A Die, ça tourne rond !

Ça ne tourne pas rond dans la Drôme, le 18ème arrondissement de Marseille (le 17ème étant, vu le nombre de Marseillais au m2, Forcalquier). En témoigne ce tract, un luxueux « 4 pages » qui, le mois dernier, a annoncé la « rotation de la ville de Die ». Une rotation de « 38,6 degrés » dans « la nuit du 4 au 5 novembre » à « 3h57 du matin » d’après le « Bureau d’études des événements géotechniques singuliers » (BEGS). Un phénomène dû, à les en croire, à l’« affluence de masses semi-liquides ». D’où des « mesures de sécurité » : « Débrancher les appareils électriques », « scotcher chaque fenêtre », « museler les chiens », mais aussi « éviter les boucles d’oreilles et pendentifs » ou « fixer aux murs les objets, étagères, bibliothèques et meubles lourds ». Tout en se voulant rassurant ! Une rotation permet « dans la concertation citoyenne de co-construire le territoire », « d’envisager la circulation de manière plus fluide », de « changer ses habitudes et même de voisins »…
Des informations que l’on pouvait retrouver sur un site web donnant tous les gages de sérieux mais aussi sur un stand au marché. Une initiative, toutefois, à en croire une habituée de Die se partageant entre Drôme et Marseille, pas forcément du goût de tous, D’où des tracts d’un groupe « anti-rotation » et même un fanzine, « Boomerang dans ta face », « organe autonome de presse du Diois ».
A Marseille, le 5 novembre, parfois, les immeubles tombent. Mais Die n’a pas tourné. Un canular ? Robert Glissant, ou plutôt Mathurin Gasparini, préfère le terme de « mystification parce que la connotation est moins négative ». Derrière les pro et anti se cache en effet, nous explique-t-il, une compagnie de théâtre de rue basée à Crest, la compagnie ToNNe : « Ce n’est pas notre première rotation. On a déjà proposé la même chose à Valréas mais aussi à Marseille, en 2013, avec la rotation de la halle Puget ! A l’origine, c’était une envie plastique, celle de redessiner le plan d’une ville, notamment en traçant des lignes dans les rues. Mais, pour que les gens comprennent ce qu’il y a derrière, on a imaginé ce dispositif. » Et ça marche ! « Une partie des gens y croient. Voilà d’ailleurs pourquoi, le soir même où devait se produire la rotation, on est là pour expliquer qui on est, le pourquoi de cette proposition et inviter tout le monde au théâtre pour en débattre. »
Une ronde de mystification
L’idée, derrière, « c’est interroger le rapport à notre environnement. Il y a aussi une réflexion sur les médias, la communication. D’ailleurs, le site web, le tract, c’est un peu une revanche face à la communication institutionnelle, en utilisant les mêmes outils ». Et la compagnie d’égratigner politiques et urbanistes comme à Marseille en 2013 : « On a expliqué que c’était pour que la halle Puget s’ouvre davantage sur la place, afin d’attirer les touristes et chasser les dealers. »
Dans ce dispositif, la compagnie de théâtre a eu pour complice les médias locaux : « Certains, en nous ouvrant leur antenne, leurs colonnes, ont joué le jeu. Et cela a pu leur être reproché. Certains ont eu des retours pas forcément positifs parce qu’un média, c’est censé relayer des informations exactes. » Confirmation par Sylvaine Laborde, une des deux journalistes du Journal du Diois : « Ici, dans le Diois, on est sur des territoires avec des identités assez marquées. Voilà pourquoi il existe des journaux comme le nôtre. Le Journal du Diois existe depuis 1832, on sort régulièrement des informations avant Le Dauphiné Libéré. On est donc un peu une institution. Et si l’on continue à faire les poissons d’avril, là, ce n’était pas la période. Alors des gens ont été surpris qu’on fasse une interview sans vendre la mèche. Parce que Le Dauphiné, lui, l’a fait quelques jours avant que la compagnie et le théâtre ne s’expriment. Après, ce qui est un peu dommage, c’est que ce sont toujours un peu les mêmes qui s’interrogent face à une info tandis que d’autres la prennent pour argent comptant et s’inquiètent. »
De fait, dans le Diois, les médias, ça ne manque pas. Outre Le Crestois, l’équivalent du Journal du Diois à Crest (où officie notre ancien collègue du Ravi, Clément Chassot), le territoire compte plusieurs radios associatives (notamment RDWA). Et des publications plus engagées : Vulvet Underground, une revue féministe, un fanzine intitulé Tâche d’encre et Ricochets, « média de contre-pouvoir, participatif et d’expression libre dans la Drôme » qui est dans le viseur des autorités pour avoir relayé la tribune d’un collectif solidaire des actions de sabotage contre des installations de téléphonie mobile.
C’est vrai que, comme le note Mathurin de la compagnie ToNNE, « la vraie différence que l’on note aujourd’hui, c’est l’importance que prennent les réseaux sociaux. Là, dès qu’on a commencé à parler de rotation, il y a une page Facebook des opposants à la mairie, intitulée “La vie à Die, sous mes fenêtres” et qui nous sont tombés dessus de manière particulièrement virulente. Ce n’était pas le cas auparavant… » Pas de doute, à Die, comme ailleurs, ça ne tourne pas toujours rond !
Plus d’info sur geotech-singuliers.com et le site de la compagnie, groupetonne.com