Les pigeons et le général
La parole est à la salle. Un vieux colonel à la retraite prend le micro en premier : « Impeccable présentation. Mais il faut parler du problème des pigeons, c’est insupportable. Je crois qu’il faut être radical : plus de pigeons à Carpentras ! » Les joies de la politique locale… Parfaitement rompu à la com’, le général à la retraite Bertrand de la Chesnais, ancien numéro 2 de l’armée de terre, évite consciencieusement de répondre précisément aux questions du public.
Ce 15 octobre, il twitte (smiley à l’appui) cinq minutes avant de prendre la parole. En parcourant le fil du réseau social, on le voit au salon des brasseurs, au match du premier sport local, au motoball, sur le marché ou à Radio Courtoisie… Sa campagne, lancée en avril, bat déjà son plein. La tête de liste pour une « union des droites » à Carpentras (84) organise son 4ème « carrefour citoyen » dédié ce soir au cadre de vie, à l’environnement et à la propreté dans… une chapelle, celle des pénitents blancs. Des prérequis indispensables à sa marotte : l’ordre.
Tolérance zéro
90% de sexagénaires ou plus composent la centaine de personnes venues ce soir. Teint hâlé, cheveux grisonnant et costard gris impeccable, le général présente bien. Pendant près d’une heure, il déroule ses propositions à l’aide d’un Powerpoint : un arbre planté par chaque foyer, mise en place d’une brigade verte, des jardins partagés dans les quartiers, modification du plan de circulation, développement des pistes cyclables, « tolérance zéro » pour les « sauvages » qui « taguent, dégradent »…
Il présente d’entrée son rassemblement comme « sans étiquette » ou plutôt « avec toutes les étiquettes », veut « sauver Carpentras » avant de rappeler qu’il est soutenu par « Hervé de Lepinau, leader incontesté de la force politique la plus forte de la ville », le bien nommé (sans le nommer) Rassemblement national (RN). L’élu local brillera d’ailleurs par son absence. De fait, Bertrand de la Chesnais tente le rassemblement hybride de la « droite traditionnelle » des Républicains (LR) et de l’extrême droite avec le RN. Ce que s’interdit LR au niveau national malgré les souhaits de certains militants de terrain.
Rubicon
« La fois dernière, ça s’est joué à 300 voix… », maugrée Florence Bailly, militante Les républicains (LR) « depuis le temps du RPR », qu’elle regrette amèrement. Sociologiquement très à droite, l’ancien fief de Marion Maréchal lorsqu’elle était députée, est administré par la gauche depuis 2008. La faute aux divisions successives de la droite locale. Et cette fois encore deux listes de droite devraient s’affronter : le suppléant du député Julien Aubert, Claude Melquior, mènera une liste LR.
Ce mélange « fonctionne bien, assure Alain, le mari de Florence. De toute façon on ne peut pas gagner ici sans le RN… Et je pense que cela pourrait fonctionner au niveau national. Il y a une fracture chez LR entre cadres et militants sur la question. C’est pour ça que je suis ici ce soir. » Ils sont tous deux signataires, avec 11 autres « dissidents », d’une lettre ouverte à l’état-major des LR, réclamant l’annulation de l’exclusion de l’une des leurs, venue rejoindre dès le lancement de sa campagne de la Chesnais. Ils y insistent sur les « convergences » avec le RN malgré des « différences réelles »… « C’est vrai que pour l’instant on évite de parler des sujets qui fâchent, précise Florence. Ce sont les élections municipales et on partage tous la même volonté : remettre la ville sur la bonne voie. Pour cela il faut quelqu’un de fiable, honnête, avec de la poigne et qui peut rassembler ! »
« Le général, c’est pas n’importe qui quand même ! », constate Christian, le voisin du Ravi sur les strapontins de la chapelle. L’ancien haltérophile de haut niveau plutôt bonhomme, chef d’entreprise retraité, vote lui RN. « Quand on voit ce que prend comme coups la France… Il nous faut des gens qui ont des tripes. Je ne suis pas raciste hein !, insiste ce fils de harkis, Mais il faut respecter la laïcité, nous respecter. » Un autre monsieur est reparti sur l’histoire des pigeons. Juste avant que ne retentisse le bruit d’un bouchon de bouteille. Ouf ! À la soupe !