Aux Caillols, Valérie Boyer fait recruter sa clientèle, juin 2017
Derrière le stade des Caillols, une vaste bâtisse recouverte d’un crépit orangé. Des têtes se penchent du haut d’un immense toit plat. Ça crie, ça rit et ça se chambre. Ce mercredi 7 juin dans la cité populaire du 12ème arrondissement de Marseille, le soleil tape et quelques apéritifs sont sortis. Un passant pourrait confondre le regroupement à un petit barbecue entre familles plutôt qu’à une réunion politique, même officieuse. Et pourtant c’en est une.
En témoigne l’affiche de campagne de Valérie Boyer, député-maire LR du secteur, qui trône sur un mur du salon. L’ancienne porte-parole médiatique de François Fillon brigue un nouveau mandat. Si elle le remporte, elle devra céder la mairie à son fidèle et suppléant Julien Ravier. À l’intérieur du bâtiment, des chaises disposées en cercle attendent patiemment que l’assistance s’installe. On y trouve des jeunes majeurs qui découvrent le vote mais aussi des « référents », c’est-à-dire des jeunes de la cité des Caillols capables d’en motiver d’autres pour choisir un bulletin…Valérie Boyer. Des présidents de club et d’associations locales ont également fait le déplacement. Mais s’ils sont venus rencontrer Julien Ravier, c’est autour d’un certain Karim Rebouh qu’ils se réunissent, le propriétaire de la maison.
Candidats fantômes
Affable, vêtu d’un simple polo gris et d’un jogging, Karim, 41 ans, n’a pas l’allure de celui que les politiques courtisent. Pourtant, fonctionnaire à la mairie du 15-16èmes arrondissements, il a créé en 1999 l’association « Jeunesse 11-12 ». Dédiée aux jeunes du quartier, elle organise des excursions pour les sortir du quartier. « On est allé plusieurs fois au Maroc et on a même fait un voyage d’aide humanitaire au Kenya » s’enthousiasme Medhi, un ami d’enfance. Un autre, Olivier, affirme vouloir « aider les jeunes qui veulent apprendre avant d’avoir une tablette ». A titre personnel, explique-t-il, il aide les jeunes du quartier à trouver emploi et logement.
Jamais encarté, Karim Rebouh a autrefois milité pour Christophe Masse, ancien député PS de la circonscription, mais aussi pour Roland Blum, autre député marseillais alors à l’UMP, actuel adjoint LR de Jean-Claude Gaudin. « J’ai commencé à m’engager parce que la maison de quartier ne faisait rien. J’ai décidé d’aller vers les politiques et voir ceux qui pouvaient nous aider. » Sur le plan des idées, de la dynastie socialiste Masse à l’ultra droitière et catholique Valérie Boyer, il y a un grand écart ! « C’est gênant, avoue Karim. Mais au PS, il n’y a plus que des candidats fantômes. Des hommes qu’on ne voit qu’au moment des élections et qui ne sont pas du terrain. » Aujourd’hui, il revendique ouvertement son influence sur plus de « 250 votants dans une cité qui en compte 924 ». En 2012, Valérie Boyer avait arraché la députation face à Christophe Masse avec seulement 505 voix d’avance. Ici, chaque bulletin compte dans une circonscription où l’abstention s’élevait à 22,29 % au premier tour de la présidentielle. Le FN y avait également réalisé un de ses meilleurs scores marseillais en récoltant 29,63 % des suffrages exprimés.
La réunion commence. Karim Rebouh présente les troupes. Tout le monde l’écoute, surtout Julien Ravier. Un vrai chef de tribu. Il commence par énoncer la liste de jeunes qui ont pu trouver un logement grâce à la mairie. Pour les autres, ceux qui n’en ont pas encore trouvé « on espère, on a passé les dossiers à Richard [Omiros] ». Ce dernier, adjoint à la mairie du 11-12èmes arrondissements présent également ce jour là, accompagne Julien Ravier, et lui sert de « ponts » entre les habitants du quartier et la mairie. Puis, Karim énumère les engagements pris par Valérie Boyer et Julien Ravier : « Un jardin/espace de jeux pour enfants, organiser un voyage en octobre pour les jeunes, réinstaurer la fête de quartier et un tournoi de foot international, obtenir des invitations pour des jeunes à un prochain concert de Soprano... »
Simple « mise en réseau » ?
C’est alors au tour de Julien Ravier de commencer, et de commencer bien, c’est-à-dire avec une blague. « Je n’ai aucun lien de sang avec Stéphane Ravier (le sénateur-maire FN des quartiers nord marseillais, ndlr) ». Dans le public déjà acquis, son discours reste simple, surtout quand il reprend la fable du pêcheur. « C’est bien de donner du poisson mais si on en donne trop après il n’y en aura plus. » Le bras droit de Valérie Boyer se défend de clientélisme en préférant parler de « mise en réseau afin d’aider les jeunes à trouver un emploi », un logement pour faire « revivre les noyaux villageois » des quartiers… En échange de bulletins de votes quand même ! Pour ceux qui assistent à la réunion, tous les moyens sont bons dans une circonscription où le taux de chômage avoisine les 14,9 %. « Un échange de bon procédés », glisse une femme. Karim Rebouh résume : « Il y a des méchants partout PS, LR. Peu importe. Le jour où ils nous aident plus, je ferai passer le mot et plus personne du quartier votera pour eux. Pour l’instant, ils nous aident. »
La rencontre se termine et les consignes fusent. Il faut motiver une dizaine de jeunes à aller voter. D’autres iront tracter au boulevard Sylvestre, emmenés par Nabil, un jeune référent. Karim Rebouh s’engage à passer des coups de fils pour faire passer le mot. Julien Ravier, sourire aux lèvres, remercie et est remercié. À Marseille, les élections se jouent souvent en coulisses. Du pur clientélisme ? Karim Rebouh s’en défend et conclut : « Le clientélisme c’est je te file du pognon et je te rends service. Pour moi, le plus important c’est de permettre aux jeunes de ne pas faire les cons… »
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