« Si je dévie, il faudra tout arrêter »
Cathy Racon-Bouzon est, en politique, l’équivalent de la « girl next door » des comédies romantiques américaines : la voisine d’à côté sympa qui, mine de rien, finit la course en pôle position en doublant les vieux roublards des joutes électorales. En 2017, à part la start-up « en marche » de Macron, personne ne misait vraiment sur elle pour l’emporter dans la 5e circonscription, l’une des plus disputées au centre de Marseille.
Elle coche alors toutes les cases du casting idéal des troupes du futur président : aucun engagement politique antérieur, aucun mandat, tout juste 40 ans lors de sa candidature. Et, mère de trois enfants, elle pousse le luxe de faire campagne en promenant en poussette son petit dernier – six mois et pas encore toutes ses dents. Enthousiaste, elle a adhéré dès le premier jour de la création à la République en marche. Dernier bon point pour son investiture : à l’image de la génération des nouveaux élus Macron, elle n’était pas une ancienne caissière, technicienne de surface ou ouvrière, mais cadre chez Kaporal, directrice de la communication de la société marseillaise de prêt-à-porter.
Fille d’enseignants et de grands-parents marseillais venus de Corse s’installer dans le quartier des Chartreux, elle est diplômée de l’ESCP Europe, l’école supérieure de commerce à Paris. Avant de vendre des jeans, elle a fait le choix de revenir à Marseille pour travailler durant dix ans chez Pernod-Ricard. Elle a également représenté le groupe deux années aux États-Unis. Cerise sur le gâteau de sa success-story : elle a aussi expérimenté le travail indépendant en tant que conceptrice-rédactrice.
Mais il y a – bien entendu – un « en même temps » selon la dialectique de Manu. « En même temps » que la bosse de l’entrepreneuriat, elle a la fibre sociale. Durant sa campagne, elle revendique des « valeurs de gauche ». À l’Assemblée nationale, elle est vice-présidente de la commission des affaires culturelles et de l’éducation.
En vrac, quelques dossiers qu’elle a défendus : un projet d’audit du bâti des écoles marseillaises, combattu par Gaudin ; des mesures pour développer le mécénat des TPE/PME ; un rapport sur le fléau des punaises de lit ; le soutien aux jeunes migrants isolés, aux mineurs non accompagnés ; une mission sur – dixit – « les alliances entre associations, entreprises et pouvoirs publics au service de l’intérêt général »… Liste non exhaustive !
Au lendemain de la deuxième visite rapprochée du président, elle était donc l’invitée idéale pour assurer le service après-vente de son plan « Marseille en grand »…
M. G.
Lors de sa deuxième visite, en octobre, à Marseille, le président de la République s’est montré beaucoup plus discret qu’en septembre…
Rappelons le côté inédit de cette visite présidentielle en septembre sur un territoire qui a besoin d’ambitions, d’audace et d’alliances. Le président de la République veut travailler avec différents acteurs marseillais en les invitant à plus de coopération. Emmanuel Macron est le président de tous les Français, donc aussi celui des Marseillais. Ainsi il a souhaité montrer son engagement au côté du maire de Marseille qui l’a appelé à l’aide.
Quelle implication des députés marcheurs de Marseille – vous êtes quatre – dans la gestation, l’élaboration et le suivi de ce plan ?
On a tous des profils et des sujets de prédilection différents. Donc on a tous joué un rôle en amont, de réflexion, d’alerte, en faisant remonter au gouvernement ce qui se passe sur nos territoires. Nous échangeons très régulièrement au sujet de la mise en œuvre du plan, pour servir de courroie de transmission, fluidifier les rapports, les tensions, les blocages. J’ai particulièrement travaillé sur le Plan école, en alertant très tôt le gouvernement sur l’état des écoles.
Des réunions régulières ont eu lieu à l’Élysée pour préparer ce grand plan. Vous y aviez assisté ?
Pour écrire les lois, un député a besoin d’avoir une connaissance de son territoire en rencontrant au quotidien les acteurs locaux. Et il se doit de faire remonter les difficultés pour pouvoir trouver des solutions. Une politique nationale se fait sur la base d’enjeux locaux, de réalités de terrain qui ont besoin d’être résolus. Donc oui, Matignon et l’Élysée nous sollicitent régulièrement. Je ne dis pas que ça arrive tous les quinze jours, mais régulièrement, oui.
Macron incarne fortement le plan proposé pour la ville. La verticalité de son exercice du pouvoir ne contraste-t-elle pas avec la promesse du mouvement « en marche » d’un fonctionnement plus horizontal ?
Le président est souvent décrit comme jupitérien. Effectivement, il décide, mais il fait partie aussi des présidents qui concertent le plus. Il a mis en place des conventions citoyennes pour le climat, des concertations d’élus sur toutes les mesures sanitaires, un conseil scientifique, des concertations locales. De la même façon, il entend ses élus, ses relais sur le territoire.
Concernant les écoles marseillaises, pourquoi avoir estimé urgent, dès 2019, que l’État procède à leur audit ?
Je suis marseillaise. J’ai grandi ici et je suis allée à l’école publique ici. Je vis aujourd’hui dans le 4e arrondissement où mes enfants sont scolarisés à l’école publique. Donc je suis en première ligne d’un constat quotidien sur les dysfonctionnements. J’ai une envie plus que viscérale de défendre cette école publique. De faire en sorte qu’elle soit à la hauteur des attentes de tous les parents marseillais. Qu’on puisse y mettre ses enfants sans se poser de questions. C’est d’ailleurs un des moteurs de mon engagement en 2017. Et l’une des raisons pour laquelle je suis allée dans la commission d’éducation à Marseille. Or, le constat est assez triste. Nos enfants sont souvent scolarisés dans des établissements dans un état parfois quasiment indigne, et pas seulement dans les quartiers nord. Il y a des écoles du 4e arrondissement dans des états pitoyables. D’autres nécessitent des rénovations, des réhabilitations. Donc quand j’ai été élu, je me suis préoccupée de cette question avec des discussions ouvertes avec la municipalité de l’époque (celle de Jean-Claude Gaudin, ndlr), qui me présentait les plans de rénovation engagés, ceux à venir, comme le fameux PPP (partenariat public privé) combattu par différents acteurs. J’ai aussi pris le temps de les rencontrer pour voir ce qu’ils dénonçaient dans ce montage-là. En travaillant tout simplement sur la réalité des faits, celle des projets, j’ai estimé que la ville seule ne serait pas capable de mener à bien ce chantier titanesque ! Cerise sur le gâteau, j’ai vite compris que l’état des écoles n’était pas vraiment connu. La ville avait probablement des audits mais au final, soit par manque de transparence, soit parce qu’ils étaient approximatifs – je n’en sais rien et je n’en saurai jamais rien – le fait est qu’il y avait assez peu de données tangibles et concrètes. J’ai donc estimé que comme aujourd’hui, quand on a du mal à avancer, on peut demander à l’État de remplir son rôle de garant du bon fonctionnement des institutions publiques et de la mise en œuvre des politiques publiques. J’ai pensé que c’était le rôle du gouvernement de mettre son nez sur cette question-là. Pour pouvoir à minima avoir un état des lieux réel des écoles. Même si la compétence du bâti scolaire relève de la ville de Marseille, quand son état commence à engager l’apprentissage des enfants et des conditions de travail des enseignants, quand les deux peuvent être mis en danger, quand les conditions de travail des enfants sont détériorées, c’est le rôle de l’État d’être garant des bonnes conditions de travail des enseignants et de l’apprentissage des enfants.
« L’intérêt politicien reste souvent l’intérêt supérieur »
Voir un maire – Jean-Claude Gaudin – bloquer votre démarche, cela vous a inspiré quoi ?
Ça ne m’a pas vraiment surprise, mais ça m’a écœurée. Cela m’a écœurée parce que c’est tout ce que je déteste dans la politique. C’est pourquoi je me suis engagée avec cette promesse de changer les pratiques. C’est vraiment la ligne de conduite que je me fixe. Si un jour, je dévie d’un soupçon de cette ligne, il faudra tout arrêter. J’espère que les gens autour de moi me le diront. Je pense qu’on est à l’abri. Aujourd’hui, c’est ce qui nuit à notre démocratie, à la vision qu’ont les gens, les jeunes en particulier, de la politique. C’est lorsque finalement l’intérêt général passe après l’intérêt politicien, qui reste supérieur pour beaucoup dans le personnel politique ancien…
Que pensez vous du plan pour les écoles présenté par Benoît Payan, le nouveau maire (PS) de Marseille, qu’il chiffre à 1,2 milliard d’euros en ciblant 174 écoles, dont 80 prioritaires ?
J’adhère 100 % à la démarche. Concrètement, je ne suis pas habilitée à juger du nombre d’écoles et du montant en euros qui est annoncé sur le périmètre financier du plan. Je n’ai pas fait les calculs, main dans la main avec les équipes, pour savoir si c’était 160 ou 180 écoles. En tout cas, je salue cette démarche, pour le coup extrêmement sérieuse et construite, d’avoir fait l’état des lieux puis des recommandations, d’avoir défini un périmètre d’action avec une chronologie et un calendrier. J’approuve cette démarche de demander un partenariat avec l’État, de demander de l’aide, mais de manière constructive. Une entreprise publique, une SPLA-IN probablement (Société publique locale d’aménagement d’intérêt national), est envisagée. Peut-être que ça sera une autre forme juridique, mais à priori on se dirige vers cette voie, vers un partenariat entre l’État et la ville pour rénover les écoles ensemble.
Mais même après la seconde visite d’Emmanuel Macron, on ignore toujours à quelle hauteur l’État pourrait s’engager. Les 1,2 milliard espérés ?
Il n’a jamais été question que l’État soit au rendez-vous à hauteur de 1,2 milliard, le plan est plus complexe que ce simple chiffre. Pour la partie rénovation, c’est huit cents et quelques millions. Un certain nombre d’autres millions sont dédiés à l’équipement et à la rénovation pour de petits entretiens des écoles. L’État et la ville travaillent aujourd’hui pour construire une société publique. Il faut définir à la fois la part financière de l’État en subvention, mais aussi avec des prêts garantis. Il reste à déterminer la gouvernance de la société et son périmètre d’action. Donc plein d’éléments sont en cours de discussions, avec les équipes de l’Élysée, mais aussi de Matignon, de la préfecture et de celles du maire de Marseille. Tout ça fait l’objet de négociations entre le maire et le président. Ce qu’il est important de retenir aujourd’hui, c’est que l’État a promis d’être au rendez-vous. Et il le sera ! Ce n’est qu’une question de jours pour connaître l’atterrissage des décisions qui seront prises (Le 28 octobre, l’État a confirmé une première enveloppe de 254 millions d’euros pour la rénovation des écoles, ajouté à 6 millions de crédits de paiement pour financer la société publique chargée du chantier, NDLR).
Le projet d’« Écoles du futur » à Marseille suscite du rejet : 50 écoles appellent à boycotter l’expérimentation voulue par Macron. Elles dénoncent un « chantage » et une « casse de l’école publique républicaine ».
Il y a un gros malentendu sur cette expérimentation. Plein de trucs se sont mélangés au même moment : l’annonce du président, un texte de loi à l’Assemblée nationale sur les directeurs d’école… Déjà, vous parlez des écoles qui ont décidé de ne pas participer à l’expérimentation, mais pas de toutes celles qui, au contraire, se sont manifestées spontanément pour être volontaires. Cette expérimentation consacre la liberté pédagogique des enseignants, conformément au code de l’éducation. Les enseignants y sont déjà libres de décider de la manière dont ils apprennent aux enfants. L’idée, c’est de dire qu’il y a des endroits dans la ville, à Marseille ou ailleurs, où la situation de l’école publique nécessite de renforcer les moyens et d’apprendre autrement aux enfants. Je prends un exemple. Des écoles sont situées à proximité d’un bidonville rom avec beaucoup d’enfants qui ne parlent pas français. Vous ne pouvez pas apprendre dans une classe de la même manière, avec des enfants qui n’ont pas le même profil. Donc l’idée, en fonction des besoins spécifiques d’une école, c’est d’accorder aux enseignants plus de liberté d’apprentissage. Dans mon exemple, il faut plus de professeurs de français langue étrangère (FLE) pour enseigner à des enfants qui n’ont jamais été scolarisés, qui arrivent à l’école à 8 ans et qui ne parlent pas bien le français. D’autres établissements pourraient décider de ne faire l’école que le matin, pour réserver l’après-midi à des enseignements à l’extérieur, dans un parc… Je caricature un peu, mais c’est pour montrer à quel point on peut avoir de l’audace et de l’innovation. Autre exemple : on peut se dire que le sport doit être le fil rouge pour apprendre à faire des maths ou maîtriser le français. L’expérimentation a vocation à donner la liberté aux enseignants et directeurs de décider ensemble, en concertation, le meilleur projet pédagogique pour leur école, qu’il faudra ensuite discuter et valider avec l’inspection académique. Des moyens seront mis en face pour que ces expérimentations puissent avoir lieu. L’idée n’est pas que le directeur d’école recrute les enseignants. Aujourd’hui, dans la réglementation, ça n’existe pas, et nous n’avons pas l’intention de la changer. C’est le rôle de l’inspection académique. En revanche, si une équipe veut axer sa pédagogie autour du sport ou aider les enfants allophones, cela peut impliquer des besoins complémentaires, de nouvelles compétences et des profils d’enseignants que l’inspection académique pourra embaucher.
Comment vont être choisies la cinquantaine d’écoles où l’expérimentation pédagogique aura lieu ?
Les écoles volontaires vont travailler sereinement sur un temps long afin de construire un projet qu’elles vont présenter. Il sera ensuite évalué, concerté, avec pas uniquement les enseignants qui l’auront proposé, mais aussi les parents d’élèves, les syndicats. Je pousse pour qu’on consulte même plus largement encore, dans l’esprit de favoriser des alliances. Des acteurs de la société civile, qui ne sont pas des spécialistes de l’éducation, peuvent avoir un regard très intéressant, très audacieux, très innovant, sur ces questions. Ils pourraient challenger ces projets, les faire mûrir, afin qu’on arrive à des expérimentations vraiment intéressantes pour les besoins de l’enfant. En fait, c’est ça qu’on essaie de faire depuis cinq ans dans le domaine de l’éducation : donner aux enfants qui en ont le plus besoin, comme avec le dédoublement des classes de CP, de CE1 dans les REP et les REP + (éducation prioritaire, ndlr). Là où on a besoin de renfort, en mettant des moyens supplémentaires.
« La société civile pourrait challenger des projets à l’école »
Il y a des effets pervers, à Marseille, avec des classes dédoublonnées dans le même bâti exigu, ce qui a aggravé la situation de promiscuité…
C’est vrai, c’est compliqué, mais c’est toujours le problème quand on a des politiques nationales qui impactent le territoire, de la même manière alors que la réalité de terrain n’est pas partout identique. Pour mener intelligemment une politique publique, il faut le faire dans la dentelle, au plus près de ceux qui connaissent le terrain et les besoins.
Les transports sont un autre gros dossier du plan « Marseille en grand ». S’agit-il d’accélérer la réalisation de ce qui est déjà prévu ou bien de rééquilibrer les projets ?
Le président a été clair. Après, les réponses de certains élus dans les médias n’engagent qu’eux. L’argent de l’État ira là où ça permet de faire progresser la ville et la métropole en termes de mobilité : notamment avec l’exigence forte de désenclaver les quartiers nord.
Êtes-vous favorable, par exemple, à une ligne de tram en direction de la Belle de Mai ?
Il y a une enveloppe budgétaire et des priorités à identifier. Je ne suis pas contre le fait de faire un tramway qui relie la Belle de Mai au centre ville, quartier effectivement enclavé et qui a besoin d’être mieux desservi. Donc oui, c’est intéressant. Mais est-ce que c’est prioritaire ? Je ne peux pas vous répondre aujourd’hui. Peut-être faut-il d’abord penser à désenclaver les 15e et 16e arrondissements, qui sont les moins bien desservis, plutôt que de faire une ligne de tram supplémentaire, que ce soit celle-ci ou celle en direction des Catalans ?
Assiste-t-on à une mise sous tutelle de la ville de Marseille et de sa métropole ?
Non, je ne vois pas ça comme une mise sous tutelle. C’est une manière de construire des partenariats, des collaborations, le mode de réponse le plus adapté aux défis que nous connaissons aujourd’hui. C’est plutôt une posture intéressante à la fois de la part de l’État et des collectivités qui sont demandeuses, et plutôt contentes de pouvoir travailler avec son renfort. Et pas seulement financier d’ailleurs : un renfort d’ingénierie également…
Comment surmonter le bras de fer permanent entre la métropole et Marseille ? En redonnant à cette dernière les compétences de proximité comme le maire le revendique ?
Le sens de l’histoire, c’est l’intégration métropolitaine, ça marche ailleurs, c’est important de pouvoir structurer un territoire avec une métropole solide, forte, bien construite, acceptée des citoyens métropolitains parce qu’ils en ont compris le sens. Aujourd’hui, le problème de la métropole, c’est qu’elle a été faite au forceps. Pour ne pas trop déplaire aux maires, on a fait une espèce de mille-feuille, avec des conseils de territoire donnant un pouvoir exécutif aux maires. Aujourd’hui, il va à la fois falloir réfléchir à faire remonter des compétences et à en faire redescendre d’autres. Les compétences métropolitaines, stratégiques, concernant les transports, la mobilité, le logement, doivent remonter. En revanche, les autres, celles qui nécessitent du cas par cas, en fonction des attentes, des besoins de chacun, doivent redescendre. C’est là où c’est compliqué, parce que tout le monde, chaque commune, n’a pas les mêmes attentes et les mêmes besoins en matière de compétences de proximité. Donc, c’est tout le travail de concertation mené en interne par Martine Vassal. Elle doit proposer un atterrissage. Qu’elle y arrive ou pas, il faudra de toute façon passer par la loi sur la décentralisation « 3DS » qui sera débattue en décembre. Les communes ont besoin de pouvoir agir en proximité, en reprenant la main sur des compétences, mais elles devront aussi pouvoir prendre à leur charge, les frais qui vont avec. Donc l’enjeu n’est pas de simplement dire « je veux récupérer la gestion de mes déchets », il faut avoir les moyens financiers aussi de le faire…
Faut-il faire sauter l’échelon des conseils de territoire ?
Ça ne sera pas le cas aujourd’hui, c’est prématuré. Tout se fera probablement à long terme dans le cadre d’une réforme plus complète de la métropole, en tenant compte d’une fusion probable avec le département. En tout cas, la réflexion a été amorcée en début de mandat. On n’est pas allé au bout, ce que je regrette à titre personnel. On aurait dû suivre le rapport du préfet Dartout (en 2019, ndlr) qui allait vers ça. Peut-être que la collectivité n’était pas mûre à cette époque-là. Néanmoins aujourd’hui, il n’est pas question de remettre en cause les conseils de territoire. Malgré leur présence – ou avec leur présence va-t-on dire – il faut arriver à structurer autrement la métropole pour qu’elle se concentre sur ses prérogatives : à savoir l’intérêt métropolitain des projets structurants pour l’ensemble du territoire et non par des fléchages ponctuels…
« La métropole doit retrouver sa souveraineté financière »
Que faire des millions d’aides aux communes versées par la métropole selon des logiques parfois clientélistes ?
Ces attributions de compensations ont été constituées, effectivement, pour ne pas trop froisser les maires au moment où on a créé la métropole. Donc, elles ne sont pas pensées et distribuées aujourd’hui en fonction de l’intérêt métropolitain. Les communes s’en servent pour améliorer leur fiscalité et travailler sur des projets qui ne servent pas l’intérêt métropolitain. Leur montant est bien plus élevé que dans d’autres métropoles françaises. Il faut avoir la lucidité de dire qu’elles n’ont plus vocation à être utilisées de cette manière, pour servir ces objectifs-là. Il faut que je sois précise, sinon on va me faire dire ce que je n’ai pas dit ! Il n’est pas question de supprimer ces attributions de compensations. Il faut juste qu’elles soient repensées pour atteindre l’objectif pour lequel elles sont faites. Donc il faut les redéfinir et peut-être les plafonner, les encadrer. L’enjeu derrière, c’est quoi ? C’est que la métropole retrouve une forme de souveraineté financière pour qu’elle puisse investir. Car si l’État arrive, abonde notamment sur la question des mobilités, il faut que la métropole soit elle-même en capacité d’investir aussi. Elle ne peut pas compter que sur un apport extérieur, elle doit pouvoir s’autofinancer. Pour y arriver, il faut qu’elle revoie sa propre gestion interne. C’est la feuille de route qui a été demandée par Emmanuel Macron à Martine Vassal.
Dans la panoplie des mesures de « Marseille en grand », le président a mis 500 nouvelles caméras de vidéosurveillance, dispositif dont ne voulait pourtant pas initialement, la nouvelle équipe municipale…
En fait, ce qui est important, c’est d’être assez souple et de faire évoluer le dispositif en fonction des besoins. C’est ce vers quoi on se destine aujourd’hui avec des caméras mobiles. Les caméras de surveillance sont critiquées lorsqu’elles sont fixes, car une fois qu’elles ont été identifiées, le problème se déplace ailleurs. Une caméra posée ne sert plus à rien. Là, l’idée, c’est d’être capable de travailler les caméras intelligemment dans le cadre d’un contrat sécurité intégré, que la ville de Marseille signe avec la préfecture de police. Il s’agit de travailler, main dans la main, sur les endroits où on met les caméras et voir ensuite comment elles peuvent être les plus mobiles possible pour que ce soit évolutif. J’ai plutôt l’impression qu’aujourd’hui, il y a un consensus sur le fait que c’est nécessaire, même aux yeux de la ville de Marseille.
Marseille est meurtrie par des règlements de compte liés au trafic de drogue. La réponse doit-elle être avant tout policière ?
Une première réponse, de l’ordre de la sécurité, est probablement la répression, avec le renfort de moyen pour démanteler les réseaux. Mais il faut travailler plutôt sur les causes, ce que fait le président avec « Marseille en grand », notamment sur l’emploi, en promouvant un carrefour de l’entrepreneuriat, une plate-forme unique pour les jeunes. Quand on n’a pas d’opportunités, de perspective, de rythme parce qu’on se lève à 14 heures et qu’on vit du trafic, on est exclu. Il faut remettre le pied à l’étrier aux jeunes en leur offrant des perspectives. C’est à nous d’aller les chercher. C’est ce qu’on appelle l’« aller vers » et sur cette question-là, c’est particulièrement important. C’est le devoir de l’État, des collectivités, d’aller chercher ces jeunes et de les accompagner par de la formation, par de l’insertion sociale et professionnelle. Notre engagement dès 2017, c’est de promouvoir des politiques publiques qui permettent à chacun de choisir ce qu’il a envie de faire. Tout le monde ne part pas avec les mêmes moyens, avec le même milieu, avec les mêmes dispositions. Tout le monde a des freins. Petit bout par petit bout, endroit par endroit, il faut les lever. À Marseille, trop de jeunes sont très éloignés de la vie en société. Il faut les ramener vers l’emploi, vers la formation.
Lorsqu’on vous situe sur l’aile gauche des marcheurs, cela vous agace ?
Pas du tout ! Pourquoi ça m’agacerait ? C’est vrai ! Ce qui ne veut pas dire qu’on ne peut pas travailler avec des gens qui sont plutôt de droite. Je viens d’une sensibilité de gauche, je ne peux pas dire le contraire. Je la cultive, j’en suis fière et je continuerai. L’idée du dépassement c’est de dire qu’il y a des idées bonnes partout, que l’on n’est pas sectaire, qu’on est capable de travailler ensemble même si on ne pense pas la même chose au départ, pour s’apporter des éléments, des idées, des perspectives. Donc c’est ce qu’on fait à la République en marche.
Y compris chez LREM, certains estiment pourtant que Macron a déporté sa politique à droite. Et vous ?
Je ne suis pas d’accord même si je constate, comme vous, que c’est ainsi que des gens perçoivent les choses. Énormément de mesures sociales ont été mises en œuvre dont on parle assez rarement. Au final, moi qui suis de sensibilité de gauche, je n’ai aucun regret par rapport à ce qu’on a fait. Je suis satisfaite du bilan. On n’a pas tout bien fait. Des choses doivent être mieux travaillées, doivent être prolongées. Un exemple des mesures dont on ne parle jamais : nous avons mis en place, en début de mandat, un grand plan de lutte contre la pauvreté. C’est inédit, ça n’a jamais été fait dans cette dimension-là. On a nommé dans chaque région des hauts-commissaires à la lutte contre la grande pauvreté, qui mettent en œuvre très concrètement et très localement des mesures touchant à la fois l’école, l’emploi, la santé, etc. Cela a un effet de levier énorme.
« ISF : Si ça ne marche pas, on arrête »
Mais en même temps, comme le souligne un rapport publié par un organisme d’évaluation rattaché à Matignon, les riches sont plus riches et les pauvres sont plus pauvres en France après la suppression de l’impôt sur la fortune…
Je n’ai pas lu ce rapport et je ne suis absolument pas dogmatique sur cette question. Ça veut dire que quand on a voté cette décision, je me suis dit : « Pourquoi pas ? », parce que ce n’est pas une suppression mais une transformation [L’impôt sur la fortune (ISF) a été remplacé par un impôt sur la fortune immobilière, ndlr]. La réforme avait vocation à libérer l’argent afin de pouvoir être réinvesti, pour que cela puisse bénéficier par effet de ruissellement aux plus fragiles. On vote, on évalue. Si ça ne marche pas, on arrête. Je n’ai absolument aucun état d’âme sur la question.
Vous voudriez qu’Emmanuel Macron revienne sur la suppression de l’ISF ?
Je ne peux pas dire aujourd’hui qu’il faut revenir dessus. Mais comme on l’a toujours dit – et on va le faire – il faut évaluer la suppression de l’ISF, mesurer si elle n’a pas eu l’effet escompté. Et si cette réforme n’a pas rencontré son objectif, il n’y a aucun souci pour moi à avancer l’idée qu’il faille revenir dessus.
Autre réforme contestée : celle de l’assurance chômage qui va faire baisser les allocations journalières de plus d’un million de salariés, ceux qui enchaînent les contrats courts… Une erreur ?
Les choses sont toujours plus complexes que la façon dont elles sont présentées. Il n’y a pas de perte dans le long terme. Cette réforme doit être mise en perspective avec celle sur la formation professionnelle tout au long de la vie. C’est un ensemble de mesures cohérentes et favorables à ceux qui cherchent un emploi. Il y a un accompagnement massif.
Comment « l’alliance » que vous revendiquez entre associations, entreprises, pouvoir public au service de l’intérêt général, peut-elle se faire si l’effort est toujours demandé aux plus défavorisés, en protégeant les premiers de cordée ?
Ce n’est pas ce qu’on fait. Vous m’avez « challengé » sur des exemples, notamment avec la transformation de l’ISF en IFI, qui est effectivement une mesure favorable aux premiers de cordée. En espérant qu’ils se saisissent de cette opportunité en investissant dans l’économie, pour que ça profite aux plus fragiles. Mais on a déjà mis en place des mesures qui profitent aux plus fragiles !
« C’est important de mieux valoriser le prix du travail »
Les chômeurs sont-ils fautifs ?
Il ne s’agit pas de montrer du doigt les chômeurs, de dire qu’ils sont fautifs de quoi que ce soit. Pas du tout. Il s’agit de faire en sorte que les gens préfèrent avoir un travail plutôt que de ne pas en avoir. C’est important de mieux valoriser le prix du travail. Ces mesures vont dans ce sens-là.
Parmi les grands textes débattus à l’Assemblée nationale, celui sur la prolongation de l’état d’urgence sanitaire et du passe sanitaire fait beaucoup débat. Pour vous, les libertés publiques ne sont pas menacées ?
Concrètement, avec les élections, on va rentrer dans une période où le Parlement ne va plus siéger à partir du mois de février. Nous serons aussi au cœur de l’hiver et on ne peut pas prendre le risque d’attendre qu’un nouveau parlement soit mis en place en juillet. Il s’agit de garantir au gouvernement la capacité à agir s’il y a besoin. Après, personne ne se satisfait d’être dans une crise sanitaire de cette envergure, ce qui impose des contraintes sanitaires qu’on connaît tous depuis deux ans. Aujourd’hui, on peut quand même se réjouir d’avoir retrouvé une forme de vie, de liberté, quasi identiques à notre vie antérieure. C’est grâce à la vaccination et au passe sanitaire qui permettent de retrouver nos vies culturelles et professionnelles. Donc si on a besoin d’outils pour maintenir cette situation-là, prenons-les. Votons-les. Personne n’a la volonté ni l’intérêt à faire perdurer un état qui ne se justifierait pas trop longtemps. Donc c’est plus de la prévoyance pour l’hiver que de la volonté de faire durer les choses trop longtemps.
Donc vous êtes toujours à l’aise dans vos baskets de marcheuse au sein du groupe LREM à l’Assemblée nationale, qui a pourtant perdu une partie de ses troupes, avec 44 députés déçus ?
Je suis fidèle à mes convictions et aux valeurs que je défends, et que j’ai envie de porter. Ce mandat m’a permis de les faire avancer. Donc je n’ai aucune raison de ne pas être satisfaite ou de vouloir tourner le dos à un groupe qui m’a fait confiance et qui me permet de travailler. Sur les sujets que je porte, comme celui des écoles à Marseille, je ne peux pas vous dire aujourd’hui que je n’aie pas été entendue et que les choses ne vont pas dans le bon sens.
« J’ai besoin de temps »
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur la politique que vous avez découverte de l’intérieur ?
Je comprends la frustration de certains députés face aux difficultés rencontrées. Je les ai vécues aussi, je les vis toujours. C’est notre quotidien. Mais si c’était un mandat simple, ça se saurait. C’est peut-être encore plus compliqué justement quand on n’a pas fait de la politique avant. Après, ça nous donne une fraîcheur, un regard sur les choses qui nous permet de garder du recul, une forme de virginité. C’est parfois frustrant, car le temps politique est long. Quand on est législateur, on structure l’avenir, mais la mise en œuvre concrète d’une loi peut tarder. Il faut du temps avant qu’elle ne soit promulguée, qu’elle soit mise en œuvre dans le territoire et qu’elle impacte concrètement le quotidien des gens. Il y a de l’eau qui coule sous les ponts. C’est parfois difficile d’expliquer ce qu’on a fait et de montrer en quoi ça va changer la vie. C’est un peu frustrant quand on a travaillé sur des postes plus opérationnels, où on avait l’habitude d’être utile très vite. Après, il y a la dimension très politicienne, partisane, des choses qui ne sont pas, pour tout vous dire, mon dada. Ce que j’aime, ce sont les alliances, c’est faire avancer les sujets, y compris avec des gens qui ne pensent pas comme moi au départ. C’est la seule chose qui m’intéresse.
Vous êtes partante pour un deuxième mandat ?
J’ai effectivement besoin de temps pour que les choses avancent. Donc, du coup, j’ai très envie d’un deuxième mandat. Après, il y a beaucoup d’étapes à franchir d’ici que la question des législatives se pose. Mais oui, parce qu’on a enclenché des trucs qui ne sont pas finis, j’ai bien envie de les terminer.
Propos recueillis par Michel Gairaud et mis en forme par Kellie Provost