#BalanceTonFacebook !
Entre les autoroutes et celles de l’information, il n’y a guère de différence. Mieux vaut être un 4×4 qu’une 4L pour ne pas finir à la traîne. Et pour aller plus vite, plus loin, il faut, sur l’asphalte comme dans le virtuel, payer. Pas simple pour les médias pas pareils. À l’occasion d’un dossier sur les Gafa, Basta Mag, le pure player national « radicalement indépendant« , a fait la promotion des alternatives aux réseaux sociaux classiques, comme Mastodon ou Diaspora. Mais le site passe par Facebook pour relayer ses articles comme ses appels à don.
Même dilemme à L’Âge de faire, le mensuel coopératif écolo : « On a pensé sortir des réseaux pour être en cohérence avec les idées que l’on défend, mais ça serait se tirer une balle dans le pied », explique Lydia Robin, responsable de la com’. Plus de 50 % des consultations du site venant de Facebook. Au risque de se griser, le Ravi découvre avec son nouveau site ce terrain de jeu qu’est le web. Avec la possibilité de « booster » certains articles sur Facebook, moyennant un budget mensuel de 50 euros (de quoi sponsoriser 5 « posts »). Et de toucher un public plus large, un tiers du trafic arrivant du réseau social.
À Marsactu, on a affaire à des habitués, le journal en ligne marseillais investissant en toute logique un budget plus important : « Si tous nos articles sont relayés, seuls les plus pertinents sont sponsorisés à hauteur d’une vingtaine d’euros par post », explique Jean-Marie Leforestier, journaliste et référent marketing. Un appoint qui permet de toucher jusqu’à 4 000 personnes supplémentaires. « Cela nous pose des questions éthiques. Mais sans relais physique, on peut difficilement s’en passer », soulève notre confrère. Qui pointe aussi le peu de solidarité dans l’écosystème médiatique : « Il s’agit de gagner sa place seul et Facebook fait partie des leviers. »
Une pratique que refuse l’Âge de Faire : « Pour le moment, on résiste. On ne donne pas d’argent à Facebook, et ça n’est pas qu’une question de budget. Mais on imagine bien que ça va devenir de plus en plus compliqué ». Jongler avec des algorithmes qui changent régulièrement, et de façon inexpliquée, s’avère parfois délicat.
Dessin de presse suspect
le Ravi s’est retrouvé dans l’incapacité de sponsoriser des posts contenant des dessins pour cause… d’excès de texte ! Le réseau a en effet « constaté que les images composées de moins de 20 % de texte étaient plus efficaces ». Et interdit la publication sponsorisée de celles ne répondant pas à la règle, « en vue d’offrir une meilleure expérience aux audiences et aux annonceurs », explique la page Facebook for business. De fait, le dessin de presse est donc pour le réseau social intrinsèquement suspect ! Par ailleurs, depuis les élections européennes, Facebook, prudent après le scandale de Cambridge Analytica, régule la sponsorisation de posts « politiques », l’idée étant de « prévenir les abus et les interférences ». Il nous a fallu prouver que nous sommes bien un média, avant de pouvoir sponsoriser nos articles en toute liberté.
L’opacité reste une composante inquiétante. Début novembre, le collectif proche de la gauche radicale Cerveaux non Disponibles voyait pour la troisième fois en quelques mois son audience bloquée par le réseau. Mi-octobre, en plein mouvement social, ce sont certaines pages des syndicats SUD Rail et CGT Cheminots qui subissaient le même sort, sans autre explication qu’une référence à un bug informatique.
Reste que les Gafa mettent tout le monde dans le même panier : l’adoption de la loi sur les droits voisins – supposée amener les géants du web à rémunérer les éditeurs dont ils relaient le contenu – a provoqué une levée de boucliers de la presse. Car, plutôt que de se plier à la loi, Google et Facebook ont menacé de ne plus afficher que les titres des articles sur leurs plate-formes, à moins qu’une partie de ceux-ci ne leur soit cédés gratuitement. La riposte s’est organisée avec une plainte commune contre Google, mais le rapport de force est loin d’être équilibré.
Alors, tous unis ? L’arrivée prochaine de la plate-forme d’actualité Facebook News soulève de nombreuses questions. Certes, le réseau social compte rémunérer les médias avec lesquels il collabore. Mais qui seront les heureux élus ? À l’heure actuelle, pour lutter contre les fake-news comme pour produire du contenu sur mesure pour sa plate-forme, Facebook travaille déjà avec certains titres de presse : Brut, BFM, Le Monde ou 20 Minutes. En clair, les plus gros. Entre les autoroutes et celles de l’information, il n’y a guère de différence : quand ça va trop vite ou qu’il y a embouteillage, on redécouvre le charme des chemins de traverse…