PPP : des assises pour rester debout

juin 2022 | PAR Roxanne Machecourt, Sébastien Boistel
Perchée dans les montagnes niçoises, retour sur la deuxième édition début juin des Assises intergalactiques de la presse libre, indépendante, et satirique. Au menu : réflexions autour de la création d’un syndicat, revendications et chouettes moments de partage. Le tout bien aligné dans une homogénéité quasi cosmique.

« Vous savez qui on a croisé en montant ? Philippe Vardon ?!» : c’est samedi matin et l’on ose presque y croire, puisque techniquement, on est bien sur les terres de l’ancien identitaire qui a troqué son étiquette RN pour celle de Reconquête. Un peu incrédule, on met toutefois ça sur le compte de la chaleur ou du manque d’oxygène (*). Car, mine de rien, pour accéder à la ferme de la Sauréa, ça grimpe sec dans l’arrière pays niçois. Mais on se laisse vite séduire par le site, au milieu des oliviers, à l’installation funambulesque. Pour cette deuxième édition des Assises intergalactiques de la Presse Pas Pareille, Mouais n’y est pas allé de main morte.

Organisées par ce mensuel dubitatif niçois, ces rencontres sonnent d’abord pour beaucoup comme des retrouvailles. À commencer par Mediacoop qui, dans son bolide – une Tesla déguisée en Twingo, bien plus tout terrain que la jaguar de Denis Robert – a gravi la colline en compagnie du Ravi. Autant de médias qui, à l’image du Poing, se veulent une réponse au manque criant de pluralisme dans la presse locale. Il était temps de bousculer cette satanée cordialité entretenue avec les sources institutionnelles !

Fidèles au rendez-vous ? CQFD, les toujours verts l’Âge de faire, l’association de critiques des médias Acrimed (éditrice du magazine Médiacritiques) ou S!lence, une revue d’écologie politique fondée en 1982. Également , des médias nés dans le sillage de « réformes » et autres luttes emblématiques : la Mule, un média montpelliérain issu du mouvement des gilets jaunes, Ricochets, né dans la Drôme après Nuit debout, ou bien Z, la revue itinérante qui a surgi en 2009 suite à la réforme de l’université. Et il y a ceux qui n’avaient encore pas osé grimper jusque-là : Reporterre, ainsi que le Chiffon et No-Go Zone, deux médias franciliens aussi jeunes qu’inventifs. Sans oublier Le trente-deux, un fanzine de petites annonces du sud-ouest, qui cloue le bec au (Le)boncoin. De quoi faire oublier ceux qui n’ont pu venir : Nantes Révoltée, Primitivi, la Brique, le Trou des Combrailles ou encore la Disparition. Le week-end était chargé. À Marseille, s’achève au même moment la semaine organisée par la Fédération de l’audiovisuel participatif. La ville de Rennes accueille quant à elle les rencontres du réseau Mutu.

Pas de quoi doucher l’enthousiasme de ces médias qui, émanant de galaxies et d’aventures qui leur sont propres, gravitent pourtant tous autour de la même énergie. Celle de faire entendre d’autres voix, d’articuler les résistances et les alternatives face à un monde ultralibéral asphyxiant. En bref, une Presse Pas Pareille (PPP) qui prend le contre-pied du paysage médiatique classique, dans une authentique démarche de contre-pouvoir.

Sur les pas d’un réseau qui se consolide

Par-dessus tout, ces médias croient en la force du collectif. Dans leur organisation interne, déjà, mais aussi parce qu’on est quand même à des années lumières de pouvoir faire front dans son coin. Aussi, la finalité de ces rencontres est loin d’être nébuleuse. En clair, faire renaître les ambitions de la Coordination Permanente des Médias Libres (CPML) qui, le Covid et le temps passant, avait tout du quadruple oxymore. L’envie ? Organiser collectivement et concrètement l’avenir de cette PPP par le biais d’un réseau structuré et unifié. Les principes ont été posés, les modalités approuvées. La dynamique est lancée et le Syndicat de la Presse Pas Pareille (SPPP) commence à pointer le bout de nez.

Assis dans l’herbe et rescapés d’un soleil cuisant, d’un côté, un atelier pour dessiner les contours du futur Syndicat. De l’autre, ça phosphore autour de la question de leur « professionnalisation ». Discussions foisonnantes. Faut dire, que, dans l’assistance, il y a Benjamin Ferron, sociologue des médias qui étudie les « pas pareils » depuis des années. Et qui s’est parfois permis de sortir de son rôle d’observateur pour apporter, ici et là, un peu de nuance.

Mais aussi, embedded, deux journalistes d’un quotidien narrant par le menu le monde de la finance ! Qui, intrigués par ces drôles de médias, ont mis les pieds dans le plat pour susciter le débat. Pourquoi cet attachement pour le papier ? Et comment se passer de la pub ?! De fait, les médias ne manquent ni de répondant ni de ressources pour fonctionner autrement. Et une journaliste partie de Russie pour trouver refuge au sein de la plate-forme openDemocracy de s’interroger : est-ce que, au sein de la PPP, les canons du journalisme sont respectés ? En particulier, le contradictoire (en clair, interroger toutes les parties). Évidemment oui, répondra CQFD. Et Reporterre de renchérir : « C’est aussi comme ça que tu choppes des infos ». Philémon, de M’ouais, en profitera d’ailleurs pour insister sur une règle primordiale à ses yeux : dire d’où l’on parle. « Ça devrait en faire partie, ça aussi, des standards. »

Vers l’infini et au-delà

Des discussions qui, d’un atelier à un autre, creusent le même sillon, la même réflexion : comment faire vivre son projet. Et en vivre. Pas simple. PPP rime avec précarité et dominé. Il n’y a qu’à lire le mépris que certains ont pour ceux qu’ils appellent les « fanzineux ». Small is beautiful ? A voir. Les « petits » en ont marre du manque de reconnaissance. Et d’avoir, en permanence, à se justifier face aux « gros ». A M’ouais, on a beau être anarchiste, « non, la précarité, on ne l’a choisi pas et, non, elle n’est pas normale ». Une réflexion au cœur des préoccupations de ce futur syndicat…

Pendant que certains se retrouvent sur le plateau radio itinérant de Youtubercule et que d’autres flânent à l’ombre d’un kiosque pas pareil aux allures de soucoupe volante, les Crieuses d’utopie nous invitent à laisser libre court à nos imaginaires. Et les voilà à nous demander ce que l’on rêverait de lire dans la presse de demain ! « Le Poing rachète le Point ». « L’Amazonie retrouve l’intégralité de sa superficie et toute sa splendeur ». Et en tête, le mythique de l’an dernier : « Bernard Arnault devenu SDF ». De quoi mettre des étoiles plein les yeux et laisser la place à l’informel.

L’harmonie de ces rencontres ne s’est pas substituée pour autant. Deux groupes de musique enfiévrés reprennent le flambeau. Lorsqu’en rade de registre, ils en appellent aux cuivres de la fanfare ou aux percussions de la bouffée d’air irlandaise, et jamment pour le plus grand bonheur de nos oreilles enivrées. La soirée joue les prolongations et se conclut par un dj set à qui, sans la moindre machine, David Guetta ne saurait lui arriver à la cheville.

Le lendemain matin, pendant que CQFD cherche du renfort, Éloïse, de Mediacoop, sur un coin de table, rédige les premières lignes de ce que sera le syndicat. Breaking news ! La Presse Pas Pareille s’est organisée ! Une démarche essentielle. Pour sa survie. Pour préserver l’indépendance de l’information et son pluralisme. Les chiens de garde n’ont plus qu’à bien se tenir…

* : l’élu d’extrême droite nous confirmera bien qu’il était dans le coin. « Ça va, je n’ai pas trop effrayé vos collègues ? », ricane-t-il.


Mais aussi, retour en podcast des assises de la presse pas pareille sur Fréquence Mistral :