« Qui est d’extrême-droite ici ? »
08:55
Arrivé en sifflotant à l’Hôtel de ville, Amaury Navarranne, président du groupe d’opposition RN à Toulon, s’installe sans surprise à l’extrême-droite dans l’hémicycle. En face de lui, Hubert Falco, le maire ex-LR du port militaire depuis 2001, est entouré de ses adjoints à la manière du capitaine Kirk dans Star Trek. La construction de la mairie est contemporaine de la série télévisée et la salle de conseil a des allures de vaisseau spatial. Seules entorses modernes à cet hommage au vintage : une dizaine d’écrans éparpillés et des photos de l’ancien ministre.
09:00
Sans une seconde de retard, Hubert Falco ouvre la séance. Son renvoi en correctionnelle dans l’affaire des frais de bouche du Conseil départemental du Var semble loin (lire notre article). La date du procès doit pourtant être fixée le 3 juin.
09:06
Colistière d’Amaury Navarranne et conseillère régionale comme lui, Laure Lavalette prend la pose dans sa robe vert électrique et se fait mitrailler par un militant. Après avoir été porte-parole de Marine Le Pen pendant la campagne des présidentielles, cette mère au foyer est à fond dans les législatives. Elle se présente dans la deuxième circonscription du Var où « la fille de » a réalisé 55 % le 24 avril dernier.
09:20
Il n’y a pas qu’à l’extérieur que la température grimpe. En réponse à Laure Lavalette, sa voisine, qui vient de jeter à la mer quarante ans de politique de la ville, « symptôme d’une immigration sauvage et incontrôlée », le conseiller d’opposition PCF André De Ubeda s’indigne « contre ce discours de haine ». Légèrement avachi sur son siège, Amaury Navarranne rigole : « Quand monsieur De Ubeda parle de haine, il dit que la moitié des Toulonnais sont haineux ! C’est le Toulonkistan que vous vous voulez. » Hubert Falco, voix grave posée et ironique : « Vous parlez de la présidentielle, mais vous avez fait 15 % aux municipales. » Et de tancer : « Nous sommes au Conseil municipal de la ville. »
09:23
Mais Yannick Chenevard remet une pièce. Premier adjoint (ex LR) d’Hubert Falco et adversaire Ensemble ! d’Amaury Navarranne dans la 1ère circonscription du Var, le lieutenant-colonel de réserve passerait pour plus islamo-gauchiste qu’André De Ubeda ! « La connaissance est l’accès au libre arbitre, c’est la première marche de l’ascenseur social », explique doctement le vice-président du Conseil départemental.
09:26
Alors qu’Hubert Falco tente de clore le débat sur la première délibération de la journée (convention triennale Cité Educative), ça vire cour d’école sur les bancs de l’opposition. André De Ubeda : « Moi j’ai travaillé et habité dans les quartiers populaires. » Laure Lavalette : « Être mère au foyer, c’est un travail ! » Puis à Hubert Falco : « Monsieur De Ubeda me dit que je n’ai jamais travaillé. Ces attaques personnelles sont inadmissibles ! » Le maire : « Si vous voulez, je vous donne une place plus à gauche. » Visiblement satisfait, le communiste en chemise noire est tout sourire.
09:34
Délibération 15, « demande de soutien financier auprès du Conseil régional […] pour l’acquisition d’équipements de la police municipale ». Tout en jurant ne « pas rouvrir de débat national », Amaury Navarranne, la mèche soigneusement peignée, profite de l’occasion : « On va voter la délibération car nous avons besoin de nouveaux matériels, mais ne taisons pas l’État qui se désarme et désarme les Français. Puisque votre voix est entendue, essayez de la faire pour les Toulonnais. »
09:43
Hubert Falco boit du petit lait. Soutien d’Emmanuel Macron depuis quelques mois, mais non encarté, il déroule : « Ma voix est surtout entendue par les Toulonnaises et les Toulonnais. Je n’ai pas d’influence, mais peut-être qu’on reconnaît l’expérience de celui qui a été élu maire sept fois, dont dix-huit ans dans le monde rural. » Sourire : « Quand on me demande mon avis, je le donne. » Cécile Muschotti appréciera : députée LREM de la 2e circonscription du Var, la conseillère municipale d’opposition a été priée d’aller se représenter à La Seyne-sur-Mer à la demande… d’Hubert Falco.
09:46
L’ex socialiste n’est pas rancunière et elle défend consciencieusement le bilan sécuritaire d’Emmanuel Macron : l’augmentation du budget de l’intérieur et du nombre de poulets en batterie. « 10 000 policiers qui viennent remplacer les 12 000 postes supprimés par Sarkozy », rappelle André De Ubeda à Hubert Falco.
09:53
A l’occasion d’une demande de subvention à l’Agence régionale de santé, les débats dévient sur l’hôpital Sainte-Musse. « Là encore, on pallie les carences de l’État », dénonce la conseillère municipale d’extrême-droite. Hubert Falco prend la mouche : on ne touche pas à son hôpital !
10:05
« Ce dont on parle ici, c’est d’un problème de financement de la santé. Comme pour la sécurité et l’éducation, il faut de l’argent », conclut André De Ubeda. Hubert Falco s’amuse : « Ça va être le débat à venir entre l’extrême gauche et l’extrême-droite. Mais je ne vous classe pas à l’extrême-gauche. » Laure Lavalette piquée : « Qui est d’extrême-droite ici ? »
10:09
De fait, le conseil enchaîne sur une demande de « soutien financier au titre du fonds interministériel de prévention de la délinquance » (délibération 17). Amaury Navarranne en profite pour un petit tacle sur le peu d’empressement de la mairie à accueillir des travaux d’intérêt général, une demande du parquet de Toulon. Hubert Falco gronde, puis passe la parole à Mohamed Mahali, son adjoint à l’urbanisme. Difficile à dire si c’est une stratégie de défense : l’avocat noie le poisson dans un style professoral autant approximatif qu’hautain.
10:26
Parole à Yann Tanguy, adjoint à la Culture d’Hubert Falco, pour une volée de délibérations. Un amiral et ancien préfet maritime… Certainement un artiste contrarié par une longue famille de militaires.
10:35
Pendant qu’une armoire à glace à la « mine patibulaire mais presque », comme dirait Coluche, s’installe à coté de la table des journalistes, l’écolo Pierre Leroy (Toulon en commun) s’étonne que la bouteille d’eau en verre soit 1 euros plus chère que celle en plastique à la médiathèque Chalucet. En bon militaire, Yann Tanguy single : « On peut critiquer tout le monde tout le temps ! »
10:40
Barbe de hipster, oreilles dégagées et mèche tombante, Nicolas Koutseff profite d’une délibération sur les forains du marché du Pont-du-Las pour un grand moment de xénophobie. « Je suis allé à Istambul Market, à la boucherie Halal Aran, à la Rose de Tunis… Le quartier est pris dans un étau. Il faut pouvoir dire que le quartier est gangrené, islamisé ! », déroule un peu habité l’élu RN. Qui conclut avec la même finesse : « On aimerait un communautarisme inversé. Il faut ramener la France au Pont-du-Las ! »
10:49
Réponse énervée d’Hubert Falco, le buste penché en avant et le visage fermé. : « Je me méfie beaucoup de vos affirmations. Vous êtes juste le représentant d’une opposition d’extrême-droite… » Regard noir, Amaury Navarranne gronde : « Ça va, on va arrêter avec l’extrême-droite ! » Pourtant, ça y ressemble beaucoup…
10:54
« Quel que soit le sujet, on en revient à l’immigration », s’indigne encore André De Ubeda. Avant de rappeler : « Au début du siècle dernier, certains lieux étaient interdits aux Italiens et aux chiens ! » Laure Lavalette, hors d’elle et peu inspirée : « Vous avez vu un Italien décapiter un professeur ! » Tentative de « Contre » du communiste : « Et la mafia, elle vient d’où ? » Puis, finalement satisfait : « Et paf ! »
11:04
Alors qu’Hubert Falco lève la séance, le journaliste de Var Matin fait la moue, dépité : « Je ne suis pas persuadé d’écrire quelque chose, il y a eu beaucoup de débat politique. » Ça semble pourtant plus que suffisant…
De haut en bas croqués par Trax : Laure Lavalette, conseillère municipale d’opposition (extrême droite, RN) ; Hubert Falco, maire ex-LR ; André De Ubeda, conseiller municipal PCF.