Fils de pub
ll y a des secrets bien gardés. Parmi les quinze principales collectivités de la région sollicitées par mail et téléphone sur leurs dépenses de communication dans les médias de Paca, une seule a répondu (1). Il s’agit de la moins riche, le Conseil départemental des Alpes-de-Haute-Provence. Selon ses chiffres, ses efforts en pub se limitent à 3 500 euros répartis entre La Provence, Objectif Méditerranée et Haute Provence Info depuis septembre dernier pour une campagne sur son « plan collèges » et 75 000 euros en moyenne chaque année pour communiquer sur les expositions des deux musées départementaux.
Interrogés à l’occasion de leurs vœux à la presse sur la possibilité de rendre transparents ces budgets, Benoît Payan et Renaud Muselier ont, eux, soufflé le chaud et le froid. Pour le même résultat. Si le maire PS de Marseille a publiquement accepté le principe, il ne l’avait toujours pas mis en application au moment du bouclage du Ravi. De son côté, le président divers droite (ex-LR) de la Région Paca a louvoyé. « Ce qui m’intéresse, c’est la diversité de la presse », a-t-il insisté avec en tête la bataille autour de la reprise de La Provence. Avant de prendre exemple de La Marseillaise : « J’ai apporté ma caution à [sa reprise], mais je ne suis pas sûr de vouloir dire ce que ça a coûté. » On n’en saura pas plus. Dommage, parce que Renaud Muselier a le porte-feuille le plus fourni : 6,5 millions d’euros par an en moyenne entre 2018 et 2020 pour sa communication locale et nationale selon le compte 6231 du compte administratif du Conseil régional. Un compte qui rassemble les achats d’annonces et insertions des collectivités.
Générosité bien ordonnée
Le plus généreux en volume, l’ancien dauphin de Jean-Claude Gaudin, est le plus radin en euros par habitant. Avec 1,28 euros/an/habitant, il est loin derrière Christian Estrosi et ses 6,19 euros (2,5 millions d’euros par an en cumulant ville et métropole de Nice). Viennent ensuite Hubert Falco et ses 3,23 euros (1,2 millions par an pour la ville et la métropole de Toulon), Martine Vassal et ses 2,81 euros (5,5 millions d’euros par an en cumulant Département des Bouches-du-Rhône et Métropole Aix Marseille Provence) et la ville de Marseille avec 2,63 euros/an/habitant (2,3 millions d’euros par an sous l’ère Gaudin).
Soit un total de dépenses d’annonces et insertions pour la Région, les six Départements, les villes d’Avignon, Marseille, Nice et Toulon, les trois métropoles et la communauté d’Agglo du Grand Avignon de 63,48 millions d’euros entre 2018 et 2020. Ou 21,15 millions d’euros par an en moyenne, l’équivalent sur la période d’un lycée et demi, de quatre collèges ou de six groupes scolaires. A titre de comparaison, une douzaine de médias associatifs des Bouches-du-Rhône a touché moins de 800 000 euros sur la période en subventions publiques de la Région, du CD13 et de la ville de Marseille…
Si les collectivités locales sont pudiques, les médias jouent eux volontiers les vierges effarouchées sur la question. Là encore, leurs comptes de résultats sont précieux. Le groupe Nice Matin (Nice Matin et Var Matin) affiche 27 millions d’euros de publicité commerciale et institutionnelle en 2019 (2), contre 22 millions pour La Provence. Soit un tiers des recettes du premier et un quart de celles du second. Sur les quatre premières semaines de janvier, l’étude des éditions Toulon-Hyères de Var Matin, Nice-Cagnes-Vence de Nice Matin, Marseille de La Provence et l’édition de La Marseillaise cela représente 60 publicités et annonces légales de collectivités locales pour le quotidien de feu Bernard Tapie, une trentaine pour chaque titre de Nice Matin et quatorze pour le quotidien communiste.
« Les fonds peuvent êtres coupés »
Tout nouveau directeur de La Marseillaise, Léo Purguette est resté très évasif sur leur part budgétaire. Si, jusqu’en 2016, ses comptes affichaient deux tiers de revenus générés par la pub contre un tiers pour les ventes du journal, le journaliste assure qu’un équilibre existe désormais entre les différentes recettes : « On est à un tiers de vente, un tiers de publicité et un tiers d’événementiel. » Tout en regrettant : « Les ressources issues des collectivités ne sont jamais suffisantes. »
Contactée, la direction de La Provence n’a de son côté pas plus répondu à notre sollicitation qu’à nos questions. En interne, on assure cependant que les publicités institutionnelles représentent 20 % des recettes publicitaires globales des dix éditions dans les Alpes-de-Haute-Provence, les Bouches-du-Rhône et le Vaucluse. Selon la même source, la part des collectivités locales et leurs satellites (structures culturelles, office du tourisme, etc.) participent à 90 % de ces 20 %. En 2021, cela représente plus ou moins 3 millions d’euros des 18 millions de pub récoltés. Selon notre interlocuteur, Martine Vassal est le premier annonceur, devant la Région et la ville de Marseille. En janvier, on trouve ainsi à foison des annonces légales de la Métropole et des pubs pour le Salon Nautique de La Ciotat (dont la collectivité est partenaire).
Chiens de garde
Une situation qui n’a pas été sans conséquences. « Ça n’est pas essentiel dans nos revenus, mais ça n’est pas négligeable non plus », explique notre contact à La Provence. Et de détailler : « Les relations ne sont pas évidentes, comme parfois avec la Région en ce moment. Le degré d’investissement des collectivités est variable et nous sommes assujettis à leur bon vouloir. Si une phrase passe mal, les fonds peuvent être coupés. »
Autre cas de figure : la bienveillance éditoriale avec les financeurs. Sur la côté d’Azur, la publication, il y a tout juste un an, d’une pub pleine page dans Nice Matin d’un classement bidon plaçant Nice « ville la plus sûre » de France, avec force commentaires du maire Christian Estrosi, en a amusé plus d’un. Il y a aussi les éditos enflammés de Franz-Olivier Giesbert dans La Provence pour Martine Vassal et « le pacte » scellé en 2018 entre cette dernière et la direction du quotidien révélé par Mediapart. Ou encore le silence de Var Matin sur les soucis judiciaires d’Hubert Falco, quand ils ne sont pas maquillés comme en 2019 (le Ravi n°189). « Var Matin ne sort rien, Il ne fait que suivre », s’agace-t-on dans l’opposition du maire de Toulon.
« La dépendance structurelle des médias locaux, en particulier de la presse écrite, à l’égard des collectivités locales vient du fait de la concentration des médias, analyse Mathias Reymond de l’association de critique des médias Acrimed. Aujourd’hui, il n’y a plus qu’un quotidien par région, ce qui accroît sa dépendance aux annonces et publicités des collectivités, puisque celles-ci ne peuvent plus passer que par lui pour communiquer. » Et l’économiste et enseignant à l’Université de Montpellier de poursuivre : « la perte de ces recettes est difficilement compensable dans un contexte de la crise de la publicité. » CQFD ?
1. Sans réponse de la part des collectivités d’ici le 12 février, soit un mois après nos demandes, nous nous réservons le droit de saisir la Commission d’accès aux documents administratifs. Puis le Tribunal administratif.
2. Dernière année connue pour La Provence et La Marseillaise.
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