« Ça c'est une couillonnade totale ! »
18:15
Pas de zadistes à l’horizon, place Saint-Pierre, où le conseil municipal est convoqué ! Ce 28 juin, dès l’aube, la police a expulsé les occupants de la « zone à patates » qui luttent depuis des mois contre la destruction de terres agricoles à Pertuis.
18:30
« J’ai un collègue photographe en bas, au cas où, mais la manif des zadistes est partie vers l’autoroute, explique une journaliste de La Provence. » Le maire, Roger Pellenc, est déjà en place et téléphone.
18:37
Le conseil municipal se déroule pour la troisième fois dans l’îlot Saint-Pierre fraîchement restauré, où se trouvent aussi l’office du tourisme et les archives. Au centre des tables disposées en cercle, quatre écrans géants et une caméra qui cadre… Pellenc.
18:40
« Excusez-moi, je n’ai pas retenu votre nom, questionne un membre du cabinet du maire, préoccupé par la présence du Ravi. Nous n’avons pas l’habitude que des journalistes viennent sans prévenir. Mais vous êtes le bienvenu, la séance est publique. » C’est dit !
18:44
Pellenc raccroche enfin et lance, sans s’excuser, le conseil avec 15 minutes de retard. A 77 ans, au début d’un troisième mandat, il est à son aise. « Vous avez pu voir que la ville est en ébullition. Le préfet a décidé l’évacuation des zadistes. » Et le maire de se réjouir : « L’évacuation s’est passée sans heurt. Julien (Dalmas, le directeur général des services, Ndlr), est pris dans les bouchons. Il vous racontera ce qu’ils ont trouvé sur la Zad : un dépotoir complet défiant l’imagination sur le plan sanitaire. » C’est parti pour un très long monologue…
19:04
Depuis 20 minutes, Roger est en freestyle. Il retrace toutes les étapes du projet d’extension de la zone d’activité : la création d’un « espace stratégique en voie de mutation », la construction d’une digue « résistant à l’aléa pour une crue millénale », le futur Plan de prévention des risques d’inondations (PPRI), la forte demande d’entreprises « d’excellence » pour s’installer à Pertuis. Sans oublier d’épingler les zadistes : « Là-dedans, il n’y a pas de Pertuisiens. C’est incroyable ! Ils viennent d’on ne sait où ! »
19:14
Et de trente ! Pellenc est aussi bavard que l’opposition muette. Accusé de bétonner des terres fertiles, il défend sa politique : lutter contre les constructions illicites dans la plaine « et les implantations sauvages des gens du voyage », créer une zone agricole protégée « pour les figer de façon éternelle », favoriser le maraîchage avec une couveuse et pépinière d’entreprises agricoles, mettre en place une carte de remembrement, construire des logements sociaux…
19:20
Roger Pellenc cumule autant la parole que les mandats – à la métropole, au territoire du pays d’Aix – et que les entreprises portant son nom, dans le secteur des machines agricoles qui ont fait sa fortune. « On m’accuse en tant que Pellenc, vu que mon nom existe, de vouloir tirer bénéfice de l’extension de la zone d’activité. Mais j’ai vendu Pellenc SA et je suis seulement actionnaire, et plus membre de la direction, de Pellenc Sélective technologie. » Société toutefois intéressée, « à l’avenir », reconnaît-il, par la future zone d’activité… « Des hurluberlus de Marseille, proches de la nouvelle majorité et des écologistes, ont saisi la métropole. Là-dedans, il y a un ancien membre de l’opposition municipale qui habite Pertuis. » Fabien Perez, tête de liste alors PS en 2014, est visé…
19:24
Pellenc déroule, sans contradictions, depuis 40 minutes et s’enflamme toujours au sujet des « fausses rumeurs » contre sa probité : « J’ai donné à la ville le foncier, d’une valeur de 300 000 euros – ce n’est pas une paille ! – pour construire le groupe scolaire des Moulières. Je ne suis pas quelqu’un qui capitalise ! » Fin de la séquence inaugurale. « Vous avez des questions ? » Silence de l’opposition. « Merci ! »
19:25
Avisée, la journaliste de La Provence s’éclipse. Pour se détendre, projection d’une vidéo de Maryse Joissains, présidente du Conseil de territoire du pays d’Aix, institution dissoute dans la métropole. « Après plusieurs mois de cécité complète, je compte récupérer ma vision pour mener de nouveaux combats », souligne l’élue condamnée pour trafic d’influence et détournement. Applaudissements chaleureux !
19:32
Julien Dalmas, le DGS, arrive enfin. Le temps qu’il télécharge les photos prises sur la Zad, le maire se relance. Il évoque la visite, « 15 jours avant de décéder alors qu’il avait un cancer terrible », que lui a rendu Bernard Bigot, le patron du programme Iter, afin de lui redire que la future zone d’activité est le seul site adapté pour accueillir en 2027 les entreprises construisant le réacteur nucléaire expérimental. Et de moquer les zadistes l’accusant « de détruire les meilleures terres de Pertuis » : « Ça c’est une couillonnade totale ! Les malins qui ont planté des patates, elles avaient la grosseur d’une balle de ping-pong et en plus elles avaient le ver ! »
19:37
Accueilli comme un héros de retour du front, le DGS fait son rapport : « Deux escadrons de gendarmes mobiles, les RG, un hélicoptère, cela a été titanesque ! Nous avons découvert une zone de combat avec 15 000 pneus entreposés. On suppose que c’était pour les incendier et les lancer. » Frisson d’horreur dans la salle. « Nous avons découvert un fourbi sans queue ni tête, des sanitaires au milieu des espaces de vie. A l’intérieur des maisons il y avait une odeur qui vous prend aux tripes. Cela témoigne que ces gens n’étaient pas en contact avec la vie réelle. »
19:43
Début de l’interminable séquence « des infos du maire ». Pellenc garde la main. Selon un rite bien rodé : même lorsque ses adjoints prennent parfois la parole brièvement, le maire commente ensuite longuement devant une opposition… silencieuse.
20:22
L’heure est grave, Pellenc interpelle ses élus : « Je vous lance un appel pour que vous participiez au corso fleuri. Il faut y être présent et qu’on mette le paquet sinon les organisateurs vont se décourager. »
20:40
Le conseil examine désormais les rapports. Ce soir il y a en 44. Parfois un élu prononce une sentence définitive. Comme Jacqueline Descamps, déléguée aux relations avec le conservatoire : « physiquement chanter fait aussi bien qu’une séance de gym ». Qui est contre ? Qui s’abstient ?
20:45
Et le miracle a lieu ! Deux heures après le début du conseil, l’opposition se réveille. En septembre, l’école privée catholique Notre Dame, jusqu’ici à la Tour d’Aigues, ouvrira ses portes à Pertuis. L’adjointe déléguée à l’éducation, Anne-Priscille Bazelaire, présente le chiffrage du coût annuel d’un élève pour la ville, calqué sur celui consacré aux écoles publiques : 1522 euros en maternelle, 620 en élémentaire. Eric Banon, tête de liste du groupe « Une vision durable pour Pertuis », s’interroge : « La ville devra-t-elle payer pour tous les enfants scolarisés à Notre Dame ? » Le maire, familier : « Tu as raison de poser la question. » Seuls les enfants des Pertuisiens sont concernés, soit pour l’heure 28 en maternelle et 63 en élémentaire.
20:53
Les échanges se tendent. « N’y-a-t-il pas un risque de taux de fuite vers le privé qui pourrait renchérir le coût dans les écoles publiques ? », s’inquiète Banon. Pellenc dément. « Tu compares des carottes et des bananes », reproche le maire à son opposant. L’opposition… s’abstient. « Ce n’est pas respectueux par rapport aux familles qui mettent leurs enfants dans le privé », tacle l’adjointe à l’éducation.
21:30
Adjoint, Pellenc, adjoint, Pellenc… Le conseil ronronne. Nouvelle vidéo récréative pour présenter le conseil municipal des jeunes. Surprise ! C’est un entretien avec… Pellenc ! Qui s’écoute très attentivement…
22:25
« L’ordre du jour est épuisé », lance le maire devant des élus… épuisés. Mais il reste encore en stock quelques questions écrites.
22:36
Cette fois-ci c’est terminé. Conclusion de Roger Pellenc : « Soyez tous présents pour le corso ! » Dans une poignée d’heures, les pelleteuses doivent détruire les fermes jusqu’ici occupées par les zadistes…
De bas en haut, illustré par Trax : Roger Pellenc, maire divers droite de Pertuis et PDG fondateur des sociétés Pellenc ; Julien Dalmas, son directeur général des services ; Eric Banon, conseiller d’opposition divers gauche.