Félizia veut conjurer "la société du spectacle"
Dans une rue ombragée du cours Julien, ce 15 juin à Marseille, des candidats et militants du Rassemblement écologique et social attendent l’arrivée de Jean-Laurent Félizia et d’Eric Piolle. Le maire EELV de Grenoble, qui arbore un masque vert floqué du logo de la liste menée par Félizia, vient « apporter le témoignage que l’écologie peut accéder au pouvoir », et rappelle, face caméra, l’importance de ces élections car « les maires ont besoin de conseils régionaux les aidant à accompagner la transition qu’ils mettent en place ». A ses côtés, Félizia, rappelle avec ardeur à la presse qu’il ne se résigne pas : « on est mobilisés pour les quelques derniers jours à battre le pavé. Scop-Ti que nous visitions ce matin est un modèle économique de résistance à la fatalité de ce productivisme qui crée de la casse sociale sur le territoire ! »
Alors que le 20 juin, date du premier tour des élections régionales arrive à grand pas, la gauche et les écologistes, en partie unis autour de la liste du Rassemblement écologique et social, espèrent en effet rejouer un rôle dans la vie politique régionale après avoir disparu durant six ans des rangs du conseil régional en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Suite à des mois de laborieuses négociations autour du « pôle écologique » et du collectif « il est temps », La France Insoumise (LFI) et les collectifs citoyens ne font finalement pas partie de la liste. Exit aussi, sur l’aile droite du pôle écologiste, le niçois Jean-Marc Governatori qui, mécontent du poids de la gauche dans cette alliance, a préféré monter sa propre liste.
« Ni peur, ni capitulation, mais un vote de solutions ! »
La campagne touche à sa fin. Jean-Laurent Felizia est, selon les sondages, le troisième homme de cette course électorale, tête de liste méconnue de citoyens jusqu’ici peu concernés par un scrutin où les médias ne parlent que du « duel » supposé entre Thierry Mariani (RN) et Renaud Muselier (LR, soutenu par LREM). Il enchaîne les déplacements pour promouvoir un « vote de solutions : ni vote de peur, ni de capitulation, mais de solutions ! »
Autre jour, autre lieu, autre ambiance. Très détendus et optimistes, des militants sont rassemblés pour un pique nique « citoyen », ce dimanche 13 juin, sur la pelouse du Prado. Plutôt curieux, de nombreux passants qui se rendent à la plage s’arrêtent et échangent parfois avec les candidats. Jean-Laurent Félizia, qui a troqué son costume des déplacements officiels contre une tenue beaucoup plus décontractée, ne nie pas qu’il est difficile de se faire une place entre Mariani et Muselier. « Nous sommes actuellement face à la Société du spectacle que décrivait Guy Debord il y a quarante ans, qui aujourd’hui est arrivée à son apogée en matière d’expression, explique-t-il. Mais il ne faut pas se résigner, il ne faut pas abandonner les populations ! » Laurent Tramoni, syndicaliste enseignant en 14ème position (société civile) sur la liste des Bouches-du-Rhône, poursuit : « il y a un décalage entre ce sur quoi les médias mettent le focus, et ce par quoi les gens se sentent concernés. Il faut laisser le premier tour se faire. »
Sur le parvis de la gare Saint-Charles, le 1er juin, c’est cette fois Yannick Jadot qui est venu soutenir Félizia. Il prône lui aussi une troisième voie face au « duel » surmédiatisé Mariani-Muselier : « Il faut des gens qui s’occupent du quotidien des habitants et habitantes de cette région. Donc pour la démocratie, je préfère Félizia à Mariani, pour le climat, pour l’alimentation, pour l’économie. » Les nombreux journalistes, pour beaucoup parisiens, n’ont d’yeux que pour celui qui aimerait être candidat à la présidentielle. Sur le Vieux Port, où le petit cortège politico-médiatique s’est déplacé, de nombreux passants demandent qui est Félizia, près de Jadot, sur lesquels les caméras sont braquées.
« Muselier et Mariani sont de vieux compagnons de route »
Ce paysagiste varois de 52 ans n’est pourtant pas un novice en politique. Adhérent d’EELV depuis 2009, il est élu dans l’opposition au conseil municipal du Lavandou. Ses adversaires politiques, à droite mais aussi à gauche, lui reprochent de ne pas être suffisamment connu du grand public. Félizia leur répond avec humour, admettant « un déficit de notoriété, mais un excédent de solutions ! » De nature plutôt discrète, parfois trop comme sur le plateau de France 3 lors du débat le 9 juin entre cinq candidats, il aimerait porter l’espoir d’un renouveau. « Muselier et Mariani sont deux vieux compagnons de route qui veulent le pouvoir pour tout continuer comme avant. Ce sont des notables qui passent leur temps à retourner leur veste ! », martèle-t-il ainsi, le 31 mai, devant la presse, non loin de l’Hôtel de région, dans un discours particulièrement musclé.
Retour au Prado, le 13 juin. Sous le barnum aux couleurs de l’écologie pour s’abriter de la brûlure du soleil, Capucine Edou (Génération.s), tête de liste dans les Bouches-du-Rhône, défend le choix de Félizia, celui de promouvoir des « candidats qui n’ont pas fait de la politique toute leur vie » pour conduire le rassemblement écologique et social : « Ce sont des équipes qu’on présente aux électeurs, on est sur des projets, des programmes. C’est une autre façon de faire, un atout. Notre liste est faite de gens qui sont ancrés dans la vie quotidienne par leurs engagements, par leurs métiers et c’est ce qui fait que nous sommes les candidats des solutions concrètes ! »
Malgré les pronostics d’abstention et de défaite, les militants veulent croire à un sursaut d’intérêt pour ces élections et pour leur liste. « On a eu un début de campagne difficile avec le déconfinement, l’arrivée du printemps, reconnaît Laurent Tramoni. Mais on sent qu’il y a une prise de conscience sur les enjeux de cette élection. C’est en train d’évoluer à vitesse grand V ! » Julien Soret (Génération.s), élu marseillais dans le 1/7 parachuté en troisième position sur la liste du Vaucluse, trouve même que la population leur réserve un accueil très favorable lors des tractages : « Il y a des campagnes où on a du rejet… Là c’est vraiment : gauche-écolo ? C’est bon je prends ! »
« Je ne resterais pas dans les manuels d’histoire comme le 1er candidat qui a permis de faire passer le RN ! »
Toutes et tous se refusent à s’arrêter sur le scénario catastrophe de 2015, où la gauche s’était retirée du second tour en faveur de Christian Estrosi (LR) pour faire barrage au FN, hypothèse que les sondeurs présentent à nouveau comme inéluctable afin de tenter de faire obstacle à l’élection de l’extrême droite menée par Mariani, donné vainqueur dans tous les cas de figure. Durant les premières étapes de sa campagne Jean-Laurent Félizia a longtemps refusé de parler d’un éventuel front républicain en dénonçant, le 1er juin par exemple, une « porosité entre la droite et l’extrême droite quant à leurs idées ». Mais le 12 juin, sur le Prado, questionné face à l’hypothèse d’être distancé par Mariani et Muselier, Félizia tient un langage clair : « On prendra nos responsabilités. En cas de retrait de notre liste, un électeur sur deux qui aurait voté pour nous n’irait pas voter au second tour. Cela pose la question de l’efficacité d’un front républicain. Mais je ne me verrais pas être dans les manuels d’histoire comme le premier candidat qui, parce qu’il est resté avec sa liste pour une triangulaire, a permis de faire passer le rassemblement national… »
Toujours galvanisés par la victoire du Printemps Marseillais lors des élections municipales de 2020, les militants veulent encore croire à une victoire. Yannick Jadot les a encouragé lors de sa visite le 1er juin : « En 2019 aux européennes j’étais accrédité de 8 % des voix, j’en ai eu le double ! » De quoi clore le débat, pour un temps au moins. Il ne reste désormais plus que quelques jours avant la fin de cette campagne éclair. « On a fait un travail extraordinaire sur le terrain, se réjouit Jean-Laurent Félizia. On a utilisé tous les moyens que nous pouvions dans une campagne non conventionnelle entravée par la crise sanitaire. » Et, plus que jamais volontariste, de pronostiquer : « nous serons la surprise de ce premier tour ! »