« Aidez-nous à relever ce pari impossible ! »
le Ravi : Comment définir la diffusion du Ravi en quelques chiffres ?
Michel Gairaud : le Ravi, c’est un tirage qui peut monter jusqu’à 5 000 exemplaires. Côté ventes, c’est un maximum de 2 000 exemplaires vendus chaque mois en incluant nos 800 abonnés. Il faut rapprocher ces chiffres avec d’autres : nos 50 000 visiteurs uniques par mois sur le www.leravi.org où tous les contenus sont gratuits. Nous communiquons les vrais chiffres, contrairement à la plupart des journaux. Il faut aussi savoir les relativiser. Un numéro du Ravi est pris en main par au moins trois personnes. Il est donc lu par au minimum 6 000 personnes. Environ 10 000 lecteurs différents achètent, une fois l’an, un exemplaire du mensuel. L’enjeu, c’est de les fidéliser.
Est-ce suffisant pour financer votre rédaction ?
Malheureusement, les ventes n’ont jamais couvert nos coûts de parution. Notre force depuis onze ans, c’est un modèle économique mixte, celui d’un projet qui s’inscrit dans l’économie sociale et solidaire, avec du bénévolat, une gestion désintéressée dont la finalité n’est pas la recherche du profit, avec des ressources propres permises par la vente du journal. Notre force, c’est aussi celle d’une association qui intervient dans différents domaines, mène des actions éducatives dans des collèges, des lycées. C’est celle d’une rédaction qui s’est projetée en éducation populaire avec des projets de journalisme participatif, afin de faire émerger une expertise citoyenne et de faire entendre une parole peu ou pas relayée.
Un chiffre interpelle : vous annoncez une subvention à la baisse de 90 % en 2014 du côté du Conseil général des Bouches-du-Rhône. De quoi s’agit-il ?
Le département des Bouches-du-Rhône accorde en théorie aux « médias associatifs » une aide. Elle était pour nous de 35 000 euros en 2012, de 15 000 euros en 2013. Elle plafonne à 0 euro en 2014. Seul demeure dans nos comptes provenant du CG 13 une ligne de moins de 4 000 euros pour des interventions dans les collèges. Alors que notre demande a bien été enregistrée et validée par les services, cette année elle n’a même pas été présentée au vote. Et personne ne répond à nos questions sur le pourquoi du comment d’un pareil blocage.
Y aurait-il un lien entre vos multiples enquêtes sur le clientélisme en Paca et les nombreuses affaires pour lesquelles Jean-Noël Guérini, le président du Conseil général des Bouches-du-Rhône, est mis en examen ?
Comme je suis journaliste, je n’avance que des propos vérifiés. Je ne peux pas prouver que Jean-Noël Guérini, qui incarne certes jusqu’à la caricature ces barons locaux régnant sur des clientèles, a décidé de couper les subventions parce que notre journal lui déplaît. Cependant, comme je suis journaliste, j’observe que depuis ses mises en examen, il est extrêmement chatouilleux avec la presse. Il a privé par exemple La Provence d’importants budgets publicitaires suite à la parution d’articles le concernant. Il est donc assez logique de penser qu’il y a un rapport de cause à effet entre la liberté de ton qui est la nôtre et le traitement de nos demandes de soutien.
Le Conseil régional aussi a baissé ses subventions…
Oui, la baisse s’élève à 44 % cette année. Depuis notre placement en cessation de paiement, la Région semble regretter de ne pas avoir mieux accompagné notre association. Le dialogue n’est pas rompu avec le CR sur l’intérêt des « médias citoyens » et sur le rôle que joue le Ravi dans leur structuration. Mais comme d’autres institutions, comme l’État, les pouvoirs publics peinent à penser la spécificité de la « presse pas pareille », en dehors des radios associatives identifiées par le législateur. Et en même temps, nos impôts financent des aides à la presse absurdes et dispendieuses dont bénéficient des tas des titres commerciaux appartenant à des groupes comme Dassault, Lagardère, et consorts…
Le choix de demander des subventions institutionnelles, et d’en dépendre, n’est-il pas contradictoire avec votre défense d’un journalisme indépendant ?
L’argent des collectivités territoriales n’est qu’un morceau du puzzle de notre financement. Nous en dépendons, bien sûr, mais nous n’en sommes pas dépendants. Notre ligne éditoriale en est la preuve permanente. Nous sommes allés chercher du soutien auprès de fondations. Nos difficultés sont surtout liées à nos ventes qui ne progressent pas assez vite, au choix que nous avons fait de ne pas jongler, par exemple, avec des emplois précaires et aidés. La presse indépendante a besoin d’être aidée. Le paradoxe n’est qu’apparent. Le devoir d’informer et le droit d’être informé, dont parle notre Constitution, doivent-ils relever d’une seule loi, celle du marché ? Le réseau des librairies indépendantes, celui des salles de cinéma Art et Essai, les services rendus dans les centres sociaux, devraient-ils eux-aussi se passer d’argent public ? Non, je ne le crois pas… Entre un service public de l’information, légitime, et le secteur marchand, il existe un espace pour des médias comme les nôtres, associatifs, coopératifs, à gestion désintéressée, investis dans des actions citoyennes.
Pourquoi Bernard Tapie est-il à vos yeux un repoussoir ?
Propriétaire de La Provence, de Corse-Matin, maintenant « homme fort » de Nice -Matin et Var-Matin puisque sans son appui financier la coopérative des salariés n’aurait pas pu voir le jour : Bernard Tapie met en place un nouveau monopole régional (lire page 12). Cet homme, un affairiste lesté par de nombreuses casseroles judiciaires, incarne à lui seul les liens complexes et incestueux entre la politique, l’économie et la presse. Et il déteste les journalistes !
A quoi va ressembler le Ravi dans les prochains mois ?
Nous allons devoir passer de 7 salariés (5,5 équivalents temps plein) à seulement deux permanents à plein temps. Des journalistes vont être renvoyés à la pige. Nous allons éditer un journal à la pagination réduite en nous efforçant de ne pas renoncer à notre ambition éditoriale. Il s’agit de gagner du temps pour mobiliser les gens en leur expliquant : si vous estimez qu’il faut un journal pas pareil en Paca, que le pluralisme ne peut se réduire à Bernard Tapie, il faut nous envoyer un signal fort.
le Ravi a donc aligné jusqu’à 7 salariés, dont 6 journalistes, et n’a jamais employé un commercial. Est-ce une erreur ?
On ne vend pas un Ravi comme on diffuse un magazine sur papier glacé dédié aux sports de glisse. Ce n’est donc pas un commercial classique qu’il faut pour un journal comme le nôtre. Mais oui, notre priorité va être de travailler avec rigueur sur un nouveau modèle économique. Nous avons aussi une conviction. Nous ne nous en sortirons pas seuls. Nous devons poursuivre notre travail pour nous mettre en réseau et mutualiser nos compétences. Les télévisions participatives, les radios associatives, les journaux « pas pareils », associatifs, coopératifs, citoyens, doivent apprendre à mieux s’entendre pour mieux se faire entendre. C’est le sens de la création d’une association comme Médias citoyens Paca à laquelle nous avons contribué cet été.
Quel serait pour vous le mot de la fin ?
Ce sera une invitation au commencement. Notre pari de faire vivre ce journal, il était impossible à tenir durant onze ans. Ce que l’on veut réussir dans les prochains mois n’est toujours franchement pas raisonnable. Et c’est précisément pour cette raison qu’il faut nous aider à relever ce pari. On est dans un sale moment. Et je ne parle pas seulement de la trésorerie du Ravi, je pense à tout le secteur associatif qui vacille, à ce qui s’exprime dans les urnes élections après élections. Nous sommes dans un moment de découragements, de défaites. L’heure est plus au repli qu’à l’offensive. Pourtant, on peut y arriver. En se regroupant, on a une force considérable qu’on n’imagine pas. En fait, tout va dépendre, et c’est heureux, de nos lecteurs et de nos futurs lecteurs. S’ils nous suivent, si les abonnements se multiplient, on va se secouer, trouver des solutions, on franchira les obstacles financiers, administratifs et juridiques… Et pourquoi pas 5 000 abonnés au Ravi d’ici six mois dans une région qui compte 5 millions d’habitants ?
Propos recueillis par Rafi Hamal et mis en forme par Laeticia Pepe