« Le racisme est l'essence même du RN »
Un député sur deux en Paca est désormais d’extrême droite. Pourquoi la région a-t-elle plébiscité, avec 21 élus, près du quart des nombreux nouveaux députés RN ?
En Paca, il y a le problème d’une droite qui, plus anciennement qu’ailleurs et de manière plus régulière, a laissé la place au RN en faisant de la surenchère par rapport à ses thèses. Elle porte l’expression de formes de racisme ordinaire très largement décomplexées. Et finalement elle se retrouve concurrencée sur son extrême droite.
Contre toute attente, le RN a bénéficié d’une dynamique aux législatives…
Marine Le Pen lors de la présidentielle sur le Vaucluse est dans la fourchette basse de ce que rassemble le RN dans le département en général, soit 57 000 électeurs. Et durant les législatives, elle remonte sur la fourchette très haute, 93 000 électeurs, soit la proportion de ce qu’avait fait Marion Maréchal Le Pen lors des régionales en 2015. Il existe une porosité étonnante entre électeurs de droite et d’extrême droite. Lors des législatives, il y a eu une capitalisation de ces mouvements réguliers qui s’opère depuis une quinzaine d’années.
Cette fois-ci l’abstention n’a pas favorisé l’extrême droite ?
Lors des législatives 2017, le RN avait subi l’abstention beaucoup plus que d’habitude. Là, les élections ont acté une tripartition de l’espace politique. Dans la proportion des gens qui votent de manière plus ou moins régulière, le RN a fait sa place en récupérant ce que la droite a perdu. A la présidentielle sur Avignon, les bureaux qui ont accordé leurs voix notamment à Eric Zemmour étaient les plus favorisés, bourgeois. Des verrous ont sauté. Une partie de la droite la plus conservatrice, réactionnaire, filloniste, qui jusqu’à présent ne s’y autorisait pas, a fait un détour par Reconquête et a pu se reporter ensuite au second tour sur le RN.
Et le Front républicain a explosé avec peu de reports des électeurs de Macron (Renouveau) vers la Nupes pour faire barrage à l’extrême droite !
Sur ce point, il y a une très grosse responsabilité de la majorité présidentielle avec des consignes de vote très peu claires face à l’extrême droite. A l’inverse, lors de la présidentielle, les reports de voix s’étaient plutôt bien faits des électeurs de Mélenchon vers Macron…
La relative implantation de l’extrême droite en Paca a-t-elle joué en sa faveur ?
L’implantation reste relative. Les travaux de Félicien Faury, qui a soutenu sa thèse l’année dernière, montrent très bien qu’il y a dans la Vaucluse à peine dix militants actifs. La structure militante de l’extrême droite y est complètement sinistrée. Après, ils sont présents sur le terrain à toutes les élections sur notre territoire depuis de longues années. Et puis ils ont eu une gestion non idéologique dans leurs mairies avec quelques mesures symboliques mais finalement pas grand-chose. Cela contribue à les normaliser dans le paysage politique local. Ce travail-là a eu lieu mais sans avoir été vraiment piloté par le haut. En commentant les résultats sur France 3, je me suis retrouvée avec Franck Allisio, le patron du RN dans les Bouches-du-Rhône. Il était complètement paniqué devant le nombre de députés élus qu’il n’avait absolument pas anticipé. Le RN n’a pas de culture du travail parlementaire. Ce ne sera pas facile à mettre en place. L’autre point compliqué, c’est que cela va faire émerger des figures qui vont concurrencer celle de Le Pen. Et dans ce parti, on a plutôt l’habitude de couper les têtes qui dépassent !
Le vote RN traduit-il une adhésion à son projet ?
Marine Le Pen a compris qu’il fallait simplifier. Elle a défendu 22 propositions en 2022, elle en avait 44 en 2017. On tombe donc de moitié. Toutes sont indexées à une grille de lecture raciale avec la préférence nationale. Quand on demande aux gens pourquoi ils ont voté Le Pen, personne ne cite quelque chose de concret en dehors, vaguement, de l’immigration. Et là encore, la majorité présidentielle a une responsabilité ! Elle est venue sur quel thème ? Sur le wokisme, sur le séparatisme. Durant 5 ans de mandature, on a adapté le débat public à cette grille de lecture raciale. Et là-dessus, Zemmour en a rajouté. Marine Le Pen n’a pas eu grand-chose à faire que d’être la plus discrète, la plus lisse possible, pour que cela se passe bien.
Vous croyez à la dédiabolisation du RN ?
Sur le fond, je n’y crois pas une seconde. Si on regarde le programme, rien ne bouge, l’extrémisme de ce parti c’est toujours le même. Après, Marine Le Pen est dans une stratégie de normalisation depuis 2011. Cela fonctionne car tout le monde lui a déroulé le tapis rouge. Franchement, les responsables politiques se sont perdus dans les thématiques portées par le RN. Et les médias ont suivi. Le Pen prend la place qu’on lui laisse. Tant qu’on ne différencie pas les propositions, tant qu’on ne pose pas clairement que le racisme est l’essence même du programme du RN, on n’arrivera pas à saisir le phénomène. Qu’est-ce qu’on fait avec cette extrême droite qui a toujours existé et qui est d’abord un problème de la droite ? Faut-il maintenir une frontière ou au contraire va-t-il y avoir des débauchages ponctuels ?
La Nupes, l’union de la gauche et des écologistes, a été l’autre surprise de cette élection. Avec un succès réel mais pas à la hauteur espérée…
La stratégie de Mélenchon de prolonger l’effet présidentielle pour essayer d’intéresser un peu les gens a été payante. Le bénéfice de ces législatives, c’est qu’elle remettent de la clarté. Il y a un bloc de gauche, un bloc majorité présidentielle positionné à droite et un bloc d’extrême droite. Le travail fait par la Nupes est plutôt positif. Depuis combien de temps les électeurs de gauche n’avaient pas le choix avec un seul bulletin ? Jusqu’à présent on avait des offres complètement éclatées. Après, en six semaines cette union ne pouvait pas produire tous ses effets. Et la victoire du RN a éclipsé le fait que pour une gauche sinistrée, se retrouver avec 150 députés, ce n’est pas totalement ridicule !
Le vote pour le RN est-il réversible ?
J’en reste persuadée. Le RN s’installe dans une forme de normalité car le reste de l’échiquier politique se tait. C’est une question d’acceptation. On a un problème de confusion largement entretenu par Emmanuel Macron depuis son arrivée au pouvoir. Une confusion sur ce que signifie un programme néo-libéral. Doit-on continuer à mettre de la concurrence partout, y compris dans des services publics, l’éducation, la santé ? Des projets alternatifs sont-ils possibles ? Tant qu’on ne clarifie pas les offres, tant qu’on ne donne pas aux gens des raisons d’aller voter pour des programmes politiques défendant des catégories qui se sentent aujourd’hui abandonnées, le Rassemblement national a une voie royale. Car c’est tellement facile d’expliquer que c’est la faute aux autres, aux étrangers.
Finalement ces législatives sont-elles un moment de confusion ou de clarification ?
La démarche initiée à gauche par la Nupes est saine car elle repositionne un peu les choses. Ce n’est pas un hasard si la majorité présidentielle dit que LFI et le RN c’est pareil. Cela traduit son refus de discuter d’orientations économiques et de projets différents de société. Le discours « gauche et droite c’est la même chose », de Jean-Marie Le Pen et sa fille, est alimenté par cette voie centrale dans laquelle se sont mis les partis de gouvernement, le PS et les Républicains, ces 20 dernières années. Quelque part, ces législatives ont clarifié l’offre politique. On va voir comment les partis se positionnent à l’Assemblée. Il faut remettre un peu de politique dans les discussions. Et le chantier est énorme car la coupure est forte avec les citoyens, y compris les jeunes qui ne se sont pas mobilisés sur ces législatives.