Du poids des urnes et des plumes…
Il n’y a pas que dans la presse « très » pareille que les liens entre journalisme et politique interrogent. Oubliez Jean-Michel Baylet, homme politique et patron de La Dépêche du Midi et de Midi Libre. Ou Laurent Joffrin qui a enfin quitté Libé pour relancer, avec « Engageons-nous », la social-démocratie en France. Le plus emblématique, c’est François Ruffin, patron de Fakir ET député La France Insoumise. Si le journal dit n’être « lié à aucun parti », il fait la part belle aux activités de l’élu. Une « personnalisation » assumée par Ruffin (1). Mais, au sein du tiers secteur médiatique, il n’est pas le seul à avoir quelque responsabilité.
Directrice de publication de L’Âge de faire, journal consacré aux alternatives écologiques, Lisa Giachino est élue à Château-Arnoux-Saint-Auban (04) : « D’opposition ! Et sans lien, contrairement à ce qui a été écrit, avec LFI. Si je participe aux conseils municipaux et si l’envie est d’impliquer au maximum les citoyens, je n’exerce pas le pouvoir. Et comme dans le mensuel, je ne traite jamais de sujets liés à là où je vis, je n’ai pas ressenti le besoin d’avertir les lecteurs. Mes collègues, eux, sont au courant. On est une coopérative. Mais les questions que ça pose, c’est moins vis-à-vis du journal – dont les engagements prolongent le mien – que du lieu que l’on va ouvrir, la « Maison commune ». Vu ma position, ça peut jouer sur la relation avec les élus. » Pour elle, « être journaliste, ça ne veut pas dire être neutre ou s’interdire tout engagement. Mais ça nécessite d’être honnête. Dire d’où l’on parle. Évoquer une institution où l’on est élu sans l’indiquer, ça poserait question ».
Implications et distances
Cet été, Agnès Freschel, la fondatrice du magazine culturel du Sud-Est Zibeline, se fend d’un article relatif à la réélection de la chef de file de la droite à la tête de la métropole titré « Pourquoi la présidence de Martine Vassal est illégitime ». Sans préciser qu’elle est elle-même élue du Printemps marseillais à la métropole et à la mairie des 1er & 7ème arrondissements. En 2014, à l’occasion de sa 1ère candidature à la mairie (pour le Front de gauche), elle avait annoncé dans un édito se mettre en retrait du magazine car il lui semblait « difficile et peu éthique de continuer à écrire dans ces conditions ». Explications de notre collègue : « Aujourd’hui, je ne suis plus journaliste. J’ai rendu ma carte de presse et, à Zibeline, je ne travaille plus que sur de l’administratif. La seule chose que j’écris, ce sont des « tribunes », à la demande de ma rédactrice en chef sur des problématiques culturelles. La seule exception, c’est cet article de juillet où, de mon côté, j’étais en quelque sorte en transition. Peut-être aurais-je dû être plus précise. Ayant dit depuis longtemps mon engagement, je pensais que c’était clair… »
Charles Dannaud, secrétaire de rédaction à Reporterre, le quotidien de l’écologie en ligne, est désormais élu de la liste citoyenne et d’opposition « Forcalquier en commun ». Il a tenu, lui, à informer ses collègues dès le début : « La question s’est posée à l’occasion d’un article de Reporterre sur le supermarché de Forcalquier. Le projet de son extension est ce qui m’a fait m’engager au niveau local. Et, vu mon implication, je ne voulais pas que cela interfère et implique le titre. On en a donc discuté collectivement et il a été convenu que je n’intervienne pas sur cet article. Comme je n’interviendrais pas sur tout article qui concerne la ville où je suis maintenu élu. »
Une volonté de clarté que l’on retrouve chez le fondateur du site, Hervé Kempf : « Je maintiens volontairement une distance. Voilà pourquoi j’ai un site pour mes livres et que je ne signe jamais de pétition, sauf lorsqu’elles ont trait à la liberté de la presse et toujours en en informant le conseil d’administration. Reporterre, ce n’est pas le journal d’Hervé Kempf et l’on n’est pas un média militant. Mais engagé. Car, militant, si, pour les acteurs engagés dans les luttes écologiques, c’est une qualité, dans le milieu journalistique, ça sert à décrédibiliser. Sauf si Le Figaro ou Les Échos reconnaissent qu’ils sont, à leur manière, militants ! »
En tout cas, alors que Ruffin vient de monter son blog sur Mediapart, il est un autre de nos confrères qui, lui aussi, a profité de l’espace offert par le site d’Edwy Plenel pour, comme dirait Lionel Jospin, « fendre l’armure ». Macko Dragan, journaliste à Mouais et Télé chez moi, deux médias pas pareils niçois, vient de rendre publique sa « candidature à la présidence de la République ». Avec, pour ce « prolo-punk à chat », une motivation en béton : « 15 200 € bruts mensuels je crache pas dessus, ça en fait, des croquettes pour le chat » !
1. La com’ de Fakir n’a répondu à notre demande d’entretien.