Féminisme et transphobie : un mélange qui ne manque pas de CEL
C’est la goutte de trop. L’affichage de la Une de Valeurs Actuelles, le journal de la droite extrême, intitulée « Le délire transgenre » sur le mur Facebook du Centre évolutif Lilith (CEL), en mai dernier, suscite une très large fronde des militant.es LGBTQIA+ (personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, trans, queers, intersexes et asexuelles) marseillais.e contre cette association historique lesbienne. Une tribune du collectif queer Rainbow Shlag réclamant la fin de la collaboration entre la Maison départementale de lutte contre les discriminations et le CEL comptabilise à ce jour une quarantaine de signatures d’organisations. Depuis, le post du CEL a été supprimé, des excuses ont été publiées. Mais l’indignation reste.
Peur de parler
En 2020, les femmes du CEL modifient déjà leurs statuts pour organiser des réunions en « non-mixité ». Elles entendent par là ne plus accepter de femmes transgenres car, selon elles, ces personnes ne peuvent pas être considérées comme des lesbiennes à part entière. Julia (1), une adhérente, nous explique : « On base notre identité sur le sexe mais pas sur le genre. J’ai l’impression d’assister à une réécriture de l’homosexualité là. » Et de témoigner d’une voix qui se brise au fil des mots : « J’ai vécu l’homophobie quand j’étais adolescente, j’avais peur de parler parce que je ne voulais pas qu’on se rende compte que j’étais lesbienne donc je n’avais pas d’ami.es. Dans les espaces un peu inclusifs j’ai aussi peur de parler parce qu’on m’a dit que mon orientation sexuelle était phobique… » Julia pense que tous les militant.es qu’elle appelle « néo-queer » veulent la forcer à coucher avec des femmes transgenres ayant des pénis, une aberration dans un milieu où le consentement sexuel est règle d’or et où la socialisation n’entraîne pas forcément des rapports sexuels.
Fondé en 1990, le CEL est l’organisation lesbienne la plus ancienne de Marseille. A l’époque où ces populations ne sont protégées par aucune loi, ses militantes sont les premières à s’organiser pour créer un lieu de sociabilité. Alors pourquoi, au lieu d’être solidaires avec la population transgenre, qui s’estime également victime du système patriarcal, ces féministes rejettent-elles les trans ? Pour d’autres miitant.es LGBTQIA opposées au CEL, les mêmes mécanismes que la haine de certaines classes sociales défavorisées envers les migrants seraient en jeu. Ignorées ou brimées au quotidien, les lesbiennes du CEL auraient peur d’être dessaisies de la reconnaissance de leur orientation sexuelle obtenue après des années de combat par une autre communauté minoritaire.
Tendresse radicale
Les affrontements au sein de la communauté LGBTQIA+ marseillaise s’inscrivent dans un conflit sans pitié qui dépasse les frontières régionales. Depuis quelques années, partout dans le monde, des petits mouvements se réclamant d’un féminisme radical ou des personnalités publiques comme J. K. Rowling , l’autrice de Harry Potter, interviennent dans les médias ou sur les réseaux sociaux pour dénigrer les femmes transgenres. Appelées Terf (Trans-exclusionary-radical-feminist), Radfem (Radical-feminist) ou Gender critical, leurs prises de positions varient. Certaines assurent que les femmes transgenres sont des hommes se déguisant pour violer des femmes, d’autres que la transidentité est une mode ou encore que les hommes transgenres sont des lesbiennes masculines refoulées. Pour corroborer leurs dires, elles accumulent des faits divers impliquant des personnes transgenres.
Pour Karine Espineira, sociologue émérite du Laboratoire d’études de genre et de sexualité, ces stratégies ont pour objectif de « faire passer les femmes trans pour des agresseurs » en assimilant leur identité à une pathologie. La chercheuse associée à l’université Nice-Sophia-Antipolis soulève aussi un point inquiétant : « Il y a de drôles de coalitions, entre des féministes radicales mais aussi des gens qui ont des passés dans l’extrême droite ou d’autres qui ont des liens avec la Manif pour Tous, Alliance Vita etc…Quand on regarde le nom des signataires des tribunes et certains parcours, c’est troublant… » En tant que femme transgenre et ancienne militante du CEL, Karine Espineira condamne d’autant plus fermement leurs récentes prises de position à Marseille.
Malgré leur petit nombre, les Radfems ont su attirer l’attention de médias français. C’est contre la diffusion de ces idées que Marc (1) de Rainbow Shlag milite à Marseille. « Notre collectif veut s’attaquer aux discours transphobes mais pas aux personnes », précise-t-il. Et d’ajouter avec un sourire : « On est des « pipous », ce n’est pas pour rien qu’on a tatoué sur notre corps « tendresse radicale ». ». Autrement dit, le CEL n’est pas leur ennemi mais les arguments qu’il véhicule si…
1. Les prénoms ont été changés.