Zizanie à Zinzine ?

février 2022 | PAR Sébastien Boistel

La notion d’indépendance questionne aussi les médias pas pareils. Avec des contrastes parfois étonnants. Comme entre la très engagée Radio Zinzine et sa cousine aixoise, un peu plus sage.

Coréalisateur des Nouveaux chiens de garde, Gilles Balbastre a le sens de la formule. Et sait le prix de l’indépendance. S’il lui arrive de cofinancer avec la CGT certains de ses documentaires, pour financer la suite, il lance en 2019 une souscription. Mais ne récoltera que 30 000 euros sur les 100 000 espérés. Pas question d’abandonner. Il lance un deuxième crowdfunding. Symbolique, son documentaire s’intitulera Ceux qui tiennent la laisse.

La longueur de la laisse : une question qui agite le tiers secteur médiatique. Avec pour emblème un chien rouge, CQFD n’accepte ni pub ni sub’ mais bénéficie de contrats aidés et de l’aide de la fondation Un monde par tous. Conséquence de ce modèle tout en frugalité : un certain turn-over. A l’autre bout du spectre, tandis que le ministre de l’Intérieur veut interdire le site Nantes Révoltée, on voit postuler au Fonds de soutien aux médias d’information sociale de proximité des médias qui, lorsqu’ils ne font pas dans la prestation commerciale, bénéficient de confortables subsides des collectivités…

Cette diversité, on la retrouve chez les radios associatives. Si elles bénéficient du financement le plus ancien et le mieux structuré – le Fonds de soutien à l’expression radiophonique (FSER) – cela n’empêche pas la précarité, comme évoqué lors des 40 ans de Radio Zinzine, les « portes ouvertes » cet été à Limans (04) ayant vu la radio s’interroger sur son rôle. Une discussion qui a surtout tourné autour de la crise sanitaire et son appréhension à Forcalquier, la radio étant née dans le prolongement de la communauté Longo Maï. Mais l’antenne se décline sur d’autres territoires. Comme à Aix-en-Provence depuis 1997.

« Ce qui nous lie, c’est faire un médias indépendant » Alex Robin

Or, si Zinzine se veut « une radio d’opinion, de caractère », sa déclinaison aixoise est bien plus sage. A l’origine ? L’association Aix Ensemble qui rassemble des militants de la Ligue des droits de l’Homme et de la Cimade. Les premières années, l’antenne aura droit à des emplois aidés et même au soutien de la Région et du Département. Et sera même hébergée dans les locaux du Conseil général. Ce que confirme Fabrice Eboli, le salarié « historique » de la radio : « C’est un élu du PS qui nous a dit “allez-y !” Il nous a même fourni les clés ! »

Ça ne durera pas. Coupure d’électricité, expulsion, procédure… La radio sera SDF en 2012-2013. Avant d’atterrir au « patio du bois de l’Aune », des locaux municipaux gérés par la communauté du pays d’Aix (CPA). En clair, la droite ! Lors de l’inauguration, Sophie Joissains (alors sénatrice et pas encore maire) mettra en avant la « mission de service public dans le cadre de l’information culturelle » de la radio.

L’antenne serait donc moins « politique » ? « Au regard de la grille, c’est pas faux, admet Fabrice. 95% des émissions sont culturelles ou musicales et on a qu’une heure d’info par semaine. A Limans, ils se disent “anarcho-bucoliques”. Nous, cela va de l’extrême-gauche au centre. » Ajoutant : « On sait qu’en nous hébergeant, pour la droite, il y a derrière un calcul politique face à la gauche qui, d’une certaine manière, nous a lâchés. Mais on a rappelé qu’on était une radio libre. Et on a traité toutes les affaires concernant les Joissains. » Sébastien Aublanc, qui s’occupe des infos, assure : « On ne m’a jamais dit “Ne parle pas de ça”. Et à chaque élection, on interroge tout le monde. Là, du côté des Joissains, personne n’a voulu venir. Ce que l’on a indiqué à l’antenne. » Mais, d’après certains, sous couvert d’anonymat, cela pourrait être plus insidieux : « Comme une invitation à la prudence. On est presque dans le registre de l’autocensure. »

Commentaire d’Alex Robin, figure historique de Zinzine : « On a des identités différentes et des lignes éditoriales complémentaires. Nous, on se définit comme anar alors qu’à Aix, on a affaire à une gauche plus classique. Mais, lors de l’inauguration des locaux aixois, si l’on a rappelé qu’on n’était pas du même bord que Sophie Joissains, on a dit qu’il y avait entre nous un respect républicain. Après, la situation conduit-elle à des pressions, à de l’autocensure ? Je ne crois pas. Il y a des sensibilités différentes et on ne règle pas nos désaccords à Limans comme à Aix. Mais ce qui nous lie tous, c’est faire vivre un média indépendant. » Alors que semble vouloir se mettre en place une remise à plat du fonctionnement de la radio, gageons que nos collègues liront avec attention une étude récente qui rappelle « l’utilité sociale » des radios libres. A Aix comme ailleurs !