Au Nord la Nupes unie sur tous les fronts

Mohamed Bensaada s’adresse, complice, à Sébastien Delogu : « tu sais comme moi ce que c’est d’avoir un frigo vide. D’être recalé à l’entrée d’une boîte de nuit. De ne jamais être rappelé après avoir déposé un CV. Tu connais ce sentiment de ne pas appartenir à la République. » Ce 15 juin les deux finalistes de la Nupes, l’alliance de la gauche et des écologistes, dans les 3ème et 7eme circonscriptions des quartiers nord de Marseille, s’adressent à la presse. Tous deux sont arrivés en tête, lors du premier tour, face au Rassemblement national. Le pari de détrôner les députés sortants de la majorité présidentielle, Saïd Ahamada (7e) et Alexandra Louis (3e), a été gagné. Mais rien n’est encore joué. En particulier pour la circonscription de Mohamed Bensaada où l’extrême droite est férocement ancrée. Les deux Insoumis partagent les mêmes combats depuis plus d’une décennie : pour la justice sociale, des logements dignes, contre l’abandon des quartiers populaires où ils vivent depuis qu’ils ont quatre ans.
Second tour incertain
Deux jours plus tôt, Sébastien Delogu s’apprête à réunir ses soutiens avenue Saint-Louis. Il débarque en faisant la bise à tout le monde et en prenant le temps de discuter avec chacun. La joie et l’excitation sont palpables. « Tu as réussi ! » Quelqu’un lui saute dans les bras. « Je ne suis pas un professionnel de la politique, et là, je fais face au RN, une idéologie que j’ai toujours combattu. Je ne veux pas qu’elle gagne mes quartiers », confie le candidat, à la fois soulagé mais tendu. Avec son équipe il a analysé les résultats bureau par bureau. Tous comptent bien, pour cette dernière semaine de campagne, être présents là où les scores enregistrés ont été les plus faibles. Des zones qu’ils n’avaient pas encore eu l’occasion d’arpenter.
Dans la circonscription de Mohamed Bensaada, le second tour est bien plus incertain. Certes, il est arrivé en tête de 2,4 points. Mais il faut ajouter aux 25,34 % de Gisèle Lelouis (RN) une réserve de voix conséquente. Avec les 15,2 % de l’ex-maire RN Sandrine D’Angio – qui s’est présentée sous l’étiquette du parti zemmouriste – l’extrême-droite devance largement le candidat de la Nupes. Pas de quoi décourager Mohamed et son équipe. Leur énergie est inébranlable. Le combat face à la députée sortante, Alexandra Louis, déjà, n’était pas de tout repos avec une victoire à l’issue d’un travail minutieux de terrain : une vingtaine de porte-à-porte, de multiples opérations de « boitages », de tractages…
Un terrain semé d’embûches
La troisième circonscription est un territoire très contrasté, mêlant cités très populaires et noyaux villageois où l’extrême-droite est loin d’être en terre inconnue. Au point que Gisèle Lelouis, pourtant très peu implantée, ne semble pas se soucier de mieux se faire connaître ou de répondre aux questions du Ravi. Un débat d’entre-deux-tours était initialement prévu sur France 3 mais la candidate l’a refusé affirmant de souhaiter se concentrer sur le terrain. « Pourtant, on ne la voit pas, dénonce Mohamed Bensaada. Le RN, il ne fait pas campagne ici. Alors que nous on l’a mené non-stop. » Contrairement à Saïd Ahamada, qui n’a pas tardé d’appeler à faire barrage à l’extrême-droite, dans la 3ème circonscription la députée LREM sortante n’a pas donnée de consigne de vote. Elle ne répond plus à la presse depuis son échec. Seul son suppléant, Gérard Blanc, a engagé les électeurs à ne pas donner leur voix à l’extrême droite en précisant qu’il voterait Bensaada. Lequel, devant la presse, interpelle la députée sortante : « Si votre engagement était véritablement sincère, vous ne pouvez pas laisser ces quartiers entre les mains du RN. »
Dans la dernière ligne droite, malgré les obstacles, l’équipe de Bensaada ne lâche rien. L’agenda est particulièrement chargé. Sur les marchés le matin, à la sortie des écoles ou des métros l’après midi, les militants sont omniprésents. Aucun quartier de la circonscription ne passe à la trappe. Lors d’une opération de tractage au métro de la Rose – lieu stratégique de brassage – la chaleur écrasante n’ébranle pas leur ténacité. Karima Berriche, figure du militantisme associatif et politique du quartier, engagée aux côtés du candidat, rappelle « qu’ici, on est dans le fief de Stéphane Ravier (l’ex-maire RN du secteur devenu sénateur, Ndlr). Et nous, on a souffert pendant 6 ans ». Pour elle, la victoire de Bensaada serait hautement symbolique. Un autre militant, à l’énergie redoutable, s’accorde de temps en temps quelques notes d’humour : « Et dimanche, Macron, on le dégage hein ! Et on s’occupe des riches ! »
Toucher les jeunes
L’enjeu de cet entre-deux-tours est avant tout de mobiliser les abstentionnistes même si les deux candidats ont bien conscience qu’ils ne renverseront pas une tendance lourde en quelques jours. « On essaie d’expliquer du mieux qu’on peut l’importance d’aller voter, mais un dégoût de la politique ronge nos quartiers », déplore Sébastien Delogu. A long terme pour mieux impliquer les habitants des quartiers populaires, il souhaite créer des assises citoyennes afin de relayer les revendications de la population à l’Assemblée. « Cela permettrait de sortir du « ça, ce n’est pas pour moi » », explique Justin de Gonzague, anthropologue et journaliste engagé aux côtés de Delogu.
A la Nupes, beaucoup reconnaissent que le vrai angle mort, ce sont les jeunes. Pour les toucher, Bensaada et Delogu essaient au maximum d’être présents sur les réseaux sociaux. Après les « aventures de Tom Sawyer », une série d’épisode avec Sébastien Delogu consacré aux bâtiments insalubres – l’anthropologue prépare un podcast avec des témoignages pour expliquer en quoi il était important de voter dimanche. Bensaada, quant à lui, envisageait d’organiser un concert de rap ou de détourner un manga animé… « Dimanche, j’espère que nous allons avoir un coup de mistral dans le dos », confie le candidat. Comme toujours, un jour de vote, la météo a son importance…
Actualisation le 20 juin 2022 : Dans la 3ème circonscription, la candidate d’extrême-droite (RN), Gisèle Lelouis, a battu Mohamed Bensaada (Nupes, LFI) avec 54,96 % des suffrages exprimés. L’abstention s’est élevée à 62,84 %. Dans la 7ème circonscription, le candidat LFI de la Nupes, Sébastien Delogu, a battu Arezki Selloum (extrême-droite, RN) avec 64.68 % des suffrages exprimés. L’abstention s’est élevée à 71,11 %.