La Nupes ne veut pas faire pschit
Une coalition législative comme la gauche n’en a pas connu depuis un quart de siècle. Assez pour renverser la table en Paca et envoyer une majorité de députés progressistes à l’Assemblée nationale ? A une semaine du premier tour des législatives, militants et candidats affichent de bons espoirs dans tous les départements de la région, Alpes-Maritimes et Var mis à part.
Mais si Jean-Luc Mélenchon a fait de très bons scores à la présidentielle dans de nombreuses circonscriptions, rien n’est gagné pour autant. Si, à l’image de Léo Walter, un des porte-paroles de la France Insoumise dans les Alpes-de-Haute-Provence et candidat face à Christophe Castaner, l’ancien ministre de l’intérieur, à Manosque, les plus optimistes comptent une petite dizaine de circonscriptions gagnables – à Marseille, à Avignon et dans les Alpes notamment -, en général les pronostics sont prudents. « On ne part pas avec l’idée qu’on a une avance au vu du résultat de la présidentielle. On fait campagne avec humilité, assure Mohamed Bensaada, candidat FI-Nupes dans la 3e circonscription des Bouches-du-Rhône, dans les quartiers Nord de Marseille, où Mélenchon est arrivé en tête avec 29 % des voix. Il faut arriver à remobiliser les électeurs deux mois après une grosse frustration d’avoir vu Macron repasser, puis convaincre les gens de voter pour nous. » « Les gens ont voté utile à la présidentielle, mais il n’y a pas d’engouement, met en garde Marie-José Allemand, première fédérale du PS dans les Hautes-Alpes. Je suis persuadée que certaines circos gagnables vont être finalement perdues. Y compris à Marseille. »
Bascule possible
Pour l’emporter, la Nupes a quand même quelques atouts en poche. D’abord la dynamique d’union. Les dissidences sont finalement rares et devraient peu peser. Et si l’union ne se fait pas partout sans heurt – comme dans les Hautes-Alpes où, en raflant têtes d’affiche et suppléance, la FI n’a pas adouci les rancœurs d’une campagne présidentielle rugueuse -, la situation semble en général s’être apaisée. « Chez nous, ça s’est bien passé parce qu’on a le sentiment que l’enjeu est plus grand que nous, analyse Léo Walter, candidat de FI-Nupes dans la 2e circonscription des Alpes de Haute-Provence. Même si pour certains la candidate de la 1ère reste une députée PS/LREM, les camarades font campagne pour elle parce qu’on fait campagne pour avoir le max de députés. » (1)
A Marseille, après des municipales qui avaient vu une partie de LFI et d’EELV faire campagne en solo au premier tour, l’unité est de mise. « Tout le monde fait sa part du boulot, les communistes, les écolos, les socialistes, ça joue collectif, y a pas qu’une unité de façade, affirme Mohamed Bensaada. Ce qui nous réunit est fondamental. Je comprends que les gens soient étonnés de cette unité. Mais la politique c’est pas quelque chose de simple, on peut ne pas toujours arriver à transcender nos divergences. Là on construit quelque chose de très positif et d’enthousiasmant, il faut se réjouir ! »
« Pour une fois, on n’est pas les plus cons »
Second atout pour la Nupes : la grande recomposition à droite et à l’extrême-droite qui brouille les cartes, jusque dans les bastions (lire pages 10 et 11). « Heureusement, il y a aussi des dissidences à droite. Pour une fois, on n’est pas les plus cons », se réjouit Philippe Chesneau, ancien vice-président (EELV) du conseil régional. Dans la 6e circonscription des Bouches-du-Rhône, dans les quartiers Sud de Marseille, la droite voit ainsi LR investir un candidat contre son ancien ténor, le maire de secteur Lionel Royer-Perraut, passé à la REM. « On sent une vraie déception des habitants pour ce passage vers la REM, souligne Magali Holagne, candidate PS-Nupes. Il y a un ras-le-bol de la politique. C’est un territoire qui est à droite depuis quarante ans, mais qui change, avec un rajeunissement de sa population. Une bascule est possible. »
Même dans les Alpes-Maritimes, « les retours sur la mobilisation sont positifs », assure Robert « Bob » Injey, ex-secrétaire départemental du PCF 06. Tout en prévenant : « Mais l’enjeu ce sont les quartiers populaires. Si la participation s’y maintient au niveau de la présidentielle, ça peut ouvrir des perspectives. » Un travail de longue haleine, alors que la campagne est extrêmement courte. « Les quartiers populaires c’est l’enjeu majeur. On fait une campagne de terrain, une voix après l’autre, avec du porte à porte, explique Mohamed Bensaada. Beaucoup de gens méprisaient ça, mais c’est la seule façon de toucher les abstentionnistes. »
Une loi « Rue d’Aubagne »
C’est là une autre difficulté de la Nupes : à de rares exceptions, ses candidats en Paca comme ailleurs sont avant tout des militants aguerris, souvent des hommes blancs, plutôt que des gens issus des quartiers populaires ou des mouvements citoyens. C’est ce qui a décidé Sophia Hocini, revenue dans son quartier de la Sauvagère à Marseille (9e arrondissement, 6e circonscription) après quatre ans de travail à Paris, à se lancer en dissidence avec le soutien du parti Gauche républicaine et socialiste. « Les candidats issus des quartiers populaires, sur l’ensemble du territoire, on peut les compter sur les doigts d’une main, affirme-t-elle. Alors qu’aujourd’hui l’enjeu politique, ce n’est pas la question d’être de droite ou de gauche, mais d’être en haut ou en bas. L’augmentation du prix des conserves, ça ne touche pas tout le monde de la même façon ! »
Dans une tribune publiée sur Mediapart, le président du Conseil représentatif des associations noires, le marseillais Nassurdine Haidiri enfonce le clou : « Dans la deuxième ville de France, connue pour abriter l’une des plus importantes communautés africaines subsahariennes, aucun homme ni aucune femme noir(e) n’aura été choisi(e) sollicité(e) ou convié(e) à participer à cette élection à gauche. Zéro candidat… » Et sur les sept circonscriptions marseillaises, la Nupes n’a investi qu’une seule femme. Même avec une coalition « historique », les vieilles pratiques ont la vie dure.
Mais les choses pourraient bouger de l’intérieur. Dans l’ancienne circonscription marseillaise de Jean-Luc Mélenchon, transmise à son bras droit Manuel Bompard, le militant citoyen Kevin Vacher a choisi, avec le collectif Nos vies, nos voix, de ne pas partir en dissidence : « Durant la pré-campagne, on a eu beaucoup de soutiens aussi bien localement qu’au national. Ça nous a permis de créer un rapport de force. Il faut voir comment on peut impliquer plus directement les citoyens dans la production de la loi. Il faut une assemblée de circonscription, avec des vrais moyens humains et financiers. La discussion est ouverte, mais pour le moment on est un peu pris par la campagne. » Première réussite citoyenne : tous les candidats de la Nupes dans le département se sont accordés pour soutenir la proposition de loi « rue d’Aubagne » sur le logement, portée par les collectifs. Verdict dans les urnes sous sept jours.
1. Delphine Bagarry a été investie candidate de la Nupes dans le contingent écolo de la Nupes.