Dernière édition !

Dans Merci Bernard, Desproges, prolongeant son Manuel de savoir-vivre, prodiguait conseils et recommandations. Par exemple : « Comment mourir sans dire de conneries ? » Une problématique qui concerne aussi journaux et médias. Au milieu des années 90, Info Matin se fendait d’un très giscardien « Au revoir » flanqué d’un Balladur soufflant (avec une belle faute) : « Enfin ! Je vais respiré ! » (sic)
Journal qui n’a jamais cessé de mourir, Charlie, dix ans après son « bal tragique », titre fin 81 : « Allez vous faire enculer ! ». Prolongement de PLPL (« Pour lire pas lu » le satirique du documentariste Pierre Carles) et associant des membres de Fakir (la publication de François Ruffin), le Plan B avait osé pour son dernier numéro : « Un journal qui meurt, c’est un peu de liberté en plus. » Mais qu’attendre d’autre de l’ancêtre de la revue de l’association de critiques des médias Acrimed ?
Il est toutefois un titre qui, dans la galaxie de la presse et des médias pas pareils, reste un modèle, tant dans son évolution que dans sa disparition : Le Tigre. Durant près d’une décennie et avec pas loin de cent numéros, cette publication réalisée exclusivement sur logiciel libre et sans pub a marqué le paysage médiatique, soignant autant l’écriture que sa maquette. En changeant, régulièrement, de périodicité : d’abord hebdomadaire, Le Tigre sera mensuel, bimestriel puis « quinzomadaire » avant de redevenir mensuel. Et de s’en aller à l’été 2015 avec un message lapidaire sur le web : « Contrairement à ce que nous avions annoncé dans l’éditorial du dernier Tigre […] il n’y aura pas de numéro spécial pour terminer l’aventure du journal. L’histoire du Tigre est terminée. »
Six mois avant, les deux fondateurs – Laetitia Bianchi et Raphaël Meltz – expliquaient devoir quitter les kiosques, l’histoire de ce titre ayant été émaillée de pauses, retards et messages pas forcément rassurants. Comme clamer « Le Tigre est mort, vive Le Tigre » pour annoncer une nouvelle formule. Dans la foulée de cette énième mue, c’est le numéro spécial « Pourquoi faire un journal » où Raphaël Meltz fera entendre tous ses doutes, chaque été semblant, pour lui, meurtrier.
Comme il nous l’explique, « la fin a été plus abrupte pour les lecteurs que pour nous. Le Tigre avait été créé en 2006 par Laetitia Bianchi et moi et reposait uniquement sur notre volonté commune ». Avec « « Pourquoi faire un journal« , poursuit-il, je cherchais surtout à mesurer l’intérêt des lecteurs ». Et, « à la suite des réactions, très nombreuses, passionnées » de ces derniers, a été décidé de « continuer l’aventure », notamment avec un « comité de rédaction ».
Mais, avoue-t-il, « fin 2014, ni [Laetitia Bianchi] ni moi n’avions envie de poursuivre. Dès lors, le sort du journal était scellé […] En réalité, cela faisait bien un an ou deux que la fin du Tigre se profilait. On ne tient une aventure comme celle-là qu’à bout de bras ». Et d’asséner : « Si on veut durer, soit il faut rentrer dans le rang (accepter l’arrivée d’actionnaires, de publicité, d’une gestion plus marketing), soit continuer à tout donner (son temps, son énergie vitale, son argent…). Il n’était pas question de rentrer dans le rang et il n’y avait plus le désir de tout sacrifier. D’où une fin qui a eu l’avantage d’être propre. »
Pourtant, même si « l’équilibre économique du Tigre a toujours été d’une très grande fragilité », c’était une « économie de guerre », dira-t-il à la revue Cassandre, « moins sensible aux enjeux économiques classiques ». Et de lâcher : « Si l’on avait voulu continuer, on aurait continué. » Mais derrière, l’écrivain ne cache pas sa lassitude. « Le soutien exceptionnel des lecteurs après “Pourquoi faire un journal” m’a donné envie de continuer. Quatre ans plus tard, il était clair que le tour avait été fait, qu’il n’y avait plus grand-chose à inventer. Il faut se rendre compte qu’on était là avant les mooks. »
Pour Raphaël Meltz, « il n’y a pas de bonne fin pour un journal parce que, pour un lecteur, c’est toujours triste par définition de voir un titre qu’on aime lire disparaître ». Mais « au moment où on s’arrête, c’est trop tard, il n’y a plus rien à dire. Ce fameux dernier gros numéro du Tigre qui n’est jamais sorti, il raconte peut-être cela : on fait un journal tant qu’on en a l’énergie, l’envie. Quand c’est fini, alors à quoi bon un numéro de plus ? En gros, il faut être toujours vivants, toujours sur le fil, et bim, disparaître d’un coup ! »