« Il faut s’approprier la métropole ! »

juin 2015 | PAR Michel Gairaud, Rafi Hamal
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Entretien en partenariat avec Radio Grenouille
Jacques Boulesteix, astrophysicien, promoteur de la métropole Aix-Marseille-Provence, invité de la Grande Tchatche

Marseille a-t-elle les atouts pour devenir une grande métropole ?
Sans conteste. Le volume de personnes et de compétences est suffisant. Mais aussi parce que Marseille est une ville traditionnellement d’échanges. Et c’est la caractéristique des grandes métropoles mondiales qui sont d’ailleurs situées en bordure d’océan ou de mer.

Michel Péraldi, l’anthropologue, affirme pourtant que « Marseille est une étoile morte », en particulier parce qu’elle serait sortie du champ des échanges internationaux maritimes…
Sur cet aspect, c’est sans doute vrai. Mais il y a de nouvelles économies circulaires, de partage. Quand une métropole est petite, elle a une compétence ou deux : la micro électronique pour Grenoble, l’aéronautique pour Toulouse. A Marseille et à Aix, n’apparaissent pas forcément des compétences très fortes mais la métropole peut se positionner rapidement sur le mariage entre les technologies de l’information et de la communication ou encore celles des lasers avec la santé, la médecine.

93 % de la population des Bouches-du-Rhône sera dans la métropole Aix-Marseille-Provence. Faut-il supprimer le département ?
Le département n’a plus de raison d’être. C’est le cas de tous les départements urbains. Les départements ruraux, par contre, restent un outil essentiel de l’équilibre des territoires et de la solidarité.

Les multiples compromis qui président à la création de cette métropole ne risquent-ils pas d’en faire une coquille vide le 1er janvier 2016 ?
Les élus qui vont être en charge de l’administration de la métropole jusqu’en 2020 n’ont pas été élus sur un projet métropolitain mais municipal. On ne peut pas leur demander d’avoir une vision autre que technocratique. D’ailleurs, ils auront beaucoup de technocratie à faire : uniformiser des statuts ou des carrières d’employés intercommunaux, établir un schéma de cohérence territoriale, fixer des règles de convergences fiscales. Le véritable enjeu sera à partir de 2020. Y aura-t-il alors des programmes discutés avec la population sur le développement de la métropole ? Y aura-t-il un suffrage direct ? Le principe a été pris mais une loi spécifique doit être votée pour ça. On ne sait jamais ce qu’il peut se passer.

Créer une méta-structure de plus par-dessus les communes, les inter-communalités, ça ne va pas éloigner un peu plus les administrés et les politiques ?
A chaque fois qu’on réorganise l’administration, surtout à cette échelle, il faut avoir un surcroît de réflexion sur la démocratie locale. Or aujourd’hui, elle est extrêmement faible. Si on veut se rapprocher des citoyens, il faut recréer un processus d’information, de participation, d’évaluation des politiques publiques, de contrôle, de possibilités de proposer des projets nouveaux. On ne peut pas imaginer un avenir commun si chacun n’est pas capable d’inscrire ses projets dans une vision commune.

Comment faire émerger ces projets ?
Il y en a déjà beaucoup, mais tous ne se font pas ici. Et lorsqu’on demande à ces personnes pourquoi elles ne l’ont pas fait ici, elles répondent qu’il leur a semblé que c’était plus difficile à faire ici qu’ailleurs.

Quels sont les obstacles ?
Il y a un problème d’interlocuteurs, de gouvernance. Il y aussi des outils qui sont insuffisants en matière d’accueil d’entreprises, d’activités, de foncier. C’est la conséquence du morcellement des différentes intercommunalités. Ces dernières, un peu tardivement, ont bien fait des plans mais ils ne sont pas à une échelle pertinente du point de vue social et économique. Il faudrait une charte politique sur l’équilibre des territoires. Un des grands enjeux de la métropole, c’est son remembrement.

Peut-on faire une métropole quand on n’arrive pas à échanger entre les villes du territoire ?
On a seulement des difficultés à échanger institutionnellement. Sur le plan des activités et des habitants, les échanges sont absolument permanents. Mais il y a un fossé entre ce que vivent les habitants qui arrivent difficilement à se déplacer, à se loger, et les institutions qui restent sur des positions d’il y a 50 ans, alors que ça a beaucoup changé.

Comment se fait-il que le maire de Marseille, qui a tout intérêt à désenclaver la ville et à la mettre dans une dynamique métropolitaine, soit aussi indifférent ?
Jean-Claude Gaudin a une vision métropolitaine essentiellement politique et financière. C’est une vision extrêmement étriquée. La métropole n’est pas un système de rééquilibrage financier. Si une meilleure répartition des richesses se fait, ce sera grâce à la croissance nouvelle permise par la métropole. Par rapport à Lyon, il manque ici 10 milliards d’activités économiques par an. C’est ça qui explique notre chômage.

C’est rattrapable ?
Oui, sur plusieurs années, à condition d’avoir une politique qui le permet, qui associe à la fois le développement économique, social et de l’éducation. Et qui soit régulière sur au moins une vingtaine ou une trentaine d’années.

Pour vous, le premier frein à la métropole ce sont les « invisibles », les abstentionnistes. Mais le projet métropolitain est-il vraiment attrayant pour les mobiliser ?
On pense toujours que l’abstention traduit une protestation. Mais sa première source, c’est la marginalisation sociale. Lorsqu’on n’est plus en relation avec les autres, qu’on n’a pas de travail, l’intérêt d’avoir une démarche collective est extrêmement faible. Si on veut lutter contre l’abstention, il faut permettre aux gens d’avoir des projets qui puissent se réaliser et s’inscrire dans un cadre beaucoup plus collectif.

A droite, on pense que le risque c’est que la métropole mutualise la misère.
Les quartiers qui se retrouvent au cœur de la métropole aujourd’hui, ce sont les plus pauvres de Marseille. Sans politique pour ces quartiers, la métropole va se retrouver avec une verrue en son centre qui va nuire à tout le monde. Si c’est pour avoir une métropole qui reste au niveau de la stagnation sociale et économique actuelle, ce n’est pas la peine de la faire. Et il peut y avoir une grande créativité métropolitaine dans les quartiers Nord de Marseille.

La critique de gauche craint, à l’inverse, que la logique métropolitaine favorise une concurrence totale de tous contre tous, dans la logique prédominante du marché.
C’est impossible d’avoir un discours simpliste considérant qu’il ne faut pas qu’il y ait de concurrence. Sur le territoire métropolitain actuel, elle existe déjà ! Et il y a aussi actuellement une concurrence entre les métropoles mondiales et méditerranéennes. Les containers qui ne vont pas à Marseille vont à Rotterdam et arrosent Lyon par exemple. C’est un manque à gagner considérable…

Vous listez les raisons pour lesquelles il faudrait avancer vers une métropole ambitieuse. Mais la « peur » semble pour l’instant l’emporter. Comment aller au-delà du constat d’un blocage ?
Il ne faut pas compter uniquement sur l’action politique pour faire la métropole. Les habitants doivent s’approprier cette métropole. Là est la clef !

Propos recueillis par Michel Gairaud et Rafi Hamal, mis en forme par Pauline Pidoux