Satire à vue...
Sauf si, séduits par notre révolution numérique, vos nouveaux abonnements démentent rapidement la tendance, le Ravi est en passe de réaliser le même exploit que Charlie Hebdo : revenir, comme notre controversé confrère et comme l’a mis en lumière la Lettre A, au niveau de ventes d’avant les attentats ! Fin 2014, L‘Huma se demande : « La presse satirique va-t-elle disparaître ? » En interrogeant Charlie, Siné Mensuel et le Ravi. Quelques mois plus tard, massacre à Charlie. Les ventes de l’hebdo, exsangue avant d’être décapité, explosent. Dans le Sud-Est, le lectorat se dit qu’il est aussi un peu « Ravi » et notre mensuel double ses ventes en kiosques comme ses abonnements. Mais, depuis, les nouveaux convertis se sont pour la plupart éloignés…
Comme pour Charlie qui, à en croire la lettre sus-citée, même si le titre reste bénéficiaire (après avoir été dans le rouge en 2017), a vu ses ventes s’envoler en 2015 – plus de 63 millions d’euros – pour retomber en 2018 à environ 8 millions. En tournée pour présenter Une minute quarante neuf secondes, son livre publié chez Actes Sud sur les attentats, Riss ne s’étend guère. « C’était logique et attendu. La situation était exceptionnelle et anormale, les ventes aussi et nous savions que cela ne durerait pas », nous répond le directeur de la rédaction. Qui se contente d’indiquer que l’hebdo s’écoule à « 60 000 exemplaires » et que le coût des dépenses de sécurité est de « 1,5 millions d’euros par an ».
Le temps des cathédrales
Patronne de Siné Mensuel mais aussi désormais de Siné Madame, Catherine Sinet s’est fendue elle, il y a deux mois, d’un appel qui commence ainsi : « Ils ont tant et tant aidé Notre Dame… Nous, on ne brûle pas mais y a le feu ! » Et d’appeler, une fois de plus, ses lecteurs à l’aide. Soupir : « Dans la période que nous traversons, normalement, des titres comme les nôtres devraient être en pleine forme. Mais voilà, aujourd’hui, on trouve plus de monde pour sauver une cathédrale que pour venir en aide à des journaux. Ça dit tout de notre époque ! »
De quoi faire bondir Riss : « Les titres de presse ne datent pas du Moyen-Âge ! Ils n’ont pas des charpentes en bois du 12ème siècle. Les journaux sont des entreprises, non des monuments. Et doivent être gérés comme tels. » Pour lui, « la situation de la presse satirique est celle que connaît la presse en général, à savoir la baisse des ventes en kiosques. Il faut trouver d’autres moyens, notamment le numérique pour développer ses contenus. »
De son côté, lancé en 2008, Siné Mensuel, qui se veut « sans pub ni mécène », revendique une diffusion oscillant autour de 15 à 16 000 exemplaires « mais il nous manque toujours 3 000 lecteurs », déplore Catherine Sinet. Ce qui n’empêche pas ce titre de « payer tout le monde. On a six salariés. Quant aux pigistes, le feuillet est à 100 euros. Et le dessin à 120 ». Et le titre de faire des petits avec le lancement, récemment, de Siné Madame : « Les derniers chiffres nous laissent un peu dubitatifs parce qu’après un démarrage en fanfare, on est vite retombé. Peut-être parce que suite à un premier numéro très déconnant, on est peut-être devenu un peu trop sérieux. »
Blagues les plus courtes
Pourtant, pour celle qui se demande « s’il va falloir réduire la voilure et comment », pas question de déconner avec l’importance de la presse : « Cela reste le 4ème pouvoir. Et quand on voit des gros industriels ou des politiques s’en emparer alors que ce ne sont pas des activités rentables, on sait bien que ce n’est pas pour rien. Après, on se prend la crise de la presse et l’avènement du tout gratuit de plein fouet. Et la presse satirique peut-être plus que les autres. Schématiquement, ce sont des titres qui n’ont jamais duré très longtemps. Mais si cela veut dire que les blagues les plus courtes sont les meilleures, c’est d’un triste ! »
D’aucuns se consoleront en voyant que Le Canard Enchaîné, après une très belle année 2017 dopée par la présidentielle et l’affaire Fillon, pique lui aussi du bec avec des ventes en baisse de 15 %, tout en réalisant encore de confortables bénéfices qui, quoiqu’en repli de près d’un tiers, dépasse toujours, avec 340 000 exemplaires écoulés chaque semaine, le million d’euros.
La tendance au repli est générale et dépasse nos frontières Le New York Times a décidé cet été de faire disparaître le dessin de presse de ses colonnes. À leur décharge, ils ne sont pas les seuls. Puisque LCI, après avoir complaisamment laissé libre antenne à Éric Zemmour, aurait consciencieusement zappé les dessins « trop acides » d’Erwan Terrier, à en croire StreetPress. Le dessin de presse n’est plus tendance. Et économiquement parlant, c’est pas toujours drôle d’être des p’tits rigolos !