Faites labour, pas la guerre !
N’en déplaise à Bourdieu, il n’y a pas que la sociologie qui est un sport de combat. Le journalisme aussi ! Nous voilà sur le plateau du Larzac et l’âpreté du décor va bien avec celui du propos. Millau s’efface et, tristesse, malgré José Bové, un McDo y trône désormais. La route longe un terrain aussi interdit que militaire, qui débouche sur un camp de la Légion, à l’entrée d’une petite ville dont le nom semble la prédestiner à accueillir la troupe : La Cavalerie.
Heureusement, au milieu de ce paysage austère, trône la Jasse, une ancienne laiterie qui abrita les rassemblements et réunions des paysans durant la lutte menée de 1971 à 1981 contre l’extension du camp militaire et l’expropriation des fermes environnantes. Une mobilisation que des milliers de personnes ont rejointe et qui, de surcroît, a été victorieuse.
Non loin se cache, à la lisière du camp, le hameau de Montredon, dont le marché paysan comme la librairie vibrent autant du souvenir des combats passés que des échos de ceux d’aujourd’hui. C’est dans ce coin que l’on tombe sur Gardarem lo Larzac, petit journal papier qui force le respect puisque ce bimestriel a été créé en 1975 ! Et le numéro de cet été de revenir tout naturellement sur les cinquante ans de ce combat…
Une terre d’accueil
De la petite dizaine de bénévoles, qui contribuent à faire vivre ce journal dont la diffusion avoisine le millier d’exemplaires, essentiellement par abonnement, Christiane Burguière est « la plus ancienne » : « À l’origine, ce journal est né parce qu’on n’était pas satisfait de la manière dont les médias en général rendaient compte de notre lutte. On voulait relater notre vécu », explique celle qui écrira plus tard Gardarem, souvenir du Larzac en lutte et qui, comme son mari, sera du casting du documentaire Tous au Larzac !
Le journal, au départ sur un rythme mensuel, a donc chroniqué par le menu cette mobilisation. Mais, même si cet été, « GLL » a célébré le 50e anniversaire de cette lutte, pas question de vivre en ne regardant que dans le rétroviseur : « Comme notre combat a débouché sur une victoire, cela a donné pas mal d’espoir et nourri d’autres luttes, que nous sommes allés soutenir et couvrir. Et sur place, il s’est passé pas mal de choses, avec notamment la restructuration des fermes. C’est donc tout naturellement que le journal a évolué. » Et Christiane de préciser : « Le Larzac est une terre d’accueil. À ce titre, l’agriculture a vraiment rebondi. Aujourd’hui, il y a plus de fermes que pendant la lutte. À l’époque, on nous disait qu’on se battait pour des ruines et des cailloux. On assurait que non. Mais, avec le recul, c’était un peu vrai. Car on ne comptait plus les fermes abandonnées. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. »
Le titre s’articule autour de cinq thématiques : « Le Larzac, le développement rural, l’environnement, les idées, la solidarité nationale et internationale. » Au-delà donc de l’actualité du plateau, le journal fait la part belle aux luttes, ici comme ailleurs. Et, aussi attentif à l’accueil des migrants qu’à la mobilisation qu’ont connu les théâtres cet été, va donc se faire écho de ce qui se passe à Notre-Dame-des-Landes comme à Gaza ou au Chili.
Des moutons, pas des canons !
Mais avec un parti pris notable : « La non-violence. Cela a été et cela reste notre arme », insiste Christiane Burguière, relatant par le menu l’implication de la « communauté de l’Arche » sur le plateau, s’inspirant notamment de Gandhi. Alors, elle ne cache pas une certaine méfiance à l’égard des « gilets jaunes ». « Même si on peut comprendre leurs revendications… »
En tête, ce slogan, que l’on peut lire en légende de la photo qui illustre la Une du numéro de cet été : « Le blé fait vivre, les armes font mourir. » Autant dire qu’à la lecture, il est un ingrédient assez réjouissant qui infuse çà et là au fil des pages : l’antimilitarisme. En témoigne l’article intitulé « Tiens, voilà du boudin… » Et qui dézingue le supposé apport économique de l’installation, en 2016, sur le plateau, de la Légion étrangère.
Grimace de Christiane Bruguière : « C’est sûr que l’installation de la Légion, ça n’a fait plaisir à personne. Après, même si on a gagné face à l’extension du camp, n’oublions pas que les militaires sont là depuis 1902. Alors on s’est dit qu’il fallait aller les voir pour discuter. Et depuis, on les voit régulièrement. Même au marché paysan de Montredon ! Cet été, je suis tombée sur un lieutenant-colonel, que mon mari avait vu la veille. On se salue. Il apprend que j’ai écrit un livre sur le Larzac. Que je serai à la librairie pour le dédicacer. Alors, il me dit qu’il viendra, qu’il en veut un exemplaire. Dédicacé. Je n’en ai pas dormi de la nuit. Qu’est-ce que je peux bien écrire à un militaire ?! » Sur les murs de la librairie, quelques slogans : « Des moutons, pas des canons ! » Ou encore « Faites labour, pas la guerre… »