« Je peux vous regarder dans les yeux ! »
17:50
Imposante salle des fêtes de la mairie d’Avignon : grands miroirs, fenêtres de la taille d’un studio étudiant, ornements en or, statues d’anges et tout le tintouin. Au plafond, une longue traînée de poussière menace de tomber sur les élus.
17:55
La majorité s’embrasse dans de grands sourires. D’autres élus passés dans l’opposition comme l’écologiste Jean-Michel Cervantès ou l’ancienne adjointe au logement, jadis très proche du maire Cécile Helle, Darida Belaïdi, viennent saluer les journalistes. Ce 27 novembre, c’est probablement l’avant-dernier conseil municipal avant les élections municipales en mars prochain. Après un peu moins de six ans de mandat, nombreux sont les élus qui ont quitté la majorité, notamment pour rejoindre les écolos. Un conseil comme tribune politique donc.
18:02
Cécile Helle, éternels cheveux courts, boucles d’oreilles bleues et veste de tailleur à carreaux noir et blanc demande : « Vous êtes bien installés ? » Le son de la sono est terrible. Un « Il est payé le mec là-bas ?! », sort de la table de la presse, désignant l’ingénieur du son. Une minute de silence est faite en mémoire des 13 militaires tués au Mali quelques jours avant.
18:08
« Avant de démarrer, j’ai une information à donner, lance la maire. Madame Belaïdi a démissionné du groupe Avignon écologique, sociale et solidaire. Elle est désormais non-inscrite. » Le lendemain, la presse locale fera état de « désaccords internes », deux mois après avoir annoncé son ralliement aux écolos… Elle fait surtout l’objet d’une mise en examen pour « harcèlement moral » auprès d’une secrétaire de mairie (voir le Ravi n°178).
18:10
Les premières délibérations concernent des « grands projets urbains » de rénovation. La première présente le Projet d’intérêt régional (PRIR) portant sur les quartiers du nord est où vivent 5 000 habitants. Pour rappel : Avignon est la ville la plus pauvre de la région. Cécile Helle évoque les objectifs : « désenclaver et fédérer ces quartiers, […] favoriser les transports en commun et la mobilité douce et diversifier l’habitat pour attirer plus d’habitants. » En 10 ans, 200 logements seront détruits, 193 reconstruits et 457 rénovés. Des rues, des groupes scolaires, des équipements sportifs et culturels seront requalifiés. Coût de l’opération : 80 millions d’euros sur 10 ans dont 27 pour la ville.
18:17
L’un des benjamins de la majorité a le nez sur son smartphone. Ce sera souvent le cas au cours de la séance. Tout comme sa voisine, qui joue au solitaire.
18:25
Darida Belaïdi prend la parole en passant d’abord un peu de pommade. « Mais ça va être critique », se reprend-elle. Elle remet entre autres en cause la bonne information des habitants, la question de la carte scolaire, le manque de crèches et la stratégie de la municipalité à l’échelle de la ville : « On cherche à attirer de nouveaux habitants mais il n’y a rien d’attractif dans ces quartiers ! »
18:32
Christine Lagrange, encore adjointe à l’urbanisme il y a moins de trois semaines avant sa démission, en remet une couche. Elle se plaint de ne pas avoir été associée à ce programme et dénonce « une méthode de travail très légère ». Cécile Helle rappelle ensuite que l’Agence pour la rénovation urbaine a salué la qualité du projet et, anticipant la deuxième délibération, que tous les programmes de rénovation confondus constituent 80 millions d’euros pour la ville sur 10 ans, soit 8 millions par an sur un budget d’investissement de 35.
18:41
Isabelle Labrot, adjointe aux quartiers sud, présente la deuxième délibération qui doit approuver la convention définitive sur un autre programme de rénovation urbaine sur les quartiers Rocade Sud et Saint Chamand, celui-là d’intérêt national. Elle est « fière et émue ». Quelques ricanements dans la salle, dont celui d’Amine El Khatmi, lui aussi ancien élu de la majorité. « Oui, j’ai encore le droit d’être fier et d’être élue », lui lance-t-elle. Darida Belaïdi sort s’en griller une.
18:45
L’opposant number one, l’écolo Jean-Pierre Cervantès, cheveux rares, veste noire et écharpe verte, prend la parole. Il se félicite du programme mais regrette qu’il s’arrête à l’urbanisme : « Il aurait fallu un projet plus global […] Le gros problème de la Rocade c’est la qualité de l’air. » Il milite pour une interdiction des poids lourds sur cet espèce de périphérique. Son ambition, faire de la Rocade un écoquartier. La future candidate Rassemblement national, à la voix douce comme un agneau, Anne-Sophie Rigault, estime, elle, que le budget n’est pas bouclé.
18:52
Helle répond à l’écologiste sur les poids lourds : « J’ai fait part au préfet de région de ma volonté de les interdire sur la rocade, il n’y a que lui qui peut le faire par arrêté. Je lui ai donné jusqu’au 1er janvier, il en prendra ou non la responsabilité. » Et continue : « j’essaie d’être dans le dialogue », assure sans sourciller la maire. Amine El Khatmi s’en moque. « Je n’ai pas de leçon à recevoir sur ce sujet monsieur El Khatmi », réagit sèchement l’édile. Avant de conclure : « Notre ambition, faire de la ville toute entière une éco-cité. » Surenchère écologiste et rires dans l’assemblée.
19:04
À la suite de la troisième délibération, Jean-Pierre Cervantès revient sur les propos du maire. « Ce soir est une séance historique, lance-t-il avec arrogance. Avignon éco-cité est justement le titre de notre blog ! » Il continue : « Cet arrêté poids lourds, on le demande depuis le début du mandat ! » Rictus de Cécile Helle.
19:07
Vient une délibération sur des projets d’acquisition dans un quartier de la ceinture verte de la ville. Depuis cet été, certains riverains manifestent contre un nouveau plan de circulation. Les débats s’échauffent vite sur la concertation autour de l’affaire. « Il n’y en a pas eu, ce n’est pas vrai », gueulent certains opposants. Helle s’adresse encore une fois à Amine El Khatmi : « Je peux vous regarder dans les yeux ! » Tout le monde parle, on ne comprend plus rien.
19:45
L’adjoint au patrimoine Sébastien Giorgis présente le « projet de charte de l’arbre urbain » et loue tous ses avantages. Un élu FN prend la parole : il accuse le maire d’une mesure électoraliste en se demandant pourquoi cette charte n’a pas été lancée en 2015, lors de l’abattage de 50 platanes malades : « Vous étiez sans doute trop occupée à tronçonner l’un de vos adjoints ! » Cet épisode marque en effet la rupture entre le maire et Cervantès. Qui enchaîne : « Enfin ! Mais ce document est d’une banalité affligeante, un simple copier-coller d’Internet ! Vous n’êtes plus crédible et carrément pitoyable. » L’élu au patrimoine se défend comme il peut : « Ce n’est pas de l’écologie de bistrot qu’on fait ici ! »
20:00
Cécile Helle commence à perdre son calme. « Je suis choquée, lance-t-elle. Comment pouvez-vous imaginer qu’un maire prenne de gaieté de cœur la décision de perdre un arbre ! Vos mensonges ne sont pas acceptables ! » Elle s’énerve vraiment. Avant d’assurer qu’elle est « une défenseuse de l’arbre ».
20:10
Suivent une série de délibérations sur la prévention des violences faites aux femmes. La mairie a programmé toute une semaine ambitieuse sur le fléau. Elle prévoit de mettre à disposition cinq appartements de la Rocade pour les victimes de violences conjugales, en lien avec l’association Rheso.
20:29
Viennent des délibs’ sur le stade nautique et son inauguration, ce mois-ci. Cervantès critique le choix du prestataire de service pour la restauration : « Encore de la malbouffe ! » Après près de trois heures de séance, à peine un tiers des délibérations ont été étudiées… Plus c’est long, plus c’est bon ?
De haut en bas, dessinés pas Trax, Cécile Helle, maire PS, Darida Belaïdi, ancienne adjointe au logement passée dans l’opposition, Jean-Pierre Cervantès, opposant écologiste.