« Quand les gens vont-ils se réveiller ? »
Laurence Cassou brandit fièrement son attestation qui stipule qu’en application du décret n°2020-1310 du 29 octobre 2020, contrairement au premier confinement, elle a le droit de manifester. Un samedi soir de mi-novembre à Avignon, une grosse centaine de personnes s’est rassemblée à l’appel de plusieurs organisations dont le syndicat Solidaires, La France Insoumise, le Parti communiste, le NPA… pour réclamer « du fric pour l’hôpital public ».
Pour cette professeure à la retraite, il est plus que jamais important de se réunir, d’échanger, « pendant ce confinement dans lequel le gouvernement nous a acculés ». Les quelques « RG » présents, après autorisation de la hiérarchie, laissent le cortège défiler jusqu’à la place de la mairie. Des flambeaux, vestige d’une très lointaine manif’ contre les retraites, éclairent les visages pour la plupart masqués et les slogans scandés viennent rompre un silence de plomb.
Mais certains sont très en colère, et les revendications dépassent celles liées à la santé. « Quand les gens vont-ils se réveiller ?, se demande Kali, une « artiste ». On grignote insidieusement nos libertés et nos gouvernants nous mènent directement vers un État dictatorial. » La chape de plomb sécuritaire et sanitaire recouvre en fait deux dimensions avec ce confinement et la difficulté de mobiliser les troupes puis la proposition de loi « sécurité globale », finalement votée à l’Assemblée le 24 novembre.
« C’est une loi fasciste«
« La CGT est un syndicat de lutte et de transformation sociale, rappelle Lionel Zaouati, coordinateur régional Paca CGT de la fédération des organismes sociaux, à la sortie d’une conférence de presse avant la manifestation du 17 novembre des personnels de santé. Depuis des années, le pouvoir cherche à institutionnaliser les syndicats, à en faire des « partenaires sociaux » pour accompagner les mesures qui nous accablent. Notre objectif est toujours d’instaurer un rapport de forces. » Ses collègues des hôpitaux Sud de Marseille et de l’Assurance maladie mentionnent « les assignations arbitraires et les menaces voilées aux CDD pour les empêcher de manifester » ou « l’interdiction de communiquer dans les boîtes aux lettres professionnelles ».
« Après les Gilets jaunes, les retraites, l’assurance-chômage… il est certain que la pandémie est une excellente opportunité pour le gouvernement de bloquer la contestation, commente Mario Correia, sociologue du travail à Aix-Marseille université. Les syndicats se trouvent devant un mur, sont en désaccord mais ne peuvent pas l’exprimer car le gouvernement ne discute avec aucun d’entre eux. Ces désaccords vont peut-être s’exprimer autrement et les syndicats risquent de se faire dépasser. »
Le 17 novembre au soir, la place des Chartreux à Marseille est noire de monde. À l’appel de nombreux collectifs des centaines de personnes – jeunes et vieux – sont venus protester contre le projet de loi « liberticide » « sécurité globale » du gouvernement : interdiction de filmer les forces de l’ordre, développement de la surveillance par drone avec reconnaissance faciale… Au-delà de l’entrave à la liberté d’information c’est le sentiment d’impunité qui se dégage.
« Cette loi est complètement hallucinante alors que des flics éborgnent, mutilent… Seule l’image permet d’avoir un équilibre avec la parole des policiers et de l’IGPN, de prouver quelque chose, s’énerve l’écrivain de science-fiction Alain Damasio, pancarte à la main, auquel la répression policière du 22 novembre suite à l’installation de tentes de réfugiés place de la République donnera raison. On utilise le mot fasciste à tout bout de champ mais pour moi, cette loi l’est réellement. Et on profite de la crise sanitaire pour faire passer ça. » Avant de s’interroger sur l’auto-prophétie de ses romans et la surveillance généralisée par drones…
Un peu plus loin, Laura Manca, 18 ans, fait des études pour devenir éducatrice spécialisée. Elle cherche ses mots : « Pourtant, c’est tellement évident. Il y a un déséquilibre très important entre les droits des flics et les nôtres. On est surveillés « H24 » ! Les vidéos sont nos seules armes pour lutter contre cette institution pourrie qu’est la police. Alors oui cela fait du bien d’être là ce soir, de voir ce monde mais on part tout de même défaitiste : est-ce que cela sert à quelque chose ? » Pour le moment, non.