sansone, le responsable de l’association à l’origine des premières alertes sur l’office HLM : « Quand une association anticorruption vous interpelle, vous la black-listez. » Ambiance…
Face à l’enquête de Libé, le PC martégal se fend d’un communiqué : « Cet acharnement apparaît comme une cabale politique pour déstabiliser soixante ans de gestion communiste. » Mais, nuance aussitôt : « Nous ne pouvons pas faire uniquement la sourde oreille. Il apparaît que des personnes ont, dans leur cadre professionnel, abusé de la confiance qui leur a été portée. Ils étaient membres du parti et à ce titre ont trahi la confiance des camarades. » Conclusion ? « La période n’est pas simple. Mais nous pouvons être fiers de Martigues [et] nous devons être fiers de nous les communistes. » Soupir d’un élu démissionnaire : « S’il n’y avait pas eu d’accord, on aurait eu notre candidat et fait campagne sur la question de l’honnêteté. » Comme on dit dans Pif dont Dharréville a été le patron : « Pas glop, pas glop ! »
1. Par SMS, par téléphone, par mail et en nous rendant à sa permanence.