Au CD 84, le consensus majoritaire
Action sociale, collèges, routes : les départements, dont les compétences sont réglementairement très contraintes, ont une gestion « moins politique que les régions », assure-t-on au conseil départemental du Vaucluse. Mais, dans le septième département le plus pauvre de France, pas de majorité nette, pas de possibilité de grands projets ou d’ambition politique marquée, puisque chaque groupe politique peut bloquer l’autre. Au risque de gouverner par le statu quo ?
Retour en arrière : en 2015, à l’issue du second tour des élections départementales, les voix de la gauche (divisée entre le Parti socialiste, Europe Écologie – Les Verts et le Front de gauche) égalent celles de la droite, avec douze sièges chacun. L’extrême droite obtient dix sièges, six pour le Rassemblement national, et quatre pour la Ligue du Sud. Au troisième tour, le président Maurice Chabert (LR), doyen de l’assemblée, est donc élu au bénéfice de l’âge.
Premier point d’achoppement, et pas des moindres : le budget, voté « de manière pragmatique », affirme-t-on au CD84. Si le budget avait été bloqué par des votes d’opposition, l’institution filait tout droit vers une mise sous tutelle de la préfecture. Une « prise en otage » des élus socialistes, juge Sylvain Iordanoff, conseiller du canton d’Avignon-2 élu sous l’étiquette EELV et parti depuis chez LREM. L’abstention des élus de gauche, obtenue grâce à des négociations à la marge pour garantir des équilibres, a donc permis d’éviter la prise en main du budget par la préfecture.
« Une gestion sans ambitions ni grand projet »
Ce serait donc un fait : une majorité fragile amène nécessairement à plus de dialogue entre les élus, et permet sans doute de dépasser le clientélisme rendu possible par une position de pouvoir nette et forte. Mais c’est aussi l’assurance d’un gouvernement gestionnaire, « sans ambitions ni grand projet », déplore Sylvain Iordanoff. On imagine aisément la frustration politique engendrée par cette minuscule marge de manœuvre. Le septième département le plus pauvre de France a sans doute besoin d’une politique volontariste, notamment sur ses compétences principales que sont l’aide sociale à l’enfance, la parentalité, la santé et l’autonomie. Compliquée à mettre en œuvre avec une gauche ultra-minoritaire si l’on additionne aux douze conseillers de droite républicaine les élus d’extrême droite.
Durant la mandature, les élus RN et Ligue du Sud se ont régulièrement abstenus sur le vote de subventions à caractère social, telles que le budget dédié à l’aide aux mineurs isolés. « Ils partent sur un mandat de solidarité, la compétence du département, et font des crises épidermiques sur les sujets sociétaux », déplore Darida Belaïdi, élue PS d’Avignon 1, « l’un des cantons les plus paupérisés du Vaucluse, voire de la région Paca si ce n’est de la France » selon la conseillère départementale.
En attendant, le conseil se cherche déjà une majorité. La fameuse prime aux sortants, qui favorise les élus en place lors de la précédente mandature permet d’imaginer une nouvelle une fois l’absence d’une majorité. « Nous allons être favorisés. Ça fait cinq ans que je suis en campagne tous les jours », estime Sylvain Iordanoff. Sans marchés pour serrer des mains, la campagne risque clairement d’être compliquée pour les nouveaux venus. Et dans ce contexte de crise sanitaire, doublé de l’augmentation continue de la défiance envers la démocratie et ses institutions, « les gens qui iront voter seront les plus motivés », juge Samir Allel, candidat EELV du canton d’Avignon 1. Et donc potentiellement les électeurs de l’extrême droite, aux portes du pouvoir dans le Vaucluse après l’élection de Jacques Bompard (Ligue du Sud) à Orange en 2010, et puissante en Provence depuis une vingtaine d’années avec implantation du Front national dans les Bouches-du-Rhône.
« En discussion avec les autres partis de gauche », Samir Allel, transfuge du PS, redoute l’éparpillement de sa famille politique, qui a fatalement affaibli les voix qu’elle a récoltées lors du vote de 2015. « Le premier département de France gouverné par le Rassemblement national sera en Paca si l’on part désunis », prédit-il. L’union, c’est ce que propose également Iordanoff, tout en réfutant le terme de « front républicain ». L’élu propose un « exécutif de contrat » rassemblant « la droite républicaine, la gauche socialiste et les écologistes ». La différence ? « On négocie tout, on introduit des clauses d’aide sociale et d’écologie, qui sinon n’y seront pas, mais chacun garde sa liberté de vote et d’expression. » Concrètement, on voit mal comme cela peut signifier autre chose que des augmentations de ligne budgétaire marginales. Au CD84, le changement, c’est pas maintenant.