Homosexuelles : le dur droit d'exister...
« À mes frères et sœurs, j’ai tenté de survivre et échoué ; pardonnez-moi. À mes amis, le voyage a été cruel et je suis trop faible pour résister ; pardonnez-moi. Au monde, vous avez été d’une cruauté sans nom ; mais je vous pardonne. » Ce sont les derniers mots de la militante LGBTQI en Égypte, Sarah Hegazi, 30 ans. Elle s’est donnée la mort en juin 2020. Son sourire reste à jamais gravé sur cette photo, prise en 2017 au Caire, où elle fait flotter un drapeau arc-en-ciel. Photo qui permettra aux autorités égyptiennes de l’arrêter, accusée de promouvoir une « pensée déviante ».
L’événement embrase le pays. Pour la société égyptienne et les religieux, la jeune femme est « immorale ». Elle est incarcérée plusieurs mois, battue, torturée, et soumise à un isolement total. Lorsqu’elle est libérée, cyberharcelée, elle accepte la proposition d’asile du Canada en 2018 où traumatisée, elle se suicide. « Au cas où quelqu’un aurait un doute, le gouvernement d’Égypte l’a tuée », déclare alors Sarah Leah Whitson, de l’ONG Human Rights Watch.
Double peine
L’Égypte ne fait pas figure d’exception en Méditerranée concernant le sort des homosexuels et des lesbiennes. Pour ces dernières, c’est souvent la double peine, celle d’être une femme dans des pays où ses droits sont bafoués, et celle d’être homosexuelle avec des droits inexistants. « Au Liban, le fondement de la société est patriarcal : la masculinité toxique peut objectifier la femme, ou la réduire aux tâches ménagères. Dans le cas de la communauté lesbienne, les femmes sont perçues tantôt comme un fantasme, tantôt comme une cible de discrimination », explique Bertho Makso l’un des fondateurs de Proud Lebanon.
Cette ONG défend les droits des LGBTQI au Liban en apportant des conseils juridiques, de santé et psychologiques à la communauté. « Cependant, la société LGBT féminine peut passer sous les feux des radars, en fonction de leur apparence plutôt féminine ou masculine », précise Bertho Makso. Dans ce pays multiconfessionnel, les homosexuels peuvent être poursuivis selon l’article 534 du code pénal pour lequel « tout rapport sexuel contraire à l’ordre de la nature est passible d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à un an ». Un article au libellé vague mais toujours utilisé pour sévir contre la communauté gay.
La femme dont l’homosexualité est découverte est souvent poussée au mariage forcé. « Si elle refuse, elle peut être exclue de la famille et du domicile familial », poursuit Bertho Makso. Même son de cloche en Tunisie. « La femme homosexuelle est doublement discriminée, souvent elle n’a pas le droit de sortir, elle a moins de liberté que l’homme et si son orientation sexuelle est découverte elle sera contrainte de se marier », explique Mounir Baatour, président de l’association Shams en Tunisie. Il demande l’asile en France suite à des menaces de mort proférées à son encontre dans son pays. L’article 230 du code pénal prévoit jusqu’à trois ans de prison pour des rapports entre adultes de même sexe consentants. Un article de loi colonial proclamé en 1913, alors que la Tunisie est sous protectorat français, mais qui sera maintenu après l’indépendance.
Le mariage ou l’exil
« Mais contrairement aux hommes, chez qui le test anal est pratiqué pour « prouver » leur homosexualité, les femmes sont rarement poursuivies », ajoute le militant, avocat de profession. Ces dernières peuvent aussi subir des violences de la part des hommes de la famille si elles refusent le mariage forcé. Le célibat étant très mal vu, certains homosexuels prennent les devants en opérant des « mariages de façade », c’est-à-dire un mariage mixte entre homosexuels des deux sexes. Un couple factice, mais socialement acceptable, au sein duquel chacun va pouvoir vivre son homosexualité. « C’est un phénomène de plus en plus courant facilité par les réseaux sociaux », souligne Mounir Baatour.
D’autres comme Rahma choisissent de quitter le pays et de demander l’asile en France. « Je sais que j’aime les femmes depuis ma tendre enfance. Je ne m’en suis jamais cachée. Mais pour moi ça restait une attirance, sans forcément une sexualité affirmée derrière », explique Rahma, 37 ans aujourd’hui. Elle subit d’abord les moqueries. Le plus difficile à supporter reste le regard de la société. « Après la révolution, beaucoup de fanatiques musulmans ont commencé à faire la loi », raconte-t-elle.
A l’époque Rahma, libre et assumée, travaille dans le tourisme et à l’habitude de rentrer tard chez elle. Un soir son voisin l’interpelle, lui dit que sa vie est amorale, la menace fortement de mariage forcée et profère des menaces de viol et de meurtre à son encontre. Elle ne dépose pas plainte de peur de risquer la prison. Suite aux attentats du Bardo, le secteur du tourisme dégringole. « C’était un cumul de tout dans ma vie, alors j’ai décidé de partir et de demander l’asile en France », raconte-t-elle.
Aujourd’hui elle vit en couple à Marseille. Bien sûr, si la France et son mariage pour tous – arraché non sans peine – fait rêver, il n’en reste pas moins que les propos homophobes n’ont pas disparu. Rahma raconte avoir subi des discriminations à l’embauche notamment. Il lui était reproché d’être « trop typée, trop masculine, trop lesbienne ». Aujourd’hui, face aux provocations, elle répond : « Je ne suis pas traumatisée par mon homosexualité. Je suis comme je suis et pas autrement. J’accepte que l’on me juge sur ma personne mais pas sur ma sexualité. »
Leïla(1), 30 ans, a elle aussi dû quitter son pays, le Maroc pour pouvoir vivre librement. Elle n’est jamais retournée dans son pays depuis. « Là-bas j’ai toujours eu l’impression d’être quelqu’un de bizarre, une sorte de monstre. Adolescente je n’avais pas de modèle lesbien. Je n’avais pas de mots à mettre sur mon identité », explique la jeune femme. A 20 ans, elle tombe amoureuse et décide avec sa petite amie d’entreprendre les concours des grandes écoles pour étudier en France. « On ne voulait pas vivre notre histoire au Maroc où, à moins d’être riche et puissant donc protégé, il est impossible de vivre son homosexualité librement », explique-t-elle. Mais deux mois avant le départ, la mère de sa petite amie découvre l’homosexualité de sa fille. « Sa famille l’a alors séquestrée et mariée de force. C’était insupportable à vivre », se souvient tristement Leïla.
En France depuis dix ans, elle est désormais mariée à une femme. Sa mère, contrairement à son père, a accepté son union. Le Maroc commence à parler ouvertement de l’homosexualité. Intellectuels et artistes y sont pour beaucoup. La sortie de L’amour fait loi (2), recueil collectif de textes sur l’homosexualité, d’auteurs et autrices marocains et français, né au cœur du confinement, tente d’élever le débat. Leïla, elle, milite ici, au sein de 1001 Queer, collectif de féministes issues de l’immigration qui visibilise la communauté LGBTQI+ du monde arabe. Et Leïla de conclure : « C’est important d’être entourée de gens qui comprennent nos différences, de savoir que l’on n’est pas seules, de panser ensemble nos blessures. Et de s’entendre dire : vous êtes normales et vous méritez de vivre. »
1. Le prénom a été modifié
2. www.lamourfaitloi.format.com