Noir sur jaune
Lors des dernières assises du journalisme à Tours, Denis Rougé, de l’association d’éducation aux médias Les Pieds dans l’Paf, avait fini par exploser face aux débats sur les gilets jaunes en se croyant devant un plateau de « BFM : que des experts, des journalistes et pas un gilet jaune ». Il y avait toutefois un représentant de Vécu, un site web (et une page Facebook) se présentant comme le « média des gilets jaunes ».
Or, ce n’est pas un mais une kyrielle de médias que ce mouvement social a généré ! Des pages Facebook, des sites web et une certain nombre de fanzines. Comme Ahou (« le journal des gilets jaunes qui ont de l’entregent »), Jaune (« le journal pour gagner ») ou encore Plein le dos, un magazine « jaune pétant » qui, comme le livre éponyme à paraître (*), donne à voir les inscriptions et dessins qui ornent le gilet de ceux qui battent le pavé depuis maintenant plus d’un an.
Décalage médiatique
Venue de Toulouse, celle qui le distribue sur Marseille, c’est Anouk. Elle en connaît bien l’historique : « À l’origine, il y a une militante qui, en voyant la publication de photos de dos de gilets jaunes, a souhaité les compiler. Sur le web puis à travers la publication de brochures. » Si les ventes en manif ont permis de financer des caisses de soutien aux militants blessés et/ou poursuivis, le but est autant de « garder une trace du mouvement – il y a une dimension « mémoires des luttes » – que d’aller à l’encontre de la manière dont les médias présentaient les gilets jaunes ».
Une problématique à laquelle Anouk est d’autant plus sensible qu’elle a été elle-même journaliste : « Il y a une telle frustration, un tel décalage entre ce qui se passe et ce qui est relaté – notamment sur les chaînes d’information en continu – que les gens ont eu besoin de montrer ce qu’ils vivaient. . Elle se souvient encore avoir appris sur le tas à monter un « live Facebook » mais aussi de gilets jaunes qui, en manifestation, distribuaient « des feuilles A4 agrafées. Il y a un vrai besoin d’expression ». Et une réelle défiance à l’égard des médias traditionnels…
Si l’association de critique des médias Acrimed a largement documenté le traitement médiatique du mouvement des gilets jaunes, « en particulier la question des violences policières, on ne s’est pas penché en tant que tel sur les médias issus du mouvement », reconnaît Alain Geneste. Pas plus que « Camille », des éditions Niet, qui préparent un ouvrage collectif sur « la révolte des gilets jaunes ».
Rond-point en ligne
Il n’en connaît pas moins bien la production médiatique du mouvement : « Il y a bien évidemment des petites feuilles locales. Et des journaux de militants essentiellement consacrés aux gilets jaunes. Mais ce qui caractérise le mouvement, c’est l’usage d’internet et des réseaux sociaux. Cela a commencé sur Facebook, avec des groupes plus ou moins importants, plus ou moins fermés où tout se passait du côté des commentaires, avec de véritables débats. Et depuis, on a vu émerger des pages spécifiques, comme celle de Fly Rider, ou Révolution Permanente, Nantes révoltée… »
L’intérêt de croiser les sources
Des pages dont l’audience dépasse la centaine de milliers de personnes ! Pas étonnant que des sites comme RT fassent de la question des gilets jaunes une rubrique en tant que telle. Ou que Fly Rider ait rejoint QG, le site web lancé par Aude Lancelin, l’ancienne directrice du Média. Et si l’on trouve des plate-formes qui agrègent des contenus venus d’horizons très divers, comme le note « Camille », « il y a des pages très pointues comme “Le nombre jaune” dont l’objet est de compter le nombre de personnes mobilisées. Et ce sont les chiffres les plus sérieux que l’on peut trouver ! Sur la manifestation du 5 décembre, par exemple, les chiffres les plus bas, ce sont ceux de la police, les plus hauts, ceux des syndicats. Et les plus proches de la réalité, ceux du “Nombre jaune”… »
Et de conclure : « À lire la presse locale, comme La Provence ou La Voix du Nord, on peut avoir une idée de ce qui se passe ici ou là. Mais ce n’est qu’en allant sur ces sites ou en lisant ces magazines que l’on peut comprendre les tenants et les aboutissements d’une action, d’un blocage. » De l’intérêt de croiser les sources…
*) Plein le dos, 365 gilets jaunes, novembre 2018 – octobre 2019, à paraître le 16 janvier aux éditions du bout de la ville (20 euros)